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DES OBJECTIFS DU DÉVELOPPEMENT DU MILLENIUM AU DÉVELOPPEMENT DURABLE

D 17 août 2015     H 05:31     A Boniface Mabanza     C 0 messages


A la différence des pratiques des religions africaines traditionnelles, dans laquelle le changement de nom d’une personne ou d’une communauté indique toujours un changement de caractère, l’aide au développement a continuellement généré de nouveaux programmes sans changer l’essentiel. L’histoire du développement a une histoire de remplacement de slogans sans la moindre conséquence visible sur les pratiques de développement. Que l’on désigne les choses sous le terme de modernisation ou de changement social, commerce au lieu d’aide, soutien centré sur les besoins fondamentaux, durabilité ou l’initiative de la dette, bonne gouvernance, droits humains ou même auto centrisme et dissociation, le cadre de référence demeure orienté vers la croissance, les ressources et des modèles économiques requérant beaucoup d’énergie ainsi que les modèles sociaux, provenant toujours de l’hémisphère Nord.

Le modèle de développement de rattrapage, selon lesquels les pays classés comme "sous-développés" doivent s’efforcer de reproduire le modèle occidental, a été constamment maintenu et justifié. Le projet du millénaire représente le dernier chapitre de cet exercice, à ce jour, trompeur.

LE CHEMIN VERS LES OBJECTIFS DE DEVELOPPEMENT DU MILLENAIRE (ODM)

Le chemin menant au projet du millénaire a été long. Il a été principalement en relation avec lesdites conférences mondiales des années 1990 (Rio, Johannesburg, Beijing…) Sous les auspices des Nations Unies, la communauté internationale s’est mise d’accord pour des objectifs précis de développement en l’an 2000. Lors desdits sommets du Millénaire, les chefs d’Etat et de gouvernements ont pris acte de la situation inégale du développement humain dans le monde et ont accepté d’en partager la responsabilité pour préserver deux principes dans le monde entier : la dignité et l’égalité (Programme de développement des Nations Unies 2002). Ils ont annoncé leur soutien à la liberté, la démocratie et les droits humains et ont en outre formulé huit objectifs afin de parvenir au développement et éliminer la pauvreté, ce dernier objectif devant être atteint en 2015. Quatorze années ont passé et le résultat donne à réfléchir.

Les Odm se sont rapidement établis comme cadre de référence normatif pour la collaboration au développement dans le monde entier. Dans le sillage de l’élaboration des Odm, la réduction de la pauvreté et le développement ont été une fois de plus considérés comme une tâche commune. Pour la première fois, la communauté internationale a réussi à se mettre d’accord sur un catalogue étendu et partagé d’objectifs. Ainsi des objectifs orientés vers des résultats ont été établis. Stimulé par le symbolisme du nouveau millénaire, les protagonistes ont élevé leurs objectifs comme marquant le début d’une ère nouvelle.

Les Odm se sont avérés immensément appropriés pour mener des campagnes. Toutefois, mon expérience personnelle en Allemagne montre que les réactions au projet du millénaire étaient diverses selon les différents groupes, le degré de politisation étant déterminant. Cependant que certains groupes estimaient juste l’orientation des Odm vers la satisfaction des besoins fondamentaux, d’autres ont demandé pourquoi les politiciens s’efforcent de rendre les Odm attrayants pour un groupe dans le monde, comme l’a fait le gouvernement allemand dans le contexte de son programme d’action de 2015. La réaction de groupes opposés aux Odm s’avère encore plus problématique : ils ont limité leur implication à demander des comptes aux politiciens quant à leurs responsabilités en ce qui concerne les objectifs tout en ne croyant pas à la faisabilité du projet.

LES OBJECTIFS DE DEVELOPPEMENT DU MILLENAIRE : CULTIVER UNE ILLUSION NUISIBLE

Bien que les Objectifs soient sélectifs et pas franchement ambitieux, leur échec ne peut être nié plus longtemps. [1] Après 14 ans, les résultats sont embarrassants. Malgré des différences régionales substantielles, il est certain que pas un seul pays n’atteindra tous les objectifs. Chose intéressante, chaque fois qu’un succès est mentionné en ce moment, ils sont principalement le fait de la Chine ou de l’Inde qui ont toujours été très sceptiques en ce qui concerne les recommandations des agences internationales de développement. Ceci semble montrer l’importance de politiques économiques indépendantes et nationales [2] comme moyen de succès dans une économie globalisée.

Pour commencer, le financement de ces mesures n’était pas assuré, mettant ainsi l’authenticité du projet en cause. La nécessité de trouver de nouveaux financements, qui ne soient pas de l’argent public provenant de l’aide étrangère, volontaire et fluctuante, a été reconnue. Mais ces nouvelles sources comme des taxes internationales (taxation des transactions, taxe sur les billets d’avion) ont été insuffisamment mises en pratique. De plus, il doit être souligné que la question complexe de la pauvreté des masses ne peut se réduire à la mobilisation de ressources financières afin de juste éliminer les symptômes. Le problème le plus important est la question des causes structurelles de la pauvreté au niveau national ainsi que global : par quels mécanismes les pauvres sont-ils exclus de la richesses dans leurs pays ? Les structures dominantes du commerce international permettent-elles aux pays pauvres de réaliser leur potentiel ?

C’est là que la focalisation sur l’aide étrangère et la mobilisation de davantage de ressources financières obscurcit les racines du problème. C’est supposé nous faire oublier que la lutte contre la pauvreté et ses causes ne sont que rarement placées au centre l’effort international. Plutôt, les intérêts économiques et géostratégiques de donateurs et des élites des pays pauvres sont prévalents. Les intérêts particuliers et à court terme empêchent un débat effectif sur la nécessité d’une politique globale orientée vers la paix.

Les objectifs formulés dans la Déclaration du Millenium ne peuvent être atteints parce qu’ils ne remettent pas en cause les conditions économiques générales prévalentes. Les Odm n’étaient qu’une lutte cosmétique contre des symptômes causés par un système économique qui, structurellement, produit de la pauvreté. Une compréhension limitée de la pauvreté et du développement sous-tend les Odm. Les droits humains, la démocratie, la bonne gouvernance et la paix ne sont pas même pris en considération dans les Odm et la dimension écologique est négligée.

Le problème du développement de la pauvreté de masse a augmenté dramatiquement, en particulier depuis le début de la 3ème décennie du développement. Il est maintenant largement reconnu que les mesures liées aux programmes d’ajustement structurel (comme la libéralisation, la dérégulation et la privatisation) ont en fait produit des résultats économiques douteux, avec un coût social et écologique exorbitant. Toutefois, le monde n’a rien appris de cette expérience : "Sous le couvert du discours des Odm le consensus néolibéral s’est renforcé, lequel considère que la libéralisation du commerce et la participation du secteur privé comme instrument central dans la lutte contre la pauvreté, est entièrement en accord avec les intérêts des acteurs globaux (…) Les Odm imposent encore à des pays des mesures qui ont partout échoué, là où elles ont été établies pour réduire la pauvreté". [3]

Les politiques du Nord ainsi que les élites des pays concernés ne sont aucunement dignes de confiance : il n’y a pas de cohérence et de nombreuses directives sont en porte à faux avec la réalisation des objectifs de développement des Nations unies. Ceci est illustré par exemple par l’accord de TRIPS qui met en péril le droit aux soins de santé, ou par les accords sur la pêche qui sont en contradiction avec la souveraineté alimentaire. Les antinomies entre, d’une part, les objectifs de développement et d’autre part, les objectifs économiques étrangers et de politique de sécurité, mettent encore davantage en péril l’actuel projet des objectifs de développement durable (Odd)

LE DANGER IMMEDIAT : LES DISCOURS CREUX

Après le sommet de la Terre de Rio de Janeiro en 1992, le terme "durabilité" s’est répandu. Quelque 178 Etats se sont accordés pour des standard de politiques environnementales et de développement, supposées offrir les mêmes possibilités à tous les pays et à tous les peuples en même temps qu’ils prennent en compte les intérêts des générations futures. Le point central était de protéger l’écosystème global, d’une part et, d’autre part, garantir le développement économique. La formule du compromis était le principe directeur du "développement durable", constitué du triangle de l’économie, de l’écologie et de la société. Ceci repose sur la reconnaissance du fait que les problèmes environnementaux et sociaux ne peuvent être dissociés.

Vingt ans après Rio, nous avons échoué à orienter le développement de sorte à respecter les frontières écologiques. Dans ce contexte, il est nécessaire de développer des alternatives à l’actuel modèle de croissance globale, un modèle de société qui n’ignore plus les limites matérielles, mais en tirent les conclusions. Comment peut-on harmoniser ce genre de durabilité avec les politiques de développement dominantes (y compris les accords de partenariat économique, la Ceta, les Ttip, etc.) qui sont supposés produire davantage de liberté de commerce, ou avec le constat que la culture du soja et du biocarburant, ajouté à l’élevage intensif, détruisent les marchés africains ?

Bien que de nouveaux potentiels s’ouvrent grâce aux ressources efficaces et les innovations technologique, personne ne peut croire que le chemin choisi de croissance économique constante peut mener à une réconciliation équitable entre les intérêts des riches et des pauvres ou les générations présentes et futures d’une façon durable.

LES CHEMINS AFRICAINS DE DEVELOPPEMENT COMME MODELE URGEMMENT REQUIS POUR DE NOUVELLES PERSPECTIVES

La question de savoir comment créer une bonne vie pour chacun dans la société et l’ordre sociopolitique juste est cruciale pour la société civile. L’écrivain Ben Okri notait en 2008 : "Nous devons ramener dans la société une raison plus profonde de vivre. Le malheur dans tant de vies devrait nous dire que le succès à lui seul ne suffit pas. Le succès matériel nous a amené à une étrange faillite spirituelle et morale".

La durabilité ne peut être simplement mise en œuvre politiquement. Des préconditions doivent être remplies qui sont en relation avec le développement intérieur de le chaque être humain. L’esprit et la raison peuvent contribuer à décrire les problèmes et à trouver des solutions, mais le comportement adéquat demande l’individu dans son entier, ses sentiments, sa morale, son cœur. L’empathie et l’attention à nos frères humains ainsi que pour la nature sont deux éléments du processus. En Afrique, il y a des espaces où ces valeurs sont vécues en dépit des pressions extérieures. Ces espaces représentent la contribution africaine à la discussion sur le futur global. Toutefois pour la société civile africaine, il y aussi le besoin d’articuler comment, jusqu’à ce jour, le continent africain a été seulement l’objet de l’histoire des autres. Afin de devenir le sujet de sa propre histoire il est nécessaire de dire deux fois "assez". Assez d’orientation vers l’extérieur. Les élites africaines se sont soumises à l’illusion que les investissements directs étrangers résoudront tous les problèmes. Même en Occident, les forces politiques et sociales perdent du terrain devant le pouvoir des compagnies et de "bancocrates".

Dans ce contexte, il est particulièrement important de centrer son attention sur le rôle de l’aide étrangère qui est soit complètement mal interprétée ou délibérément communiquée de façon incorrect. L’aide étrangère est de la corruption parce qu’elle corrompt les politiques gouvernementales. En compensation de l’aide étrangère, les gouvernements africains sont contraints d’augmenter la marge de manœuvre des donateurs. Ceci est en effet une forme de corruption. Les élites africaines profitent généralement du système et par conséquent croient en la rhétorique humanitaire du discours du développement au lieu de déconstruire ses côtés sombres. Raison pour laquelle des organisations de la société civile comme Alternatives to neoliberalism in Southern Africa (Ansa) compte sur des changements provenant de la base.

Ansa définit le développement de façon plus large. Dans cette définition sont inclus les droits humains, le droit des communautés locales et le droit à l’autodétermination nationale et régionale. C’est cette autodétermination qui permet aux populations d’insister sur des droits fondamentaux (accès à l’eau, à l’électricité, aux soins de santé et à l’instruction) qui ne peuvent être privatisés et abandonnés au marché libre. Le marché n’est pas un agent neutre pour une distribution équitable des ressources. Par conséquent c’est le devoir de l’Etat de pourvoir à la redistribution en conformité avec des principes éthiques. L’Etat est responsable et l’on peut, tout bien considéré, lui demander des comptes.

En ce moment l’autodétermination est immensément importante parce qu’il n’y a pas d’empreinte africaine dans les programmes mis en œuvre jusque là (Asap [6], Hipc, Prsp…) Là ou la déclaration de Paris parle "d’appropriation", elle est liée au discours dominant du développement du consensus néolibéral. Par opposition, Ansa comprend l’appropriation comme la capacité de prendre son propre destin en main et non la capacité de définir un programme de développement qui permette à des protagonistes externes d’intervenir. Cela signifie déterminer un concept de soi-même, sans instructions, basé sur l’analyse de ce qui est une vie qui fait sens et qu’est-ce qui est requis pour sa réalisation.

CONCLUSION

Une réorientation est nécessaire et ne sera possible que par une coopération constructive. Sans une révision radicale, le nouveau projet pour établir un agenda post 2015 risque de connaître le même sort que ses prédécesseurs. Le nouvel agenda doit prendre en considération qu’il n’y a simplement pas besoin de développement dans sa compréhension classique, mais une exigence pour de réels changements qui correspondent aux diverses nécessités locales. Ceci ne peut provenir d’en haut mais, comme décrit dans l’approche Ansa, doit provenir de la population elle-même et par de nouvelles solidarités entre le Nord et le Sud.

J’espère une meilleure prise de conscience que, malgré les différences existantes entre le Nord et le Sud, ils ont de nombreux problèmes en commun. A l’échelle globale, nous sommes confrontés à un pouvoir croissant des entreprises et des acteurs qui tentent de prendre le contrôle du monde afin de voir aboutir leurs intérêts à court terme. Ce sont exactement les mêmes au Nord comme au Sud. Ensemble nous pourrons changer cela. C’est la raison pour laquelle le point de vue sur l’Afrique doit changer.

***

Boniface Mabanza (boniface.mabanza@woek.de) est un expert expérimenté sur les études de développement. Il a étudié la philosophie, la littérature et la théologie à Kinshasa, et a obtenu son doctorat de l’Université de Münster. Actuellement, il est engagé comme coordonnateur à la "Kirchliche Arbeitsstelle Südliches Afrika" à Heidelberg, qui initie les questions de lobbying et des campagnes connectés à la justice socio-économique en Afrique australe. Jusqu’en 2013, il était un enseignant pour la politique de développement à l’Académie allemande de coopération internationale, y compris des cours sur les Omd / Odd.

Texte traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger

NOTES

1] Eric Toussaint, Millenniumsziele – die schädliche Illusion, in : Le Monde diplomatique (Hg.), Atlas der Globalisierung. Die neuen Daten und Fakten zur Lage der Welt, Berlin 2006, S. 104-105

2] Joshua Cooper Ramo (2004) formule trois règles fondamentales pour les pays du Sud global dans son livre The Beijing Consensus : faciliter l’innovation, ne pas se concentrer sur la seule croissance du produit intérieur brut mais plutôt sur la qualité de vie et son amélioration, ce qui signifie s’efforcer à une certaine forme d’égalité comme condition de la paix sociale ; de protéger l’indépendance nationale et l’autodétermination en combinaison avec le refus de laisser d’autres pays déterminer les politiques nationales.

3] Mabanza, Boniface (2010) : UN-Millenniumsziele : Fortführung einer schädlichen Illusion ? In Werkstatt Ökonomie Rundbrief Nr. 52 (own translation)

4] http://giffenman-miscellania.blogspot.de/2008/10/our-false-oracles-have-failed-we-need.html

5] http://www.ansa-africa.org/

6] http://www.aidforafrica.org/member-charities/african-solutions-to-african-problems/

Source : http://pambazuka.org