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L’alter-mondialisme en Afrique : le devoir d’insoumission

D 3 décembre 2009     H 16:38     A Isabel Ferreira     C 0 messages


C’est sur les ravages de la mondialisation néolibérale et du
capitalisme mais aussi sur le terreau de l’anticolonialisme et
des conquêtes démocratiques passés que l’altermondialisme
africain voit le jour dans les années 1990. Échaudée
par les dégâts causés par les plans d’ajustement structurel (PAS),
la dette et autres politiques du FMI et de la Banque Mondiale, la
société civile africaine va commencer à se (re)mobiliser (grèves,
boycotts, luttes contre la privatisation et pour la défense des
services publics, émeutes anti-FMI...) autour du principe de
l’accès aux droits pour tou-te-s et en refusant la subordination au
marché. Loin d’êtres passifs face à l’exigence de rentabilité
maximale et à la dynamique d’accumulation de l’Occidentprédateur,
c’est aussi au phénomène de « corsetage » de l’action
associative en Afrique pour la mise en place des politiques
néolibérales de l’Union européenne (accords de Cotonou, APE)
que les partis politiques, les associations et les réseaux militants
africains vont réagir, dénoncer et s’attaquer. Ce mouvement, qui
contient en germes les éléments d’une nouvelle réflexion sur le « 
socialisme » (socialisation des biens communs, des richesses et
des moyens de production), associé au souci de rendre
inaliénables les biens communs de l’humanité (eau, air, terre,
connaissances) s’oppose à un rapport Nord/Sud où les effets les
plus désastreux du libre-échange se produisent principalement
dans le Sud et encore plus cruellement en Afrique. « Une autre
Afrique est possible », inspiré par « un autre monde est possible
 », se construit donc comme lui autour d’axes clairs : résistance,
refus de la fatalité et mise en avant d’alternatives.

A partir de la révolte de Seattle en 1999 et avec le premier
Forum social mondial (FSM) à Porto Alegre en 2001, un début de
convergence des résistances sociales va se produire et les
mobilisations vont voir se réunir des militant-e-s de tous les pays.
Cette nouvelle culture politique contestant le monopole de
l’expertise dominante et de la pensée unique au profit de
l’expertise citoyenne va dynamiser le mouvement altermondialiste
en Afrique en développant d’autres sujets que la dette et
l’ajustement structurel comme l’étranglement de l’agriculture
paysanne africaine par les subventions aux agriculteurs
occidentaux, l’imposition de semences génétiquement modifiées
ou l’accès aux services sociaux de base (santé, éducation, eau,
électricité). S’inspirant des pratiques sociales d’innovation, de
résistance et de propositions mises en avant par le FSM, le Forum
social africain va naître d’une volonté de fédérer au niveau
continental des mouvements épars et de construire un discours
commun. Il va également être la concrétisation de l’élargissement
important du mouvement : élargissement géographique (forums
continentaux, polycentriques, nationaux et locaux…), social
(mouvements paysans, de Sans-terre, syndicats, migrant-e-s,
femmes…) et thématique. En 2002 a ainsi lieu le premier Forum
Social Africain à Bamako (Mali) qui va enrichir et renforcer le
mouvement social sur le continent. Préparé par plusieurs milliers
d’organisations africaines à travers des forums nationaux, sousrégionaux
ou thématiques, cette rencontre a permis de faire vivre
de véritables espaces de dialogue entre paysans, politiques, ONG
du Nord et du Sud ; et d’unifier les diverses mobilisations sur le
continent. Confronté à la problématique du « sousdéveloppement
 » qui fragilise l’action, les différentes luttes
locales peuvent ainsi s’unifier et tisser des liens entre pays,
reconstituant les formes d’un nouveau panafricanisme, condition
essentielle pour créer un mouvement de masse capable de
proposer des alternatives concrètes au système actuel.
Le continent est aujourd’hui le théâtre de créations de lieux,
forums, marches, contre-sommets, rencontres ou manifestations
où les populations civiles, les associations et diverses
organisations prennent la parole, confrontent leurs analyses et
expériences afin de développer des méthodes ou théories
« alternactives » capables de changer les rapports de forces
politiques et de construire un développement pensé et exécuté
par les Africains et pour les Africains. Forum social africain, forum
des Peuples (contre-point africain au G8), forum africain des
alternactives, forum du Tiers Monde, réseau Jubilé Sud, CADTM
(annulation de la dette) ou mouvements citoyens,… : la liste des
mobilisations traverse tout le continent. Abordant des sujets aussi
variés que la condition des paysans, la souveraineté alimentaire,
les libertés politiques, le rôle des nouvelles technologies dans le
développement des luttes ou le poids de la guerre, les militant-es
passent de la conscience à l’action, s’auto-organisent et
cherchent à valoriser les dynamiques endogènes des différents
tissus sociaux locaux.

Dans ces rencontres, les participant-e-s viennent par tous les
moyens (à pied, covoiturage, taxis collectifs…) ; l’hébergement est
militant et Internet et la téléphonie mobile sont particulièrement
utilisés pour diffuser rapidement les informations. Des bulletins
d’information électroniques sont également mis sur pied tel
Flamme d’Afrique (quotidien évènementiel) ou Syfia (réseau de
journalistes). En janvier 2007, l’organisation du FSM à Nairobi
(Kenya) symbolisait ainsi la solidarité du mouvement
altermondialiste avec le continent considéré comme le symbole
des dégâts causés par le libéralisme économique. L’événement,
qui a réuni plus de 30000 participant-e-s venues du monde entier,
et également de nombreuses-x militat-e-s africain-e-s, a été un
succès, mais a aussi révélé les fragilités du processus. Celles-ci
étaient déjà perceptibles en 2006 quand le FSM avait été
« décentralisé » en trois lieux dont Bamako au Mali. Une
participation moindre, des droits d’inscription trop élevés,
l’absence des Africain-e-s « non-francophones » et un public plus
européen qu’africain avaient causé des problèmes pouvant avoir
des conséquences sur la qualité et le devenir même du
mouvement. A Nairobi, beaucoup de délégué-e-s africain-e-s
dépendaient encore, pour leur participation, d’un financement
d’ONG du Nord, ce qui a posé la question de la dépendance et de
la sélection dans le choix des participant-e-s.

Un fort désir de clarification du processus et le besoin de
radicalité traversent aujourd’hui le mouvement altermondialiste
africain. Opposé au néolibéralisme du Nouveau Partenariat pour
le Développement de l’Afrique (NEPAD) dont le seul but est
d’intégrer l’Afrique au sein des actions mondiales, le mouvement
tente de s’attaquer à la racine du mal en dépassant la simple
critique du néolibéralisme pour contribuer à la construction
d’alternatives concrètes. Plusieurs courants existent dans le
mouvement, certains défendant l’idée d’une collaboration avec
l’Union Africaine malgré son ancrage néolibéral, tandis que
d’autres sont confrontés aux schémas pervers de domination qui
se reproduisent même lors des grandes rencontres. Ainsi, le
Forum social africain d’Addis-Abeba en 2003 n’aurait pas pu se
tenir sans le soutien de la coopération française... La question
des moyens est donc ici cruciale, doublée de celle des rapports
avec les institutions internationales et les ONG occidentales.
L’autre grand défi est de relayer les voix d’une population plutôt
en lutte pour sa survie quotidienne que pour la transformation
des structures. Notre énergie à nous, de ce côté de la planète,
doit être tournée vers l’appui et le soutien à ces mouvements,
sans substitutisme. Le travail nous attend jusqu’au prochain
Forum social mondial en 2011 à Dakar. Notre utopie est peut-être
la réalité de demain.

Isabel Ferreira