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Tunisie : La Régente de Carthage

D 18 février 2010     H 17:21     A Gisèle F     C 0 messages


« La Régente de Carthage. Main Basse sur la
Tunisie », de Nicolas Beau et Catherine Graciet,
2009.

Le 1er octobre 2009 paraît aux
Editions La Découverte un livre
corrosif qui dérange
profondément le régime de Ben
Ali et surtout son épouse, Leïla
Trabelsi. Cette enquête explosive,
très documentée, est réalisée par
deux journalistes de Bakchich,
Nicolas Beau, directeur de la
rédaction, ancienne plume du
Canard Enchaîné, et Catherine
Graciet. Preuve de l’agacement du
pouvoir : dès l’annonce de sa
sortie, Leïla Trabelsi a introduit un
référé pour diffamation, dont elle
a été déboutée, pour en obtenir
l’interdiction de publication et de
diffusion, et les sbires de Ben Ali
ont organisé un « rassemblement
spontané » de protestation devant
les bureaux parisiens de La Découverte.
Cet ouvrage met en lumière le parcours et le rôle de Leïla, 52
ans, la Régente, qui, depuis son mariage en 1992, s’est donné pour
mission d’assurer les intérêts de ses 10 frères et soeurs, d’enrichir
et de favoriser les siens. Elle a ainsi permis l’émergence d’un clan
mafieux, accusé de faire main basse sur les fruits de la croissance
tunisienne, et de contrôler, sur fond de médiocrité intellectuelle, de
rapine et de corruption, les secteurs clés de l’économie tunisienne :
banques (en 2009, Belhassen, le frère préféré de Leïla, est nommé
administrateur de la Banque de Tunisie), transports aériens,
immobilier, éducation, concessions automobiles, compagnie de
taxis, etc. Une clique arrogante qui décide et dirige la
construction de résidences sur des terrains classés au
patrimoine historique, afin de les revendre à prix d’or, quitte à
révoquer, comme à La Marsa, un maire récalcitrant et toute son
équipe municipale.
Le livre relate également les frasques d’Imed Trabelsi, le
neveu, voyou grossier, sans scrupule, méprisant et amateur de
yachts de luxe (son goût des jolis bateaux va jusqu’au vol quasi
impuni du yacht du PDG de la banque française Lazard), qui a
lancé l’enseigne Bricorama en Tunisie, après en avoir évincé à la
déloyale les initiateurs du projet.
C’est aussi la question successorale qui est posée à travers
ce livre. Ben Ali malade, Leïla se verrait bien assurer la
continuité de son règne, à l’image de Wassila, femme d’un
Bourguiba vieillissant et affaibli. Et ce, malgré l’opposition de la
bourgeoisie d’affaires et de l’armée, peu favorables à une
dévolution familiale.
Les deux journalistes, interdits de séjour en Tunisie, ont
travaillé dans des conditions très difficiles. Ils ont été secondés
par de nombreuses sources d’informations, dont des Tunisiens
en exil qui ont eu le courage d’oser parler. Ces sources sont à
présent menacées, y compris en France, et victimes d’une
violente campagne de diffamation orchestrée par le pouvoir
dans les médias tunisiens aux ordres, presse et Internet. Le
tout dans l’habituel silence complice de la France.
Comme tous les ouvrages critiques sur le régime, que ce
soit en matière de droits de l’homme ou d’atteintes aux libertés
fondamentales, ce livre est interdit en Tunisie par un pouvoir
qui ne songe qu’à étouffer toute velléité de contestation, et qui
a pour méthode de s’en prendre directement aux journalistes.
Mais malgré la censure, ce pamphlet riche en révélations
commence à circuler sous le manteau.

Gisèle Felhendler