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Françafrique, rappeler le passif de la France en matière d’ingérence forcenée

D 5 janvier 2014     H 05:51     A Raphaël Granvaud     C 0 messages


Nous avons rencontré Raphaël Granvaud, militant de l’association Survie, et auteur de Que fait l’armée française en Afrique (Agone, 2009) et Areva en Afrique, une face cachée du nucléaire (Agone, 2012).

Quels étaient les objectifs du sommet France-Afrique ?

Outre la réaffirmation politique de la puissance française, les objectifs étaient essentiellement économiques et militaires. Depuis dix ans, la part de marché des entreprises françaises au sud du Sahara est passée de 10 % à moins de 5 % selon les statistiques officielles, même si, comme il s’agit d’un marché en croissance, les intérêts français ont augmenté en valeur absolue, les exportations doublant pendant la même période. Lors d’un forum économique qui a précédé le sommet, Hollande a fixé l’objectif de doubler les relations commerciales dans les prochaines années.

Quant au sommet intitulé « pour la paix et la sécurité », il s’agissait surtout de réactiver un vieux projet de constitution de « casques bleus » africains pour la « gestion de crises » sur le continent. Les autorités françaises ont réaffirmé leur disponibilité pour « aider » à la concrétisation de ce projet, en réalité pour l’encadrer par la fourniture de coopérants militaires. Lors de ses interventions militaires à répétition, la France prétend soutenir l’action des forces militaires africaines, qui servent en réalité de forces supplétives. Mais encore faut-il que ces forces soient opérationnelles, ce qui n’est pas toujours le cas, comme on l’a vu lors de la préparation de l’intervention Serval au Mali. La coopération militaire et logistique que la France propose à l’Union africaine (UA) lui permet aussi de justifier le maintien de sa présence militaire permanente sur le continent.

Qu’en est-il ressorti ?

Pour ce qui concerne la « paix et la sécurité », il est évident que ce sommet n’apportera rien, la nature des relations entre la France et l’Afrique constituant un élément du problème, et non de la solution. Concernant la force panafricaine dont la France prétend soutenir la création, il est un peu tôt pour faire un bilan. Les discours convenus qui se sont succédé ne seront pas forcément suivis d’actes. Les rivalités entre certains pays freinent sa mise en œuvre et il existe des divergences quant à la conception de cette force africaine : doit-elle être déclinée et contrôlée par les institutions sous-régionales du continent, ou au contraire placée sous l’autorité de l’Union africaine ? Un point reste également passé sous silence : de quelle autorité tiendra-t-elle ses mandats ? De l’UA ou du Conseil de sécurité de l’Onu contrôlé de fait par les grandes puissances ?

Derrière le prétexte humanitaire, quels sont les véritables enjeux, notamment économiques, de l’intervention militaire française en Centrafrique ?

Les arguments humanitaires ou moraux, et en particulier le risque de « génocide » qui a été brandi avant le vote de la résolution au Conseil de sécurité, relèvent de la pure propagande. La situation est suffisamment grave pour ne pas avoir besoin d’en rajouter. En matière économique, le pays est surtout riche de ses ressources minérales, en particulier les diamants, dont la moitié sont exportés frauduleusement. Les intérêts économiques des entreprises françaises (Orange, Total, Castel…) sont relativement faibles au regard d’autres pays.

Il y a également des intérêts forestiers et de l’uranium, mais Areva a gelé la mise en chantier du site de Bakouma il y a deux ans. Quant au pétrole découvert dans le nord du pays, il a été attribué à une compagnie chinoise. Les seuls intérêts économiques français dans le pays ne suffisent sans doute pas à expliquer l’intervention française. Il est vraisemblable en revanche que les enjeux soient perçus de manière régionale, avec la crainte que les affrontements centrafricains ne finissent par déstabiliser les pays limitrophes où les intérêts économiques sont plus importants.

Il faut également rappeler le poids de la hiérarchie militaire dans le choix des interventions, que les journalistes qui ont suivi la véritable genèse de l’opération Serval au Mali ont bien mis en évidence. En Centrafrique comme au Tchad voisin, l’armée est massivement présente, pour des raisons stratégiques, depuis des années, malgré l’absence de base militaire officielle. On ne pouvait pas laisser déstabiliser cette zone de manière durable.

Quelles formes de mobilisation à l’égard de cette nouvelle intervention militaire peut-on attendre de la part de militants anti-impérialiste ?

En France, il est plus difficile de mobiliser contre l’impérialisme français que contre l’impérialisme américain, propagande oblige. C’est encore plus vrai quand l’armée française prétend intervenir pour porter secours à des populations en danger, lesquelles peuvent accueillir favorablement – au moins dans un premier temps – l’arrivée des militaires français, jusqu’à paralyser les réactions des organisations progressistes (syndicales, associatives) dont on pourrait attendre au moins un regard critique. Il faut tenter de cerner et d’expliquer de manière non réductrice les enjeux de cette intervention, rappeler le passif de la France en matière d’ingérence forcenée, et la responsabilité qu’elle porte dans la situation actuelle, qui la discrédite pour toute solution d’avenir.

Contre l’amnésie ambiante, il faut également rappeler le bilan des opérations « humanitaires » précédentes, comme l’opération Licorne en Côte d’Ivoire, et continuer à informer sur les opérations en cours, comme l’opération Serval au Mali : absence de résolution des problèmes, duplicité de la diplomatie française, tentative de mise sous tutelle politique et militaire… Enfin il faut articuler des mots d’ordre sur le retrait des militaires français à des revendications qui prennent en compte le droit des Centrafricains à la sécurité

Plus généralement, concernant la Françafrique, peut-on repérer des infléchissements par rapport à la politique menée depuis des décennies par tous les gouvernements français, de droite comme de gauche ?

Les médias insistent sur l’absence de réseaux officieux sous Hollande pour conclure (une nouvelle fois !) à la disparition de la Françafrique. A supposer que cela soit vrai, cela ne change pourtant ni l’orientation de la politique suivie ni la persistance des instruments de domination (franc-CFA, dette, armée et services secrets français sur le continent notamment).

Après quelques hésitations de posture, on a également vu Hollande se convertir rapidement à la realpolitik en matière de collusion avec les régimes autoritaires et les dictateurs traditionnellement soutenus par la France. Sur le plan militaire, il faut même parler de régression. Le dernier Livre blanc de la défense, rédigé pendant l’opération Serval, relégitime les prétentions de la France à intervenir de manière unilatérale dans son pré carré traditionnel et à y consolider son dispositif militaire.

Quelle alternative se devrait de proposer un véritable gouvernement de gauche ?

Dans un premier temps, il faudrait par exemple cesser toute forme de soutien aux régimes répressifs, interdire toute présence militaire française en Afrique francophone, renoncer à la tutelle sur le ftranc-CFA, en finir avec la diplomatie du tiroir-caisse, auditer et annuler les dettes odieuses, reconnaître les crimes commis et ouvrir le dossier des réparations, et enfin mettre en place une aide qui profite aux populations locales et qui soit contrôlée par elles.

Propos recueillis par François Brun Vendredi 20 décembre 2013

Publié dans : Hebdo L’Anticapitaliste – 222 (19/12/2013)