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Sénégal : Le scandale des sociétés de Télé Conseil

D 30 mai 2011     H 05:15     A Moulzo     C 0 messages


C’est lors du dernier Forum Social Mondial de Dakar où le
GTA ( Groupe de Travail Afriques du NPA) était bien
représenté que l’auteur de cet article a rencontré des
employé (e) s de cette entreprise tout à fait par hasard.
Lors de la discussion, ils lui ont parlé des conditions de
travail dans cette entreprise, de leurs inquiétudes aussi. Ils
attendaient d’ailleurs leur salaire depuis deux semaines et
n’avaient aucun moyen de faire valoir leurs droits sans
risquer d’être sur la liste rouge. A notre retour en France et
après quelques échanges téléphoniques avec l’une des
employé (e) s, l’auteur a pu en savoir plus et rédiger cet
article pour tous ceux et celles qui subissent la
délocalisation des contraintes des sociétés occidentales
vers les pays en développement.

Vers une multinationale des luttes !

Société de services du secteur des NTIC, PCCI (Premium
Contact International Center de Dakar) a été créée en
2002 par des promoteurs français et sénégalais. Le capital
de PCCI, détenu à 100% par les fondateurs, se répartit ainsi :
PCCI France 650000 €, PCCI Sénégal 1 525 000 €, PCCI UK 150
000 €.

Premier employeur privé du Sénégal, le groupe est chouchouté
par l’Etat sénégalais qui voit en cette entreprise un acteur
privilégié pour la réduction du chômage des jeunes. D’ailleurs, les
jeunes téléacteurs sont diplômés pour la plupart BAC+2
Marketing ou Commerce mais beaucoup ont un niveau maîtrise…
Ils doivent par ailleurs avoir une diction parfaite, « sans accent
sénégalais » comme le disait en 2003 un ancien directeur des
ressources humaines du groupe. Aujourd’hui, de grands groupes
français (France Télécom, SFR, Neuf Telecom, Canal Horizon,
Orange Côte d’Ivoire) ont confié ou confie régulièrement la
gestion de leur relation client à PCCI. Les clients français ne se
rendent pas compte qu’en appelant le service relation clientèle de
leur opérateur, c’est un (e) jeune sénégalais (e) qui répond au
bout du fil car PCCI utilise une technologie très récente, la " voix
sur I.P " permettant de faire transiter via le Net les conversations
téléphoniques. La voix est compressée en données numériques
qui transitent par paquets sur Internet et décompressée à
l’arrivée. Grâce au câble sous-marin Atlantis 2 qui irrigue les
côtes du Sénégal, l’acheminement des données ne dure pas plus
de 80 millisecondes, ce qui permet d’avoir une qualité d’écoute
excellente, exactement comme en France. Mais le véritable
avantage de PCCI sur ses concurrents français, c’est bien la main
d’oeuvre qui représente parfois jusqu’à 70% des charges d’un
centre d’appel. Ainsi, le coût réel d’un téléacteur sénégalais est
de quatre fois moindre que celui d’un téléacteur français. Avec un
salaire d’environ 280 € (180 000 F CFA), le téléacteur sénégalais
semble pourtant privilégié dans ce pays où le taux de chômage
des jeunes diplômés atteint les 16% voire plus. Mais derrière la
façade, PCCI qui bénéficie pourtant de contrats subventionnés
jusqu’à 60% par l’Etat sénégalais à travers la Convention Etat
Employeurs, privilégie dans son mode de fonctionnement
l’exploitation de ses employés.

En effet, le rythme imposé aux
téléacteurs est tout simplement scandaleux (6 h de production au
téléphone avec seulement 15 mn de pause), favoritisme,
suppression des primes de productivité et d’assiduité à la moindre
occasion, retard du versement des salaires (parfois jusqu’à 15
jours de retard), non versement (d’après certains employés) à la
caisse de retraite et de sécurité sociale des 5,6 % ponctionnés
pourtant sur le salaire des employés, reconduction de CDD sans
limites ( on arrête le contrat au bout d’un moment et on reprend
l’employé plus tard).

Avec une base de candidature de plus de 8000 CV, PCCI a
pourtant de beaux jours devant lui car les jeunes sénégalais tout
juste sortis de formation sont souvent prêts à tout pour trouver
un emploi et ne se posent pas beaucoup de questions sur les
conditions de travail. Les employés recrutés en 2005 (dont
certains ont des CDI) aimeraient bien partir ailleurs mais pas pour
avoir des conditions pires. Alors, souvent coincés au PCCI, ils se
résignent en attendant des jours meilleurs. C’est donc aux
entreprises françaises qui confient leurs prestations à PCCI
d’imposer à cette entreprise l’éthique qu’elles appliquent en
France. Sinon, elles contribueront à la délocalisation des
contraintes de gestion de la relation client vers d’autres cieux
(Sénégal, Maroc, Tunisie…) où, sous prétexte de contribuer à la
création d’emplois, les entreprises de Call Center exploitent une
population vulnérable et docile à cause du manque d’emplois.

Moulzo