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Mauritanie : Interview de Biram Ould Dah ould Abeid

D 4 novembre 2011     H 05:08     A     C 0 messages


1.Haratine : La rapporteuse des nations-unies a constaté
que, malgré la loi 2007 criminalisant l’esclavage, les
pratiques esclavagistes n’ont pas disparu en Mauritanie.
Qui est à l’origine de cette mission de l’ONU ?
La rapporteuse et son équipe ont-elles bénéficié de la
liberté nécessaire pour accomplir leur mission ?

BDA : L’origine de la mission de la rapporteur des Nations-Unies
sur les formes contemporaines d’ esclavage est l’action de
lobbying inlassable de Sos.Esclaves et IRA-Mauritanie ainsi que
d’autres organisations abolitionnistes comme l’Association des
Haratines d’Europe et surtout l’appui d’organisations
internationales de droits humains comme Anti-Slavery
international entre autres.

Mais j’ai constaté que les milieux officiels en Mauritanie ainsi
que de pseudo-journalistes inféodés au système esclavagiste
mensonger ont voulu distiller dans l’opinion publique que la
venue de cette mission fait suite à la demande du gouvernement
mauritanien, ce qui est faux car la rapporteur elle même a
démenti cette information dans un point de presse. Le
gouvernement n’a donné son accord à cette visite que moins
d’une semaine avant son arrivée à Nouakchott. Donc, elle
craignait beaucoup que sa visite ne soit annulée par un système
habitué à narguer la communauté internationale.
La rapporteur n’a pas bénéficié de la totale liberté de
mouvement parce que les autorités ont utilisé l’alibi sécuritaire
pour empêcher la mission de découvrir beaucoup de sites autour
des villes et dans le monde rural qui en disent long sur la
condition de misère des populations serviles et sur la
responsabilité des pouvoirs publics dans la persistance de
l’esclavage et de ses dérivées qui sont non-moins graves et
illicites.

2. Haratine : Vous venez d’effectuer une longue tournée
en Europe sur le thème des droits de l’Homme. Votre
message sur les conditions dramatiques que vivent les
victimes de l’esclavage en Mauritanie a-t-il été
entendu par vos collègues et le public européens ?

BDA : Nos collègues membres de la société civile, intellectuels,
journalistes, syndicalistes ou élus commencent à mesurer à juste
hauteur l’ampleur du forfait de l’esclavage et pratiques analogues
qu’imposent la minorité arabo-berbère de Mauritanie à la majorité
composée de Hratin (esclaves et anciens esclaves ) et de Noirs
dans le pays. Nos amis d’Occident, des diplomates et le personnel
des organismes internationaux sont entrain de réaliser la duplicité
du système esclavagiste et raciste de l’oligarchie arabo-berbère et
cette phase de lucidité va les amener à comprendre qu’à l’instar
de l’ex régime d’apartheid le système en vigueur en Mauritanie
est un cancer dans le flanc de l’Afrique, un deuxième Prétoria en
Afrique de l’Ouest.

3.Haratine : Selon les autorités mauritaniennes, il
n’existe que des séquelles de l’esclavage dues à la
pauvreté des Haratine. Pourquoi adoptent-elles cette
attitude à l’égard des victimes ?

BDA : Cette attitude est une forme de négationnisme, et le
négationnisme est propre aux bourreaux qui ne sont pas
repentis . Les segments tribaux arabo-berbères dominants ont
depuis des siècles fondé un mode de vie basé sur l’esclavage et
pratiques similaires. La thèse des séquelles dans laquelle ils
étaient confortés par le rapport de 1983 qu’un responsable
onusien, de nationalité belge et du nom de Marc Bossuet a
produit au cour d’une mission identique que celle de la rapporteur
Gulnara Shahinian vient de voler en éclat. En effet, la rapporteuse
de l’ONU, à la fin de sa mission a livré des informations sur
l’ampleur de l’esclavage en Mauritanie, lesquelles informations
viennent démentir le rapport de Bossuet de 1983.

La thèse des séquelles facilite aux groupes dominants
esclavagistes qui détiennent les leviers de commande dans le
pays de se dédouaner de leur forfait continu, de poursuivre
l’arnaque des bailleurs de fonds internationaux et le
détournement de l’argent de la lutte contre la pauvreté à son
propre compte.

4. Haratine : Comment peut-on lutter contre la pauvreté
des Haratine ( thèse de l’Etat et des esclavagistes maures
) alors que la Charia et la tradition instaurent un système
d’exploitation des victimes de l’esclavage ? Ce système
est basé sur la Zakat(dîme religieuse), la
saddagha(l’aumône), la hëdiya(le don inventé par les
marabouts), l’achat de la liberté… au bénéfice des
Maures.

BDA : L’esclavage se pérennise tant que le système de
compartimentalisation sociale, pyramidal, hiérarchique,
endogame et farouchement discriminatoire, fondé sur une
légitimation multiséculaire, idéologique et religieuse de
l’esclavage, du travail esclavagiste, de la séparation des familles,
du travail des enfants et de la captation d’héritage..etc durera.

Ce système social repose sur l’exclusion des esclaves et anciens
esclaves, leur privation effective de l’éducation et de la formation
professionnelle, leur exclusion économique et de la propriété
foncière, leur expropriation systématique des terres viables et
cultivables au profit des féodalités tribales et théocratiques, des
milieux de l’agro-business et de la hiérarchie militaire ethniciste
arabo-berbère…etc. Tant que ce système de captation du labeur
des Hratin, des richesses nationales, de l’aide au développement
et de l’argent de la lutte contre la pauvreté par une oligarchie
ethnique et de classe n’a pas été déconstruit par une action
vigoureuse émanant de la base et capable de s’installer au
sommet du pouvoir et de l’exercer assez durablement, rien ne
pourra changer la donne de la pauvreté et de la paupérisation
des larges franges serviles de la population mauritanienne.

5. Haratine : On l’avait surnommé le candidat des
pauvres. Maintenant, on l’appelle « président » des
pauvres dont la majorité est haratine. Cette appellation
est-elle méritée ?

BDA : De mon point de vue, c’est un président comme tous les
autres qui l’ont précédé à la tête de l’Etat mauritanien depuis que
les Français ont légué le pouvoir aux arabo-berbères au détriment
des autres composantes nationales du pays ; c’est un président
des Maures qui met tout en oeuvre pour maintenir et renforcer les
fondements et l’ossature de l’Etat ethnique, esclavagiste et
nègrophobe que les arabo-berbères se sont taillés par le fer, le
sang et l’humiliation d’êtres humains au coeur du continent noir.

6. Haratine : Dans sa campagne présidentielle, le
candidat Ould Abdel Aziz avait ignoré la question de
l’esclavage et les moyens pour combattre ce fléau. Que
vous inspire cette attitude ?

BDA : C’est une démarche strictement conforme à la position
ethnique et de classe à laquelle ne dérogent que certaines
personnes rares et mises au banc de la collectivité-communauté
dominante ; tous les régimes qui se sont succédés en Mauritanie,
y compris le régime de l’intermède « démocratique » de Sidi
Mohamed ould Cheikh Abdallahi, ont d’une manière ou d’une
autre une démarche qui vise essentiellement le camouflage de ce
cancer dont souffre l’Etat, qui gangrène les relations inter et
intracommunautaires et qui prolonge le martyr de la composante
Haratin. Ceci dans le but de maintenir et d’assurer un bien-être et
un mode de vie auprofit de la communauté dominante ainsi que
des privilèges illicites du point de vue de tous les droits.

Cette attitude, hélas, dénote du mépris souverain que ces
dirigeants et leurs groupes réservent à leurs concitoyens implorés
par la dureté de ce phénomène et des multiples discriminations
qui se trouvent être ses séquelles.

7.Haratine : Vous êtes un militant abolitionniste engagé.
Comment voyez-vous l’avenir de ce noble combat ?

BDA : L’avenir de ce combat n’est pas parsemé de roses ; c’est
un combat qui devient de plus en plus difficile dans une ambiance
où le politiquement correct amène les plus grands militants à se
faire une image de « fréquentables » au prix de positions
tactiques ou stratégiques dont le maintien, advienne que pourra,
est nuisible à l’avancée de la cause des humbles et au triomphe
de la justice.

8. Haratine : Donnez-nous votre opinion sur les activités
que mènent l’Association des Haratine de Mauritanie en
Europe (A.H.M.E) et de son Site :
http://www.haratine.com/ et ce, huit ans après sa
création, le 13 Juillet 2001 ?

BDA : L’Association des Haratines de Mauritanie en Europe relaie
honorablement à l’étranger le combat que nous menons à partir
de l’intérieur, nous nous complétons parfaitement et l’apport de
cette association est indispensable au mouvement abolitionniste.
Le site quand à lui , il abat un travail d’information, de
documentation et de coordination colossal et extrêmement utile
pour l’avenir du pays tout entier.

9. Haratine : Votre dernier mot à nos lecteurs ?

BDA : La lutte continue.