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Cinq questions pour comprendre la législation belge anti-fonds vautours

D 18 juillet 2017     H 05:02     A Jean-François Pollet     C 0 messages


La législation belge s’oppose aux manœuvres des fonds procéduriers qui cherchent à détourner des pays du Sud mais aussi du Nord des fonds indispensables à leur développement. Cette avancée législative, une première mondiale de par son envergure qui pourrait servir d’exemple, est contestée devant la cour constitutionnelle belge, par NML Capital, un fonds vautour particulièrement agressif. Trois ONG belges, dont le Comité pour l’abolition des dettes illégitimes (CADTM), ont fait une demande d’intervention volontaire auprès de la cour constitutionnelle. Comment comprendre cette démarche ?

Qu’est-ce qu’un fonds vautour ?

Des fonds spéculatifs se sont spécialisés dans le rachat au rabais de créances douteuses pour en réclamer ensuite le remboursement intégral. Lorsqu’un pays est au bord du défaut de payement, comme c’est arrivé dans les années 80 et 90 à la plupart des pays du Sud et plus récemment à la Grèce et au Porto Rico, la valeur des titres détenus par ses créanciers s’effondre puisque le risque est élevé que ces titres ne soient jamais remboursés ou alors très partiellement. « Ces fonds procéduriers, précise Arnaud Zacharie, secrétaire général du CNCD, rachètent des créances de pays en difficulté à bas prix sur le marché secondaire, attendent que leur situation financière s’améliore puis réclament le remboursement de la valeur faciale du titre financier, dans l’espoir de toucher des profits tout à fait indécents de 1 000 à 4 000 %, ce qui leur vaut le surnom de fonds vautours. »

Comment ont-ils opéré en Argentine ?

Leur dernière victoire, les fonds vautours l’ont remportée sur l’Argentine en avril dernier. Il y a quinze ans, en 2001, ce pays d’Amérique latine se déclarait en défaut de payement pour 100 milliards de dollars et impose à ses créanciers privés une décote de 70 % de sa dette. En 2010, 93 % des créanciers acceptent formellement cette décote. Mais les 7 % de créanciers restants, emmenés par NML Capital, filiale d’Elliott Management Corporation, installée aux îles Caïmans, un paradis fiscal, multiplient les procédures judiciaires pour se faire rembourser la valeur faciale de leurs créances, plus, si possible, des intérêts de retard. En juillet 2012, le juge new-yorkais, Thomas Griesa, leur donne gain de cause, précisant que Buenos Aires doit les rembourser au même rythme que les créanciers qui ont accepté de restructurer la dette. « Le juge Griesa, poursuit Arnaud Zacharie, a interprété de manière très rigide le droit des contrats, sa vision a créé une jurisprudence. » En 2014, la Cour suprême américaine confirmait la décision du juge. Tant qu’elle fut au pouvoir, la présidente péroniste Cristina Kirchner, dont le mari avait imposé la restructuration de la dette, a refusé de se plier à la décision de la justice américaine pour ne pas desavantager les 93 % de créanciers qui avaient accepté la restructuration de la dette et éviter que le pays ne retombe dans le surendettement vu les montants exigés par les fonds vautours. préférant suspendre intégralement le remboursement de la dette argentine, même les 97 % de créances renégociées. Cette position est très difficile à tenir, car elle exclut l’Argentine des marchés financiers internationaux. Aussi, son successeur, le libéral Mauricio Macri, arrivé au pouvoir en décembre dernier, a accepté de rembourser les fonds vautours. NML Capital devrait empocher près de 2 milliards de dollars, pour des créances rachetées 80 millions de dollars, soit 25 fois leur valeur.

Pourquoi les fonds vautours ciblent la Belgique ?

Pour recouvrer leurs créances, les fonds vautours intentent des procès partout où il est possible de saisir des fonds et de se les faire remettre. Or la Belgique est le siège d’Euroclear qui règle les transactions internationales sur les dettes privées et publiques, ainsi que les actions. De nombreux pays qui ont renégocié leurs dettes remboursent leurs créanciers via Euroclear. C’était le cas du Pérou dont la dette avait été restructurée en 1996 par le plan Brady. En 2000, Elliott Management demande à la justice belge de faire bloquer par Euroclear les remboursements du Pérou à ses créanciers. « Alors que le Pérou se débattait dans ses ennuis financiers, explique Renaud Vivien, co-secrétaire général du CADTM, le fonds avait racheté pour 11 millions de dollars, une créance sur le Pérou d’une valeur faciale de 20 millions. Le fonds s’était ensuite tourné vers la justice américaine pour réclamer le remboursement de l’intégralité de la dette plus des intérêts de retard. Et il a obtenu gain de cause, puisque le tribunal lui a reconnu une créance d’une valeur de 58 millions de dollars. » Le fonds avait alors le feu vert pour faire saisir les biens du Pérou partout où c’est possible. Ce qu’il fit dans les années 90, en demandant à la justice belge de bloquer les fonds péruviens qui transitent par Euroclear. « Le 26 septembre 2000, note Renaud Vivien, la cour d’appel de Bruxelles donne raison au fonds vautour bloquant ainsi les remboursements péruviens. Un autre fonds intentera une action similaire contre le Nicaragua en 2003 et obtiendra un jugement favorable auprès du tribunal de commerce de Bruxelles, celui-ci sera cependant réformé en appel. »

Pourquoi la Belgique a-t-elle légiféré contre les fonds vautours ?

En 2007, la saisie par le fonds Kensington international, qui fait partie du groupe Eliott, de 10,3 millions d’euros déboursés par la coopération belge pour une centrale thermique au Congo-Brazzaville, indigne la classe politique belge. Le 6 avril 2008, le parlement adopte une loi qui empêche la saisie de fonds publics destinés à la coopération internationale. Les avancées législatives belges auront un effet d’entraînement puisque deux ans plus tard, le Royaume-Uni adopte le « Debt Relif Act » qui impose à tous les créanciers les réductions de dette négociée dans le cadre de l’initiative pays pauvres très endettés.

Le 12 juillet 2015, la Belgique adopte une nouvelle loi contre les fonds vautours. Celle-ci permet aux juges belges saisis de limiter le droit au remboursement d’une créance à la valeur à laquelle celle-ci a été achetée. « La loi s’applique, commente Renaud Vivien, si le juge constate un « avantage illégitime » résultant d’une différence falgrante (« une disproportion manifeste » dans le texte de la loi ) entre le prix d’acquisition d’une créance et le montant réclamé par le créancier. L’existence de cette disproportion est une condition indispensable mais non suffisante pour que la loi s’applique. Car le juge doit constater une autre condition parmi celles listées dans la loi comme le fait que : le créancier utilise de manière systématique des procédures judiciaires, qu’il refuse de participer à des restructurations de dettes, qu’il est basé dans un paradis fiscal, que sa demande de remboursement a des conséquences néfastes importantes sur le développement du pays. Si deux conditions au minimum sont réunies, le juge pourra alors limiter le remboursement de la créance à sa valeur de rachat. »

Quelle est la bataille juridique en cours ?

Le 2 mars 2016, NML Capital a introduit un recours en annulation de la loi du 12 juillet 2015 devant la Cour constitutionnelle. « Le fonds estime que la loi viole son droit de propriété, explique l’avocat Oliver Stein. « Mais, la loi belge ne prive pas les créanciers de leur créance. Quoiqu’il en soit, il ne peut pas être considéré que le législateur porte atteinte au droit de propriété dès qu’il en encadre l’exercice, y fixe des limites ou empêche qu’il en soit fait un usage abusif. Le raisonnement avancé par NML Capital reviendrait à considérer comme attentatoire au droit de propriété une grande partie du droit belge, que ce soit l’interdiction et l’annulation des clauses abusives, la réduction des clauses pénales excessives, les lois qui encadrent les baux ou la théorie de l’enrichissement sans cause. » Oliver Stein a été engagé par trois ONG belges, le Comité pour l’abolition des dettes illégitimes, le CNCD-11.11.11 et son homologue flamand, 11.11.11, pour faire une intervention volontaire dans la cause opposant l’Etat belge à NML Capital. « En tant qu’ONG, conclut Arnaud Zacharie, nous défendons avant tout les populations du Sud déstabilisées par les manœuvres des fonds vautours, nous voulons défendre une loi qui a été adoptée par l’ensemble des forces démocratiques du pays. En nous emparant du dossier, nous pouvons faire valoir nos arguments devant la cour. » La loi belge contre les fonds vautours est elle anticonstitutionnelle ? Réponse dans un à deux ans.

Jean-François Pollet