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Non aux APE : Interview de Guy Marius Sagna

ReussirBussiness

D 8 mai 2016     H 13:09     A Guy Marius SAGNA     C 0 messages


Dans un précédent article, reussirbusiness mettait en évidence le fait que les africains en général restaient très divisés sur la question relative aux Accords de Partenariat Economique (APE) entre l’Union Européenne (UE) et les pays dits ACP (Afrique Caraïbes, Pacifique). Au Sénégal, la Coalition Nationale Non aux APE, en tête de la contestation invite les Etats du continent à suspendre le processus menant aux APE. Reussirbusiness à rencontrer Guy Marius Sagna (GMS) Coordonnateur de la coalition et membre du Forum Social Sénégalais..

Reussirbusiness : Expliquez à nos internautes c’est quoi les APE ?

Guy Marius Sagna : Les APE sont un plan de renforcement de la domination des pays sous-développés par l’Union Européenne (UE), un plan de l’UE pour contrer ses adversaires impérialistes et pays dits émergents comme la Chine, un plan renforçant la division internationale du travail augmentant le ravalement des pays comme le Sénégal au stade de marché où tout se vend et rien d’important ne se produit. L’UE est en crise. Elle perd à travers ses pays membres, la France par exemple, beaucoup de parts de marchés notamment en Afrique au profit des BRICS. Les APE sont une des réponses de l’UE à cette période difficile qu’elle rencontre.
Il s’agit précisément pour l’UE de demander à nouveau aux pays ACP des préférences pour faire supporter aux peuples africains par exemple la crise qu’elle endure. C’est comme cela qu’il faut comprendre l’ouverture à 75% des marchés des pays de la CEDEAO par exemple dans le cadre de l’APE UE-CEDEAO.

Reussirbusiness : Si on vous entend bien donc, il ne peut même pas y avoir de Plan Sénégal Emergent qui tienne la route ?

GMS : L’UE négocie avec les ensembles sous-régionaux et non L’UA. C’est déjà là un problème. Si nous prenons le cas du Sénégal, l’application de l’APE va nous faire perdre au moins 75 Milliards de Francs CFA de recettes douanières par an dès la première année d’application. Et 240 Milliards de FCFA par an à partir de la 20e année. C’est une réduction d’autant des budgets de la santé, de l’éducation, de la défense…C’est énorme pour un pays confronté aux défis alimentaire, environnemental, sanitaire, sécuritaire…Dans les autres sous-régions où la libéralisation dépasse 75%, ce sera pire.
A ce choc budgétaire, il faudra ajouter d’autres conséquences. Prenons le cas de la poudre de lait qui ne paiera plus de droit de douane si l’APE est appliqué. Elle coûtera moins chère. Conséquence, les entreprises ne se fatigueront plus à acheter le lait de nos éleveurs. Les entreprises qui résisterons fermeront ou procéderont à des licenciements pour motif économique. Impact donc sur notre élevage, sur nos entreprises, nos emplois, notre souveraineté alimentaire…Ce qui est paradoxal c’est que chaque année l’Etat se plaint de la facture laitière qui est de 60 Milliards de francs CFA par an. 60 Milliards de nos francs qui sont accaparés par l’extérieur. Au lieu de travailler à réduire ce gap, l’Etat signe un accord qui va l’augmenter. Au lieu d’écouter les acteurs de la filière laitière qui demande davantage de fiscalisation des produits laitiers en provenance de l’étranger ’Etat écoute l’UE.
Vous pouvez démultiplier cet exemple du lait sur les autres secteurs et filières qui seront impactés par l’APE.
Enfin, après l’UE, les USA nous demanderont la même chose. Comme ils ont demandé eux aussi d’avoir une présence permanente de l’armée des Etats-Unis au Sénégal à l’image de l’armée française.

Reussirbusiness : Pourtant le gouvernement parle de mesures d’accompagnement, et de produits sensibles exclus des négociations ?

GMS : Ces mesures d’accompagnement ou de compensation sont le nouveau nom de l’alcool frelaté et de la verroterie contre lesquels les mêmes échangeaient des esclaves contre les ascendants de l’Afrique et du Sénégal indignes.
Le Programme des APE pour le Développement (PAPED), pour ne pas le nommer, est une promesse de 6,5 Milliards d’Euros sur 5 ans que l’UE fait aux pays de la CEDEAO plus la Mauritanie (16 pays). Les présidents africains avaient d’abord demandé 9,5 Milliards d’Euros. L’UE a refusé. Les présidents africains avaient demandé qu’il soit inscrit dans l’APE que ces 6,5 Milliards d’Euros seraient des fonds additionnels aux actuels fonds de l’aide publique au développement. L’UE a refusé. Ce qui confirme bien que ce sont les mêmes fonds du Fonds Européen de Développement (FED), de la Banque Européenne de Développement (BEI)…qui vont être recyclés et rebaptisés. Pour 4 Euros non additionnels par habitant de la CEDEAO et par an, disons à l’UE de garder sa chimère de PAPED de, pour le cas du Sénégal, 115 Milliards par an sur 5 ans et de laisser le peuple sénégalais avec ses 240 Milliards par an.
L’exclusion de ces produits dits sensibles ne change pas la perspective apocalyptique pour le Sénégal et les autres pays de la CEDEAO en cas d’application de l’APE.

Reussirbusiness : Les APE sont une menace pour l’intégration africaine comme le disent certains ?

GMS : Un accord qui va causer un détournement de commerce au profit des marchandises de l’UE et au détriment des produits de la CEDEAO n’est pas au service de l’intégration africaine au service des peuples. La CEDEAO et les autres sous-régions ne seront que des copies des anciennes Afrique Equatoriale Française (AEF) et Afrique Occidental Française (AOF)

Reussirbusiness : Que souhaiteriez-vous ? une renégociation ou carrément l’abandon des APE ?
GMS : Nous demandons aux présidents de la CEDEAO de suspendre le processus menant à l’APE. Des alternatives existent. Il s’agit notamment de la mise en place d’un fonds régional de solidarité proposé par la société civile ouest africaine en 2014. Il s’agit aussi de l’utilisation de la monnaie pour contrer l’UE. En cas de relèvement par l’UE de ses droits de douane et de mise en place de quotas pour les pays non-PMA, les pays africains pourraient déprécier leurs monnaies et par la politique de change pour rendre les marchandises UE moins compétitives et leurs marchandises plus compétitives au plan local.

Reussirbusiness : Le Président Wade et le mouvement non aux APE s’étaient rendus à Bruxelles pour dénoncer ses accords pourquoi la question revient toujours sur la table ? Combat perdu d’avance ?

GMS : L’APE néo colonial est une proposition indécente, injuste. Et partout où il y a injustice naît la contestation et la dénonciation. Voilà pourquoi les années passent mais la lutte contre l’APE impérialiste continue.

Reussirbusiness : Vous avez été arrêté puis relâché quel est la prochaine étape du combat ?

GMS : La lutte va se poursuivre en s’intensifiant sur les plans de la sensibilisation, de la mobilisation et des actions de terrain pour l’édification d’un rapport de force au Sénégal et dans les autres pays pour un rejet de l’APE. Nous sommes persuadés que les peuples vaincront.