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Sénégal : Sur la politique de Macky Sall

D 8 janvier 2014     H 05:09     A Ibrahima Séne     C 0 messages


Pessimiste, l’économiste en chef du Parti de l’indépendance et du travail (PIT, membre de la mouvance présidentielle) l’est au regard de ce qu’il considère en gros comme la continuation des politiques d’Abdoulaye Wade par son successeur, Macky Sall.

Comment jugez-vous le discours de fin d’année du président de la République ?

Un discours de fin d’année devrait être avant tout un bilan officiel sur l’état de la Nation, décliné au plan économique, social, culturel, et au plan de sa sécurité intérieure et extérieure, afin de mettre l’accent sur les principaux défis auxquels le pays aurait à faire face durant l’année nouvelle qui pointe à l’horizon, et les voies et moyens qu’il faudrait mettre en œuvre pour les relever.

De ce point de vue, le Chef de l’État s’est d’emblée placé sur ce qu’il voudrait faire, pas seulement sur l’année qui va venir, mais surtout, sur tout ce qui reste de son mandat, et même, hors de son mandat, avec son Programme Sénégal Émergent (PSE) qui a pour horizon 2023, alors que son mandat se termine en 2017 selon les engagements qu’il a pris devant la Nation.

On a eu l’impression d’un ’’discours programme nouveau’’, différent sur bien des points de la Déclaration de Politique Générale que Madame le Premier Ministre venait de décliner deux mois avant à l’Assemblée nationale.

En Effet, Aminata Touré déclarait que son Programme s’inscrit dans le Yoonu Yokkute, alors que le Chef de l’État nous dit que son Programme, c’est le PSE qui intègre celui du ’’Yoonu Yokkute’’ et celui de la Stratégie nationale de développement économique et social (SNDES), qui est la nouvelle version que Wade et ses Partenaires techniques et financiers (PTF) avaient concoctée.

Ainsi, par rapport à la Déclaration de Politique Générale de l’ancien Premier Ministre Abdoul Mbaye, il n’y a que les ’’conclusions des Assises nationales’’ qui ont manqué.

Mais il avait promis d’appliquer ces conclusions des Assises nationales.

En fait, ces conclusions ne sont plus dans le Programme de réforme du Président Macky Sall, ni pour 2014, ni pour son Programme de long terme.

Insinuez-vous qu’il a trahi les conclusions des Assises nationales ?

En tout cas, rien n’est prévu dans le budget de 2014, encore moins dans son discours de nouvel an, pour tenir un référendum sur les Institutions, qui est la réforme phare des Assises nationales. La seule réforme à laquelle il a fait référence, c’est celle de l’Acte III de la Décentralisation, qui n’a été ni objet d’un large consensus, ni conforme aux conclusions des Assises nationales.

Parlant de cette réforme, quel est votre avis sur la question ?

Ce qui est surtout à garder en repère, c’est le décret que Macky Sall a pris pour mettre en application la Loi no 2011-07 du 30 mars 2011, ce décret que même Wade n’avait pas osé prendre dans un contexte préélectoral chargé pour permettre au Chef de l’État d’immatriculer directement des terres du Domaine national, sans l’Avis des conseils ruraux, devenus des conseils municipaux, pour les attribuer à des privés sous forme de propriété privée.

C’est cette Loi qui lui a permis de se passer des travaux de la Commission de réforme foncière, pour prendre des dispositions lui permettant de mettre en œuvre le PPIDAS, les DAC, et surtout le volet foncier du PSE qui nécessite 100 000 hectares.

C’est pour renforcer son dispositif d’accaparement des terres du Domaine national que l’acte III de la Décentralisation a reconduit l’approbation préalable du Préfet à toute délibération du Conseil municipal sur les questions foncières. Ce qui remet en cause l’effectivité de leur compétence d’attribution et de retrait de ces terres.

Pensez-vous que le peuple des Assises nationales va le laisser faire sans réagir ?

Il va ainsi faire la prouesse de braquer le peuple des Assises nationales contre lui.

Concrètement, Macky Sall répond-il aux attentes des Sénégalais ?

C’est surtout dans le contenu concret de son discours programme que l’on peut tenter d’apprécier si le discours a répondu à l’attente des Sénégalais. C’est ainsi que sur la sécurité intérieure, le président de la République a évoqué les négociations en cours pour la paix en Casamance, tout en précisant les positions de l’État qui n’ont jamais fait avancer ce dossier, à savoir l’insertion de ceux qui veulent se désarmer et le programme de reconstruction de la Casamance.

Qu’est-ce qui entrave l’avancement de ce dossier ?

La question de savoir que faire avec ceux qui ne veulent pas désarmer et avec ceux qui se sentent exclus de l’élaboration des programmes de restructuration de la Casamance et de leur mise en œuvre faute d’une approche inclusive reste encore sans réponse. Cela fait que l’optimisme du Chef de l’État sur l’imminence de la paix laisse perplexe, et pose plus de questions qu’il n’en résout.

Comment percevoir le positionnement du Président Sall sur les questions africaines ?

Pour la sous région et la région Afrique, l’accentuation de l’alignement du Chef de l’État sur les stratégies géopolitiques de la France et des USA (transfert de la Direction du service antiterroriste de la France au Sénégal, l’installation à Dakar de l’État-major de l’Armée française de lutte antiterroriste au Sahel, l’accréditation d’un Représentant du Gouvernement américain pour la Casamance) replacent notre pays dans la situation peu enviable de ’’paria’’ des Autorités de la CEDEAO et de l’UA. Le Président Macky Sall est dans la voie d’être perçu en Afrique comme son prédécesseur honni.

Mais que risque le Sénégal dans tout cela ?

Tout cela risque de nous éloigner d’une paix imminente en Casamance, tout en transformant notre pays en cible du terrorisme islamiste dans notre sous région.

Le chef de l’Etat a annoncé beaucoup de projets allant dans le sens de booster l’économie nationale. A-t-il, selon vous, les moyens de ses ambitions ?

Le président de la République a parlé des 150 milliards de ressources souveraines obtenues, et des 100 milliards attendus, sans nous dire qu’il s’agit d’un crédit de la Banque Atlantique installée à Dakar, et sans nous dire aussi dans quelle condition ce crédit est octroyé au Fonsis qui n’a été doté que de 3 milliards dans le budget 2014.

Quant au Programme Sénégal Émergent (PSE) qu’il a immédiatement évoqué après, ses ambitions de croissance durable du PIB de 7% et du revenu par habitant entre 2014 et 2023 de 4 à 5 %, sont à un niveau inférieur à celui du Ghana qui, entre 2005 et 2011, a atteint 5,4% sans être considéré comme un pays émergent.

Doutez-vous de la pertinence de ce programme ?

Le Sénégal Émergent ne sera pas émergent en 2023, malgré les 2,5 milliards payés à cet effet.

Il y a pourtant une volonté d’asseoir une gestion rationnelle des ressources de l’État qui aurait généré 38 milliards d’économie budgétaire, selon lui.

Certes le Chef de l’État nous a parlé des 38 milliards d’économie pour 2014 suite à sa gestion ’’sobre, rationnelle et transparente’’ du budget. Mais il a omis de dire que 20 milliards de cette économie résultent de la diminution de la subvention à la SENELEC, avec toutes ses conséquences sur les tarifs dont l’augmentation est rejetée par les Sénégalais qui sont sur cette question en ordre de bataille.

Les couches populaires et les travailleurs risquent de se braquer contre toute hausse des tarifs de l’électricité, contre laquelle ils se sont toujours battus sous Wade. C’est aussi une baisse des loyers pour logements conventionnés pour 11 milliards, sans préciser que, pour la location de bâtiments administratifs et logements à l’étranger (Diplomates et Consuls), il a prévu des dépenses de 19,5 milliards. Il a déshabillé Paul pour habiller Jean.

De même, ce que l’Audit du fichier de la Fonction publique a montré comme des irrégularités se chiffrant à 48 milliards, lui aura permis de pouvoir recruter dans son cabinet 13 nouveaux conseillers spéciaux et 10 chargés de mission, et au Secrétariat de la Présidence, 9 nouveaux conseillers techniques et 13 chargés de mission, qui ne sont rien d’autres que du personnel politique qui lui est nécessaire dans une année électorale comme 2014 où se tiennent les élections locales.

Et cela a plus que doublé les dépenses de personnel de la Présidence qui sont passées de 556 541 820 F à 1 308 294 280 F Cfa !

Diriez-vous que Sall est revenu sur sa gestion vertueuse promise aux Sénégalais ?

En tout cas, il semble revenir sur sa gestion vertueuse. C’est l’impression que j’ai au vu des actes posés entre-temps.

Comment analysez-vous la campagne agricole 2012-2013 ?

La campagne agricole 2012-2013 va être pire que celle de l’année dernière.

Pourquoi ?

La disette frappe déjà dans plusieurs localités du pays. Il est devenu clair que son objectif dans son discours n’est pas de faire prendre conscience aux Sénégalais des problèmes auxquels le monde rural est confronté à l’issue de cette campagne.

Mais juste pour annoncer une politique agricole de continuation de celle héritée de Wade, que ce dernier avait du mal à matérialiser face à la mobilisation des organisations de défense des intérêts de l’exploitation agricole familiale.

Il a fait abstraction de cette résistance, pour énoncer la continuation du Projet de développement intégré durable de l’agrobusiness au Sénégal (PDIDAS) initié par Wade et la Banque mondiale pour aménager des terres dans le bassin du Fleuve Sénégal, dont 60% seront attribuées à l’Agrobusiness.

Ce projet d’un montant de 42 milliards de F Cfa, que le Chef de l’État a évoqué, est un emprunt de l’État du Sénégal pour développer l’Agrobusiness au détriment de l’exploitation agricole familiale dans les zones concernées.

Notre pays s’endette ainsi pour se faire beau aux yeux de l’Agrobusiness, avec les 30 000 hectares des Domaines agricoles communautaires (DAC), la continuation, sous un vocable nouveau, du Plan REVA de Wade, basé sur la spoliation des terres du Domaine national.

Ce mimétisme a atteint son comble avec le nouveau Programme d’accélération de la cadence de l’agriculture sénégalaise (PRACAS) d’un montant de 581 milliards, qui est l’équivalent de la GOANA de Wade qui a englouti près de 600 milliards pour enrichir sa clientèle politique qui a servi de base sociale à son régime...

Propos recueillis par ASSANE MBAYE

Source Enquête +