Vous êtes ici : Accueil » Communiqués / luttes et débats » Livres Etudes Débats » Dépasser l’obsession électoraliste

Dépasser l’obsession électoraliste

D 16 décembre 2016     H 05:59     A Acheikh IBN-OUMAR     C 0 messages


Oppositions africaines. Déconsidérées, rarement capables de proposer des projets de société s’appuyant sur un travail de terrain et une réflexion idéologique, elles se contentent de se dire pour la « démocratie » et la « bonne gouvernance », en visant avant tout le pouvoir. Mais pour quel changement social face aux bouleversements du monde ?

Au commencement, l’Afrique vivait sous la dictature ; puis vint le président Mitterrand et dit : « Que la démocratie soit ! » et la démocratie fut ! C’est une opinion très répandue que la démocratisation dans nos pays fut lancée par le fameux discours de la Baule, en juin 1990.Cette présentation est à la fois fausse et dangereuse.

Le débat sur le passage au pluralisme s’ouvrit au Cap Vert et à Sao Tomé-et-Principe bien avant, et la tenue d’élections pluralistes fut acquise en 1989. En décembre de la même année, au Bénin, fut créé le comité de la conférence nationale.

En fait, les crises sociales nées des plans d’ajustements structurels (PAS) et les blocages politiques d’une part, et la fin de l’Apartheid augurée par la défaite de l’Afrique du Sud et de l’UNITA à la bataille de Cuito-Cuanavale, en angola, et par la libération de Mandela d’autre part, avaient fragilisé le modèle du parti-Etat. Et si influence extérieure il y eut, ce fut plutôt la vague venue de l’Europe de l’Est.

Mitterrand saisit très vite l’irréversibilité de la revendication démocratique et, en fin politicien, se donna le rôle du coq dont le chant ferait se lever le soleil.Plus sérieusement, la croyance en une démocratie offerte par la France, en écho aux indépendances « données » par De Gaulle, est un handicap politique. A chaque crise, des opposants multiplient les cris de détresse en direction de l’ancienne métropole, suivis de la dénonciation véhémente de la « Françafrique » et de l’ « hypocrisie de l’Occident », en cas de déception.

LAISSEZ TOMBER L’ « ASSISTANAT DEMOCRATIQUE » !

Investir la communauté internationale (assimilée en réalité aux puissances de l’OTAN) d’un devoir – qui se transforme en droit- de régler, et à la va-vite, les problèmes internes, provoque parfois des cataclysmes historiques, comme en Libye, Irak, Syrie …

Ce principe d’ « assistanat démocratique » conforte les préjugés véhiculés par les médias, dissolvant la grande variété de nos cinquante-cinq Etats, dans l’image d’une Afrique ployant uniformément et éternellement sous la dictature, et attendant le salut l’extérieur.

Elle est surtout le symptôme des faiblesses de l’opposition ; dont la première est justement la non prise de conscience de ces faiblesses ; la dénonciation des pouvoirs en place constituant « l’horizon indépassable » de la réflexion.
Proclamer : « Nous, l’opposition ! », n’a pas de sens. On imagine mal, en France, le Front national et le Parti communiste s’identifier ensemble comme « l’opposition ». Les mouvements politiques se définissent par leur référant idéologique, base sociale, type d’organisation, et thèmes de mobilisation.
L’Afrique avait connu les identifications clivantes : « indépendantistes vs intégrationnistes », « progressistes vs modérés », etc. Mais de nos jours, il est difficile de percevoir les différences idéologiques. Tout le monde se dit pour la « démocratie » et la « bonne gouvernance ». Ce ralliement inconditionnel et unanime à ce qui est en réalité la bonne vieille idéologie libérale du 19ème siècle européen, s’accompagne curieusement par une violence verbale outrancière, jusqu’à l’apologie fascisante de la « pureté biologique » et la violence physique.

OU SONT VOS PROPOSITIONS DE TRANSFORMATION SOCIALE ?

« L’authenticité », le marxisme, le panafricanisme, la « Troisième théorie » … claironnées par Mobutu, Mengistu, Sekou Touré et Kadhafi, ont créé une allergie contre tout discours idéologique. Mais au-delà de leur bilan, les régimes postindépendance avaient tenté de répondre à la question essentielle qui se posait à tout Etat naissant : la construction nationale. On comprend alors que les systèmes issus des mouvements de libération très structurés (Algérie, Afrique du Sud, Mozambique…), au-delà des spécifités, étaient naturellement plus outillés pour formuler des solutions consistantes à cette question.

Nous faisons toujours face au défi d’élaboration des schémas fondamentaux répondant aux problèmes posées par l’évolution historique de nos sociétés.
Aussi, le critère fondamental n’est pas la distinction entre pouvoir et opposition, mais l’engagement dans la transformation sociale ; laquelle inclut la compétition politique mais ne s’y réduit pas. Les partis parlent souvent de leur « projet de société », donnant l’impression d’une prise de conscience de cette dimension socio-historique ; mais à l’examen, ces « projets de société » s’avèrent des catalogues assez banals de réformes et promesses électorales.

En pratique, ces partis ne se réveillent que pendant les élections. Le peuple se mobilise, galvanisé par la promesses d’une victoire inévitable. Et patatras ! Au pis, l’alternance tant attendue se dérobe une nouvelle fois et, au mieux, l’alternance n’améliore en rien le quotidien des citoyens. Situation résumée par les jeunes Burkinabè :« Ali Baba est parti, mais les quarante voleurs sont toujours là ! ».

OUBLIEZ L’ETHNICISME ET LE PRET-A-PORTER UNIVERSALISTE

Les élections ne sont pas inutiles pour autant. L’alternance pacifique est évidemment préférable à l’auto-enfermement des pouvoirs dans une logique d’« après moi, le déluge ». Mais il est vital de comprendre que les changements électoraux ne sont qu’un aspect, pas toujours le plus essentiel, ni le plus urgent, de la lutte. C’est la société, toute la société, qu’il faut transformer, tous les jours et dans la durée. Les partis sont à la fois une arme, parmi d’autres, et une cible de cette transformation sociale.

L’obsession électoraliste passe à côté de l’essentiel et produit des effets pervers. Elle provoque l’émiettement politique. Il y a souvent cent, deux cent partis par pays. Car même avec un score infime, on peut marchander son ralliement au pouvoir à un prix financier et politique extravagant. Elle conduit aussi aux solutions de facilité dans l’implantation, mêlant les raccourcis de la fibre ethnique au prêt-à-porter universaliste (développement durable, féminisme, …) . Ainsi, les partis dominants « minoritaires » affichent un visage national, alors que les partis qui se disent « patriotiques » ont une forte coloration communautaire.

Il y a aussi le découplage avec le mouvement social. La société civile est utile pour faire pression sur le pouvoir, mais dès qu’elle exprime des objections politiques, pouvoir et opposition s’accordent pour lui rappeler qu’ « elle sort de son rôle ».

Les rapports avec la masse paysanne, perçue comme simple vivier électoral, sont inexistants. Il n’y a pas d’études sur ses conditions de vie et de travail. Il est bien loin l’exemple d’Amilcar Cabral qui, à la fin de ses études d’ingénieur agronome, sillonna les campagnes, réalisant des enquêtes approfondies, en préparation du mouvement indépendantiste Parti Africain pour l’Indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC).

CREEZ LES OUTILS POUR IMPLIQUER LES CITOYENS

Les rares chercheurs qui s’intéressent à la vie des partis ne trouvent aucun document significatif, à part les statuts, règlements intérieurs et autres communiqués, qui sont des plates variations à partir de mêmes modèles. Mais point de bulletins intérieurs, revues théoriques, brochures de formations, enquêtes monographiques ou centres d’études.

Ces outils sont indispensables pour la caractérisation de l’étape historique, l’appropriation de la chose politique par les citoyens et la construction d’automatismes collectifs d’analyse et d’action.
Ainsi s’explique par exemple le manque de motivation pour les cotisations, nécessaires à l‘indépendance financière et politique et à l’enracinement du lien militant.

L’absence de ligne générale assimilée par l’ensemble, amène le chef à décider de tout, reproduisant ainsi la gestion individualiste reprochée au pouvoir. D’où les retournements d’alliance, la précarité des partenariats et la multiplication des scissions.

Les rapports avec les autres pays sont presqu’inexistants. Par exemple, les partis africains se réclamant du « socialisme démocratique » ne se retrouvent que lors des congrès du Parti socialiste français. Alors qu’il y a beaucoup à apprendre dans l’histoire politique et les expériences des mouvements à travers le continent.

LE VRAI RÔLE DU LEADERSHIP

Un observateur pressé fera la distinction entre une Afrique pleinement démocratique, semi-démocratique et anti-démocratique ; un autre donnera la priorité aux performances économiques ; et un troisième à la stabilité. La qualité du processus électoral n’est qu’un élément parmi d’autres. Il y a d’autres impératifs, comme l’Etat de droit, la promotion du mérite, la gestion des diversités culturelles, la collégialité dans les instances, la pertinence des choix économiques, la souveraineté nationale, etc. Et aussi des impératifs spécifiques comme les réponses à l’extrémisme religieux et les fondements de l’identité nationale.

L’Afrique comme d’autres régions du monde est simplement dans une phase de transition historique où tous ces impératifs s’entremêlent. Le rôle du leadership est de trouver un agencement judicieux et lisible de ces impératifs. Aucun pays, même dans les cas extrêmes de la Somalie ou le Sud-Soudan, n’est en dehors de cette marche. C’est une question de rythme et de vision. Et surtout de confiance aux ressources morales du peuple.

Les militants de la transformation sociale doivent comprendre cette multiplicité complexe, se départir de l’obsession électoraliste et déployer leurs projets dans le long terme, l’enracinement populaire et le transfert générationnel.

Acheikh IBN-OUMAR

Source : https://yedina.net

(chronique publiée dans le magazine Afrique-Asie N°132, de novembre 2016)