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Sénégal : Crise universitaire : Du devoir de la communauté de s’assumer face au flux des corsets.

Par Malamine Diouf

D 19 août 2014     H 15:46     A     C 0 messages


En venant à bout du Décret 71-936 du 28 août 1971 au début des années 80, le mouvement étudiant de Dakar venait, après 10 ans de combat acharné, de rétablir l’autonomie et les franchises universitaires que le Gouvernement avait décidé de mettre en veilleuse. Provisoirement disait-on (d’où l’appellation de « Statut provisoire » collé au dit décret) pour pacifier surtout l’espace universitaire en ébullition depuis mai 68.

Dans ce combat, une certaine avant-garde à gauche rappelait volontiers, clin d’œil à l’histoire, que déjà au 17éme siècle à Pire Saniakhor, au cœur du Kajoor, les franchises universitaires étaient de rigueur …

Avec la signature du Décret 2013-1295 du 23 septembre 2013, mais surtout avec le nouveau projet de loi d’orientation de l’enseignement supérieur, le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche(MESR) persévère dans sa volonté d’anéantir l’autonomie des universités. Passage obligé pour faire passer « ses » réformes au forceps dans un style du type « dictature éclairée » avec une communication « guerrière » et pour le moins envahissante.

Tout a commencé par une concertation hâtive et pour le moins dirigiste, alors que les Universités venaient de signer avec l’Etat et la Banque Mondiale des Contrats de performance (CDP). Et cela après qu’elles aient chacune décliné son Plan stratégique à l’issue de longs mois de travail qui ont impliqué ici et là tous les segments de la communauté. En toute autonomie avec en toile de mire les seules orientations fondamentales de l’Etat en matière d’enseignement supérieur. Chaque université pour son CDP ayant fixé sa vision et ses objectifs (niveau d’utilisation des TIC, Gouvernance, taux de réussite dans les 1ers cycles, etc., jusqu’au nombre d’étudiants à accueillir à l’horizon 2016).

Mais par le truchement du Décret 2013-1295, le MESR s’arroge le droit d’affecter d’autorité les cohortes de bacheliers, et tous les bacheliers promet-on, dans les universités, fussent-elles virtuelles.

Or après les programmes de scolarisation universelle, suivis du foisonnement des collèges et lycées de proximité le gap entre le nombre de bacheliers et la capacité d’accueil des campus est si énorme aujourd’hui qu’il ne peut être résorbé hic et nunc par des calculs arithmétiques ou des algorithmes…

Au contraire on infantilise et démotive les personnels en voulant gouverner l’université par Oukazes et Dragons, on effrite davantage la qualité de l’enseignement en augmentant la promiscuité dans les campus, par conséquent le stress, les échecs massifs et la violence hélas !

Et tout y passe : manipulation, interprétation tendancieuse des textes, procès d’intention (vente de places à l’inscription, éternels étudiants), simulacres de consultation (l’avis aujourd’hui sollicité de la communauté sur « sa » loi d’orientation avec des délais plus que contraignants, et, à dessein, au moment où les acteurs sont préoccupés à terminer l’année universitaire…en partie), effets de modes (Stems, innovation), etc.

Pendant ce temps, en face, une communauté universitaire dispersée qui semble avoir perdu quelque peu de sa …lumière :

D’abord un Mouvement étudiant qui ne manque pas de courage mais qui est englué depuis la fin des années 80 dans les travers d’un corporatisme fragile.

En effet à partir du milieu des années 80, les unions nationales (UNAPES, UNDS, UDED, MEPAI, etc. à la suite de l’UED et de l’UDES) qui avaient porté haut le niveau de conscience et de patriotisme d’un mouvement étudiant à l’avant-garde du mouvement national démocratique, voire africain, disparaissent peu à peu.

Affaiblis par leur rude concurrence pour « caporaliser » les masses estudiantines en fonction de leurs sensibilités de gauche rivales, elles n’arrivent plus à fédérer, et s’amorce alors une réorganisation du mouvement à partir des amicales de facultés, qui culmine avec la naissance de la Coordination des étudiants de Dakar (CED). La CED vivra ses moments de gloire accroissant sensiblement la capacité de mobilisation.

Plus tard, certaines autorités partisanes d’une paix sociale à tout prix n’hésiteront pas accompagner cette dynamique avec force clientélisme. Subventions et passes droits de toutes sortes jetèrent ainsi les bases d’une baisse de conscience et d’un opportunisme qui ne sont pas étrangers à la violence inter estudiantine aujourd’hui. Le contrôle des bureaux d’amicales et de certaines prestations occasionnant de plus en plus de joutes …physiques. Les leaders les plus conscients ayant de plus en plus de mal à « être à un pas des masses » (Lénine).

Le Personnel administratif, technique et de service (PATS) quant à lui n’a pas fini de faire sa mue. Il a pourtant fait du chemin depuis le début des années 90, passant d’un statut de personnel d’appoint à celui d’une composante à part entière sur l’échiquier universitaire. Il siège dorénavant dans les instances de délibération (même s’il y est sous représenté), compte de plus en plus dans ses rangs des cadres de haut niveau avec des formations pointues gages d’une expertise multiforme.

Avec un potentiel immense pour peser davantage sur la marche des campus, il lui reste quand même à raffermir ses « acquis » et à parfaire son unité nationale dans un contexte d’éclatement de la carte universitaire.

Enfin last but not least le Personnel enseignant et de recherche(PER) a quelque peu perdu de sa superbe. Les questions fondamentales (autonomie des établissements, libertés académiques, etc.) ne sont plus celles qui mobilisent en priorité même si le professionnalisme et la capacité de résistance restent intacts dans les rangs.

Ici également l’éclatement de la carte universitaire, la difficulté pour les élites syndicales de résister à la pression de bases plus préoccupées par une demande plus corporatiste qu’académique a beaucoup contribué à émousser la capacité d’indignation des universitaires.

Mais il est à espérer que ce reflux, ce sommeil relatif de la lumière dans nos campus n’est que passager.

En premier lieu osons croire que les plus hautes Autorités du pays finiront sans tarder par comprendre que si ce train de réformes, où l’ivraie sert parfois de locomotive, était pensé objectivement et partagé avec humilité(ainsi qu’on a voulu le faire croire à l’opinion), la crise n’aurait pas duré autant avec son corollaire de violences inédites. Les discours du genre « les gens n’aiment pas le changement », « il faut assainir et remettre de l’ordre », « l’Université n’est pas un no man’s land », etc. agissent plutôt en repoussoirs et plombent le dialogue social.

Le véritable challenge de la tutelle est dans la construction de nouvelles universités, le recrutement de personnels, le renforcement des infrastructures (celles qu’on évoque aujourd’hui en termes de bilan sont projetées depuis plusieurs années pour combler des gaps qui datent de longtemps : UCAD 2, UGB 2…).

Les défis de la gouvernance vertueuse et de la qualité d’un enseignement supérieur public au service du plus grand nombre possible de sénégalais et d’africains, sont bien entendu à relever, mais ils sont dans les cordes de la communauté universitaire héritière de Xaali Amar Faal, de Cheikh Anta Diop et d’Assane Seck, pour ne citer que ceux là.

L’Autonomie et les Libertés académiques sont les fondements de l’Université depuis le moyen-âge, elles ne sauraient être un luxe en Afrique où sont nées les premières universités du monde : Zittouna à Tunis, Kharawine à Fés, Al Hazzar au Caire (après bien entendu l’antique Bibliothèque d’Alexandrie source majeure du miracle grec, et prés de 2 siècles avant l’ouverture à Bologne en Italie de la première université occidentale en 1088).

Il est vrai que contrairement à Pir où les Xaali n’attendaient aucun subside des Damels, nos universités publiques reçoivent près de 90 % de leur budget de l’Etat. Mais on ne peut pour autant leur appliquer la loi du « qui paye commande », le savoir n’ayant pas de prix. Quelqu’un disait que « si vous pensez que le savoir coûte cher, essayez l’ignorance ».

Orienter les politiques est une prérogative régalienne de l’Etat, mais les choix pédagogiques et la gouvernance interne sont et doivent rester du ressort des instances universitaires. A moins qu’on ne veuille ravaler les universités en directions ministérielles…

En second lieu, fort justement, les voix qui s’élèvent de plus en plus, certains Oulémas puis le Groupe d’universitaires qui a écrit récemment à son excellence le Président de la République entre autres, constituent un autre motif d’espoir, pour sauver l’Université sénégalaise. Et avant eux un groupe de Professeurs de l’UCAD qui offrit en vain sa médiation au plus fort de la crise sur les droits d’inscription ainsi que le Collectif des Acteurs pour la Sauvetage de l’UGB (CAS-UGB), sans parler des syndicats du secteur...

Mais il faudra certainement plus de prise de conscience, de détermination et de remise en cause de la part de tous les acteurs de l’université, dans l’unité qui transcende les corporatismes et égoïsmes inhibiteurs.

Pour conclure, nous voudrions rappeler aux politiques, avec tout le respect dû à leur rang, qu’en Egypte ancienne les Scribes étaient exempts d’impôts et de service militaire, qu’à l’âge d’or de la civilisation arabo-musulmane, autour du 9éme siècle, les savants (de toutes confessions) étaient choyés dans les cours des Sultans.

Aux acteurs de l’Université nous voudrions rappeler sans prétention aucune, que Xaali Amar Faal fondateur de l’Université de Pir au 17éme siècle avait décliné avec respect et hauteur l’offre à lui faite par Majoojo, Damel du Kajoor d’alors, de devenir son Cadi.

Ainsi en fît Xaadimu Rasuul avec Lat Joor deux siècles plus tard, ce qui ne l’avait pas empêché d’ailleurs selon Bamba Mbakhane Diop de donner sa bénédiction au preux sur le chemin de l’honneur.

Aux uns et aux autres : La République du savoir a horreur des corsets !

Malamine Diouf

Conservateur des Bibliothèques

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