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En mai, ravivons nos mémoires et nos luttes

D 2 juillet 2010     H 13:31     A Kohou Mbwélili, Mariam Seri Sidibe     C 0 messages


Si, pour les ouvrier-e-s du monde entier, le 1er mai est la journée des luttes contre le capitalisme, ce mois
est également, pour les communautés antillaises notamment, une période de mémoire. Car le joli mois du
muguet fut aussi celui qui vit fleurir de nombreuses révoltes d’opprimé-e-s.
C’est le 10 mai 1802 qu’en Guadeloupe, le colonel Louis Delgrès lança l’appel à l’insurrection du peuple
face aux armées napoléoniennes venues rétablir l’esclavage. Depuis 1791, dans l’île voisine de Saint-
Domingue (bientôt Haïti), esclaves et Nègres-marrons ont montré la voie, en obtenant une première fois
l’abolition de l’esclavage et en résistant victorieusement aux différentes armées qui ont tenté de le rétablir
sur leur territoire. L’insurrection guadeloupéenne aura malheureusement moins de succès. Le 28 mai 1802,
l’habitation d’Anglemont, où se sont réfugié-e-s les dernier-e-s insurgé-e-s, saute et le cri collectif de « vivre
libre ou mourir » résonne. L’esclavage est rétabli le soir même. Malgré tout, la résistance continue. Et c’est
cette agitation persistante des résistant-e-s noir-e-s, qui n’ont pas attendu l’assentiment d’un Victor
Schoelcher, qui va finalement amener les républicains à abolir l’esclavage en avril 1848. Les décrets prévoient
deux mois de délai mais ce sont les événements sur place qui vont précipiter le processus. En Martinique,
la révolte éclate le 22 mai et la liberté proclamée le 23 mai, puis le 27 mai en Guadeloupe.
En 1870, c’est encore en mai qu’a lieu, en Martinique, une nouvelle insurrection, après qu’un artisan du
nom de Lubin ait été roué de coups de fouet pour avoir refusé de saluer un Béké. La révolte dure 6 jours et
de nombreuses usines à sucre sont incendiées. Certain-e-s chefs de l’insurrection (parmi lesquel-le-s Louis
Telga, Eugène Lacaille, Daniel Bolivard, Lumina Sophie et Rosalie Soleil) auraient même songé à
l’indépendance, l’oppression coloniale et raciste sous le Second Empire et l’exemple d’Haïti, première
république noire et libre proclamée en 1804, ayant provoqué la naissance d’un sentiment national. Enfin,
dans l’histoire plus récente, les 25, 26 et 27 mai 1967 sont des jours de triste mémoire pour la Guadeloupe.
Les CRS tirent sur des lycéen-ne-s et des travailleur-euse-s en grève pour une augmentation salariale, faisant
une centaine de blessés et 87 morts, dont Jacques Nestor, dirigeant du mouvement indépendantiste GONG
qui est à la tête de mobilisation.
De ce moi de mai chargé en date symboliques fortes, c’est donc le 10 mai qui a été choisi comme
journée officielle de l’abolition de l’esclavage. Cela a été obtenu bien plus grâce aux décennies de luttes des
communautés noires qu’à la bienveillance d’un Jacques Chirac alias monsieur « le bruit et l’odeur ». Car la
République française n’a jamais « libéré » qui que ce soit de son plein gré. Les esclaves haïtien-ne-s qui
montrèrent la voie dès 1791 en ont payé le prix fort, ainsi que leurs descendant-e-s jusqu’à aujourd’hui. Tout
comme les manifestant-e-s de Sétif et Guelma, massacré-e-s le 8 mai 1945 pour avoir réclamé leur libération
du joug colonial français, et qui sont toujours largement ignoré-e-s des célébrations du 8 mai officiel.
Alors que le racisme et les discriminations gangrènent la société, et que se perpétue l’ « esclavage »
économique des peuples du Tiers-monde, asservis par la Banque mondiale, le FMI et les puissances
occidentales comme la France, l’histoire et la mémoire de ces combats doivent nous donner la force et
l’inspiration de les poursuivre avec la même ferveur que celles et ceux qui se sont battu-e-s avant nous. Et
une belle manière de continuer à le faire, jusqu’à la fin du mois de mai, est par exemple de soutenir la
marche Paris-Nice des Sans papiers qui ont décidé de « célébrer » à leur manière le clinquant cinquantenaire
de la Françafrique en manifestant contre la politique anti-immigration, raciste et néocoloniale de la France, et
de avec elles et eux des revendications solidaires et internationalistes à l’occasion du contre-sommet citoyen
organisé le 29 mai à Aubervilliers. Ensemble, osons inventer l’avenir, car oui, nous aussi nous le pouvons.

Mariam Seri-Sidibe et Kohou Mbwelili