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Sénégal - WASSADOU : la lutte des paysans, une lutte de parachèvement de la libération nationale

12 août 2014 par Guy Marius SAGNA - spoliation des terres - luttes paysannes

D 12 août 2014     H 15:50     A Guy Marius SAGNA     C 0 messages


« (…) la lutte de libération (…) ne finit pas au moment où l’on hisse le drapeau et se joue l’hymne national » CABRAL

Le jeudi 07 août 2014 se tenait le procès de 04 paysans de Wassadou (Tambacounda). Ils ont été condamnés à 3 mois de prison dont 15 jours fermes, après avoir passé 22 jours à la maison d’arrêt et de correction, et à payer pas moins de 15 millions de francs à Gilbert KHAYATT. A cause d’un conflit foncier qui dure depuis cinq ans au moins maintenant, Moussa KEÏTA, Abdoulaye DIOUF, Abdoulaye FAYE et Youssoupha DIAW ont été convoqués à la gendarmerie le 12 juillet 2014. Le 14 juillet ils ont été déférés à la maison d’arrêt et de correction de Tambacounda. Et depuis ils sont en prison. Le spectre d’un Fanaye bis est en marche. Sous le verni d’un yoyo juridico politique, retour sur les faits et enjeux d’un bras de fer foncier de 3123 hectares, 14 villages et un potentiel de plus de 2.200 ouvriers agricoles corvéables et malléables à merci. Ce n’est pas l’hippopotame de Gouloumbou mais bien l’accapareur de Wassadou qui est notre ennemi.
Avant l’effondrement de son empire colonial, l’impérialisme fasciste portugais « (…) a accordé à une entreprise dominée par les intérêts anglais, des droits souverains sur une étendue correspondant à 17% du territoire du Mozambique » nous informait Amilcar CABRAL dans un de ses écrits. D’après vous, ces droits sur des terres africaines accordés au moment de la colonisation à cette entreprise anglaise par le Portugal devraient-ils demeurer après l’indépendance du Mozambique ?

C’est à cette question qu’est confronté le régime APR/AFP/PS et de ses alliés aujourd’hui 54 ans après ce que Cabral appelait « l’année de l’Afrique » en parlant des pseudo-indépendances de 1960. Wassadou, à une soixantaine (60) de kilomètres de Tambacounda (Sénégal), est en proie à un litige foncier opposant la famille KHAYATT et les populations de cette localité réunies dans un collectif représentant 14 villages. Située sur la route avec une nappe phréatique atteinte à une dizaine de mètres, la zone a des avantages et remplit des conditions qui font saliver les capitalistes. Des populations ont été déguerpies de leurs maisons et de leurs champs, un périmètre arboricole de 250 pieds de manguiers qui devaient produire leur première récolte après quatre (04) ans d’entretien par des femmes détruit en 2012, la construction d’une piste de production latéritique devant désenclaver villages et périmètre bananier arrêtée et transférée toujours en 2012…Les KHAYATT seraient propriétaires de toute cette surface. Un business devenu lucratif en Afrique est l’accaparement de terres fertiles par l’expropriation des petits producteurs. JP Morgan, Goldman Sachs, des universités américaines comme celles de l’Iowa, de Harvard, Vanderbilt…accaparent ainsi des terres dans plusieurs pays africains.

Pour le cas de Wassadou, le loup est dans la bergerie depuis la colonisation. Les KHAYATT auraient un titre foncier datant de 1931. « Ils ont in titeur foncié ». C’est ce que répètent les perroquets eunuques « prêts à répéter », couards, traitres à leur peuple et avocats des KHAYATT. Pour eux, la trahison est plus rentable que le patriotisme. Pour eux comme pour les régimes PS et PDS et APR depuis deux ans maintenant il n’y a pas d’autre issue que le respect de l’intangibilité des titres fonciers hérités de la période coloniale.
Et quand un régime ose remettre en cause cette intangibilité du système foncier colonial au profit de sa population et de sa paysannerie il devient un Mugabé. N’est-ce pas pour cela que le Mugabé est voué aux gémonies ? Au semi colonial principe de l’intangibilité des frontières a correspondu à l’intérieur des frontières une intangibilité des titres fonciers issus de la période coloniale. Cette intangibilité des titres fonciers n’a qu’un seul objectif la pérennisation des terres accaparées par les colons et leurs alliés.
Les premiers accaparements ont eu lieu pendant la période coloniale. Certains accaparements ont survécu à l’indépendance. Autrement dit, certaines terres n’ont pas été libérées par les nouveaux régimes semi coloniaux. Ces terres sont à libérer par l’expropriation des expropriateurs. Devant la levée de bouclier quasi générale face aux accaparements du 21e siècle les accaparements du 20e siècle et d’avant ont l’avantage de passer avec beaucoup moins de douleur si la duperie de l’inaliénabilité de ces terres passe. Les colons ont violé par le feu et le fer les populations africaines pour avoir ces titres fonciers dont les KHAYATT bénéficient aujourd’hui. Et aujourd’hui ce sont les violeurs et leurs complices qui crient au viol !? De 1931 à nos jours les KHAYATT n’ont pas exploité « leurs » terres. En 2009 ils lancent un projet agro industriel puisant ses ressources dans un « consortium de sociétés complémentaires » pour un coût global de 1,8 milliards de francs CFA. Nous serions curieux de connaître l’identité de ces sociétés. 2009 ! Retenons bien la date qui n’est pas fortuite. Un an après les émeutes de la faim dans plusieurs endroits du monde, de l’Afrique et du Sénégal. Un an après la crise alimentaire mondiale. Toujours en 2009, voici les quantités de « semences » d’arachide non sélectionnées et subventionnées proposées aux paysans au Sénégal : 9kg par imposable à Fass Tièkène et à Saly Escale, 14kg par imposable à Lour Escale et 11kg à Ida Mouride, 50kg par carré à Koungheul, 8kg par imposable à Kayène, 10kg par carré à Thièl. 2009, 50 ans après une politique systématique de précarisation des paysans, de sabotage de l’agriculture paysanne avec la NPA, la GOANA…le fruit serait peut être mûr pour un agro business qui va transformer le paysan en ouvrier agricole corvéable et malléable à merci sur ses propres terres. Et cela dans un contexte de distillation du mythe mensonger du paysan paresseux incapable de régler la question de l’auto suffisance alimentaire auquel il faut remplacer le grand capital sauveur et créateur d’emplois. Vive l’émergence !

N’oublions pas dans le contexte de mentionner l’application des Accords de Partenariat Economiques (APE) dont une des conséquences apocalyptiques sera : « Les produits agricoles européens qui sont subventionnés (ce qui permet de les vendre moins cher) vont inonder les marchés africains ; les produits africains similaires (comme la volaille, les œufs par exemple) ne pourront pas résister à la concurrence. Il faut dire que le terrain a été préparé par les programmes d’ajustement de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international qui ont supprimé les subventions en Afrique. » (Regard sur les Ape : Après les clameurs, tambours et trompettes, Makhtar Diouf in Wal Fadjiri, le 4 février 2008)
Ces tentatives de faire main basse sur les terres de Wassadou et d’ailleurs au Sénégal ne constituent pas des cas isolés. Avec 10,28 millions d’hectares (environ la superficie du Bénin), le Mozambique arrive en tête des pays les plus ciblés par le capital étrangers. Arrivent ensuite le Zimbabwe, talonné par la République Démocratique du Congo (3,04 millions d’hectares), le Soudan (2,24 millions), la Zambie (2,04 millions), Madagascar (1,8 million d’hectares) et l’Ouganda (888 500 hectares).
« Présentement, la filière banane permet à environs 600 pères de familles de vivre sur des superficies exploitées d’environs 360 Ha et produisent annuellement environs 5000 tonnes de banane soit un chiffre d’affaire de 850 millions de FCFA ; ce qui confère à la banane, le premier employeur et la deuxième source de revenu des ménages derrière l’immigration dans l’arrondissement de Missirah. »

Le projet de Wassadou viserait la mise en culture de 1.000 ha irrigués toute l’année et la création de 4.000 emplois au minimum. Parlons de la dizaine d’employés agricoles des KHAYATT. Ils triment de 8 heures à 13 heures et de 14 heures à 18 heures du lundi au samedi et le dimanche de 8 heures à 13 heures. Soit 59 heures par semaine, 216 heures par mois. Pour 45.000Fcfa. Soit 208 francs Cfa l’heure. 1500 francs CFA la journée de travail. Celui qui est indigne de confiance dans les petites choses le sera pour les grandes.

Journaliers dans les plantations, sur ses propres terres, pour le marché mondial ? Ce même marché mondial qui spécule sur les céréales à la Bourse de Chicago et ailleurs, qui cultive du bio carburant à la place de cultures vivrières, qui développe les semences Terminator, qui brevette le vivant…Ce destin est inacceptable pour nos paysans. Disons NON à cette politique agricole semi coloniale. Les KHAYATT doivent dégager ! Que va faire le régime APR/AFP/PS ? Rupture ou continuité ? A l’intangibilité du franc CFA, l’intangibilité du français comme langue officielle, l’intangibilité de la présence des bases militaires françaises, l’intangibilité des frontières du Congrès de Berlin… opposons l’intangibilité de la lutte de notre peuple pour la souveraineté réelle et non de façade, pour le mieux être et non la misère dans laquelle il est confiné.

Populations et politiciens de Tambacounda ont toujours déploré le manque de considération des autorités centrales à leur égard. Mais la considération ne se mesure pas en termes de postes ministériels, de sénateur, de député, de directeurs de sociétés nationales…accordés à des natifs de la région. La considération de la région de Tambacounda c’est l’expropriation des KHAYATT au profit des paysans de Wassadou, c’est le statut de volontaire pour les animateurs polyvalents des cases des tout petits et des classes préparatoires de la région de Tambacounda qui luttent depuis plus de quatre (04) ans, c’est la construction dans les meilleurs délais d’un centre universitaire régional, c’est… Perpétuer l’ordre du titre foncier colonial signifie perpétuer le crime colonial. Et ce que disait Eduardo GALEANO à propos du pillage de l’Amérique du Sud dans Les veines ouvertes de l’Amérique Latine vaut aussi pour l’Afrique, le Sénégal et Wassadou. « Récupérer les ressources usurpées depuis toujours équivaut à récupérer notre destin ».
« Avez-vous le courage de reprendre aux espagnols détestés les terres volées à vos ancêtres voilà trois cents ans ? ». Telle était l’interpellation faite aux amérindiens par Miguel HIDALGO, un des dignes successeurs de Tùpac AMARU.

Le 11 Août 2012, les paysans de Wassadou ont montré qu’ils avaient le courage de reprendre aux KHAYATT les terres volées à leurs parents voilà 81 ans en allant semer des haricots dans la « propriété » des expropriateurs.
Le 11 août 2014 plus de cinq cent (500) villageois sont allés empêchés un Gilbert KHAYATT de labourer les surfaces sur lesquelles elles ont semé des cultures vivrières malgré l’escorte des deux (02) tracteurs par vingt (20) nervis à la tête desquels était un ancien colonel de l’armée Nar NGOM.
Même si dans ce combat, les plus en vue sont les membres du Cadre de Recherche et d’Action sur le Foncier au Sénégal (CRAFS : ENDA PRONAT, VECO WA, RADI, ACTIONAID, IFSN, IPAR, ENDA LEAD, CNCR, COPAGEN…) qui soutient la lutte contre l’accaparement des terres agricoles, ce combat est éminemment politique et doit remobiliser les acteurs politiques et les citoyens comme avait tenté de le faire le M23 de Tambacounda.
Le régime de Macky SALL n’a pour l’instant ni le courage de reprendre les terres de KHAYATT ni celui de déguerpir les populations. Il ménage le chou et la chèvre. Par contre, ils convoquent ses camarades de Tambacounda pour parler de…celui qu’il a désigné candidat pour la tête de la mairie de Tambacounda.

Par sa politique de continuité, qui sanctionne une deuxième alternance sans alternative, le régime de Macky SALL ne fait qu’aggraver le processus d’accaparement foncier et d’exclusion de la mécanisation agricole des paysans sénégalais. « Ainsi, selon les données de l’ »Enquête de Suivi de la Pauvreté au Sénégal » (ESPS) I (2004-05), la proportion des ménages sans terre est de 24,6 % des ménages ruraux en 2004/2005, contre 18,9% en 1998/99, et 20,9% en 1960, tandis que ceux qui avaient entre 01 et 03ha, exclus de la mécanisation, qui étaient de 4,2 % en 1998/99, se retrouvent avec une proportion de 32,1 %.
Donc, les ménages ruraux exclus de la mécanisation de l’Agriculture par les conséquences des politiques agricoles de Wade, ont atteint une proportion de 56,7%, alors qu’en 1960, ces ménages ne représentaient que 51,6 %. ». (La question foncière : accaparement des terres, montée de l’agro-business, etc. et leur impact sur l’avenir des paysans et producteurs de notre pays, Ibrahima SENE, 25 Septembre 2013)
Mais une chose est claire : nous ne paierons pas un seul centime des 15 millions de francs CFA que les quatre (04) de Wassadou ont été condamnés à verser à ce descendant d’un collabo de l’oppresseur colonial qu’est la France.
Une autre chose est claire : nous ne quitterons pas les terres de Wassadou.
Sama suuf, sama bakaan.

Guy Marius SAGNA
Dakar, le 11 Août 2014
Yoonu askan wi ngir mom sa reew
Mom sa reew ci yoonu askan wi