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Externalisation des frontières européennes en Afrique : de la coopération au chantage

D 24 mai 2017     H 04:21     A FIDH     C 0 messages


Lors de son intervention à la soixantième session ordinaire de la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples qui a eu lieu à Niamey du 8 au 22 mai 2017, la FIDH a dénoncé la politique de coopération dans la lutte contre les migrations, menée par les pays membre de l’UE avec un certain nombre d’Etats africains, qui vise à empêcher les arrivées de migrant-e-s sur le territoire européen. Le choix de ces États de céder à ce chantage européen et d’accepter de surveiller la circulation des citoyennes et citoyens africain-e-s en jouant le rôle de « gendarmes de l’Europe » a des conséquences dramatiques en matière de violations des droits humains.

Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples 60ème session ordinaire - Niamey, 8 - 22 mai 2017 Externalisation des frontières européennes en Afrique : de la coopération au chantage

Madame la Présidente,
Mesdames et messieurs les Commissaires,

Plus de 30 millions1 de citoyennes et citoyens africains vivent aujourd’hui à l’étranger, un droit garanti par l’article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Moins de neuf millions2 d’entre eux sont installés en Europe tandis que la majorité3 se trouve simplement dans un autre pays du continent. Dans ce contexte, à défaut de faire preuve de solidarité, l’Europe développe une politique migratoire restrictive et sécuritaire afin d’empêcher par tous les moyens les arrivées sur son territoire. Pour édifier les murs de cette Europe forteresse, les États européens externalisent la gestion des migrations sur le continent africain. Pour ce faire, ils conditionnent souvent leur coopération économique à la militarisation des frontières, à l’augmentation des moyens de contrôle et à la signature d’accords migratoires défavorables à la majorité des citoyennes et citoyens africains qui souhaitent circuler à l’extérieur de leurs pays. Une politique qui entrave même la circulation à l’intérieur du continent et s’apparente à un véritable chantage.

Madame la Présidente,
Mesdames et messieurs les Commissaires,

La décision d’un certain nombre d’États africains, d’origine et de transit, d’accepter de surveiller la circulation des citoyennes et citoyens africains en jouant le rôle de « gendarmes de l’Europe » a des conséquences dramatiques. Les accords migratoires conclus de manière bilatérale avec des États membres de l’Union européenne ou avec l’Union elle-même sont nombreux, négociés dans une grande opacité et souvent sans contrôle démocratique.

Puisque les causes de la mobilité de ces millions de personnes demeurent réelles et fondées, les départs sont toujours aussi nombreux et ces politiques répressives ont pour seules conséquences de les obliger à emprunter des routes plus dangereuses, au long desquelles elles subissent de multiples violations de leurs droits, allant parfois jusqu’à la mort. Cela doit cesser.

Le gouvernement du Niger, par exemple, qui bénéficiera de 140 millions d’euros sur les fonds fiduciaires de La Valette, se montre particulièrement coopératif pour lutter contre les migrations vers le Nord. Au mépris des règles de libre circulation du protocole de la Cedeao, le pays s’est engagé à installer des centres de rétention sur son territoire et à recevoir les nationaux ou étrangers qui auront été expulsés d’Europe. Les États d’Afrique du Nord comme la Tunisie, le Maroc, l’Algérie ou l’Égypte ont accepté la signature d’accords de réadmission qui consistent à accepter l’expulsion vers leur sol de personnes qui demandent l’asile en Europe.

Par ailleurs, l’UE n’hésite pas à engager des partenariats avec des États particulièrement répressifs, qui voient ainsi leur capacités renforcées pour empêcher la mobilité des personnes qu’ils persécutent. Il s’agit par exemple du Soudan, dont le président fait l’objet de deux mandats d’arrêt de la Cour pénale internationale pour génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre, ou de la Libye, pays en crise profonde, où les violences à l’égard des personnes migrantes sont systématiques et qui devrait recevoir 200 millions d’euros pour renforcer la surveillance de ses frontières afin d’empêcher les départs vers les côtes européennes.

Madame la Présidente,
Mesdames et messieurs les Commissaires,

La FIDH et ses 40 organisations membres sur le continent s’inquiètent du développement de ces accords, qui sont non seulement des preuves de la persistance des rapports néocoloniaux entretenus avec les États européens, mais qui constituent surtout des signaux d’alerte graves en matière de violation des droits des ressortissantes et ressortissants africains. Accepter de se soumettre au chantage de l’Union européenne et aux intérêts des multinationales de la sécurité et de l’armement pour empêcher les africaines et les africains de se déplacer a pour unique conséquence de les mettre davantage en danger sur des routes périlleuses et dans des pays qui bafouent leurs droits.

5 000 personnes sont mortes en Méditerranée en 2016, et déjà plus d’un millier y sont décédées en 2017, faisant de cette frontière la plus meurtrière au monde. Les décès lors de la périlleuse traversée du Sahara se multiplient. En Libye, des ressortissantes et ressortissants venus de tout le continent sont victimes de viols, de torture et de mise en esclavage. Au Maroc, les personnes qui tentent d’atteindre les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla subissent les violences de la police. Au Soudan, de nombreux Érythréens, en transit vers le Nord, sont interceptés et expulsés vers leur pays d’origine, où ils risquent d’être persécutés par un régime extrêmement répressif. En Afrique du Nord, les personnes expulsées par l’Europe dans le cadre des accords de réadmission sont susceptibles d’être détenues arbitrairement, soumises à de mauvais traitement ou renvoyées vers leur pays d’origine où elles risquent d’être persécutées.

Madame la Présidente,
Mesdames et messieurs les Commissaires,

La FIDH plaide sans relâche auprès des dirigeants de l’Union européenne et de ses États membres pour infléchir la politique migratoire sécuritaire et meurtrière menée par l’Europe. Nous savons aussi que dans ces négociations, les rapports de force sont inégaux. La FIDH salue néanmoins les prises de position certains leaders politiques africains qui ont dénoncé cette politique lors du Sommet européen de la Valette sur la migration en novembre 2015. Elle salue également la décision récente du Mali, qui, malgré l’existence d’un accord de réadmission avec l’Union européenne, a refusé de recevoir deux personnes expulsées par la France , au motif qu’ils ne disposaient pas de papiers officiels prouvant leur nationalité mais de simples « laissez-passer européens ».

La FIDH demande à la Commission :

 de prendre publiquement position contre cette politique d’externalisation des frontières et les violations des droits des personnes migrantes qui en résultent ;
 d’appeler les dirigeants africains à s’opposer au chantage de l’Europe et à refuser de jouer le rôle de gendarme de l’UE. Les États, et en particulier les cinq pays visés en priorité par les projets de « Migration Compact » du Conseil européen, à savoir le Sénégal, le Mali, l’Éthiopie, le Niger et le Nigeria, doivent refuser de signer ces accords de coopération, sources de violations des droits humains.
 d’inciter les États à placer la question du développement de voies migratoires légales et sûres au cœur de leurs négociations avec l’Union européenne et ses États membres.
 de rappeler la nécessité pour les États africains de développer des politiques migratoires fondées sur le respect des droits humains.