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L’ETAT DÉVELOPPEMENTAL : UN « VIN VIEUX » DANS UNE « NOUVELLE BOUTEILLE »

D 14 août 2014     H 05:44     A Abubakr Tandian     C 0 messages


L’idée d’Etat Développemental (Ed) est fondamentalement liée à la relation entre l’Etat et ses institutions. Dans le schéma de l’Ed c’est l’Etat, au sens d’un régime au pouvoir, qui est placé au cœur, au début et à la fin de l’opération de modernisation sociale qui est recherchée à travers la même et unique formule qu’est le développement, et qu’importe sa forme et les considérations éthiques liées aux procédures de sa mise en œuvre. Lesquelles questions éthiques peuvent se révéler paradoxalement dangereuses pour les fondements démocratiques de l’Etat et la sécurité humaine des citoyens.

L’ECOLE POLITIQUE

Pour les tenants de l’école dite « politique » la question se réduit souvent à savoir si l’Etat a la capacité à adopter des politiques de développement « appropriées », peu importe la nature de ces politiques et leurs effets pervers qui peuvent éventuellement provoquer des dérégulations institutionnelles et des reflux sur les politiques sociales (Johnson, 1999). Selon Castells (1992 : 56-57) « un Etat est développemental lorsqu’il établit comme principe de sa légitimité sa capacité à promouvoir de façon durable le développement, c’est-à-dire la combinaison de forts taux de croissance et de changement structurel dans le système productif, aussi bien à l’intérieur que dans ses rapports avec l’économie mondiale ».

La question qui vient immédiatement à l’esprit au regard de cette définition est de savoir qui est apte à juger de la « capacité de l’Etat à promouvoir de façon durable le développement ». Au regard de l’histoire de l’Etat et des trajectoires du développementalisme en Afrique, on sait que c’est souvent à la communauté des bailleurs et des experts du développement que revient ce privilège qui est pourtant dû aux populations dans le contexte d’un Etat de droit. Il est donc clair que la légitimité de l’Etat développemental africain n’est pas celle qu’il semble tirer des suffrages de ses citoyens. Autrement dit, il suffit que les bailleurs et des experts concluent à des prévisions de croissance et s’assurent de pouvoir forcer le levier sur les structures de l’économie néopatrimonial —ce qui est très facile à faire lorsqu’on détient les liens de la bourse— pour que la capacité développementale de l’Etat soit établie et imposée à une population qui n’est pas nécessairement intéressée par la croissance dont elle ne voit d’ailleurs souvent pas le sens et les effets sur ses conditions de vie.

Selon l’école politique, une condition ultime pour que la structure économique d’un Etat soit reconnue comme viable et développementale est qu’elle ne soit pas en décalage ou en déphasage avec l’environnement économique international. Cela veut dire qu’il n’est pas question qu’un type d’Etat et d’économie quelconque ne vienne mettre en danger la structure de l’économie mondiale que l’on sait capitaliste et souvent défavorable aux populations de ces Etats sous ajustement développemental.

Enfin, et ce n’est pas la moindre des choses, la conception politique de l’Ed cautionne les pratiques et le caractère autoritaires de la mise en place de la capacité de l’Etat à promouvoir le développement. C’est par exemple le cas lorsque les gouvernements modifient leurs codes miniers ou fonciers sans consulter les acteurs pertinents pour ensuite les imposer par la force judiciaire ou policière. Peu importe alors si un gouvernement acquis au développementalisme et à ses plans articulés autour de l’endettement, de l’investissement et de la fuite des capitaux use de la violence d’Etat et de la manipulation idéologique pour imposer ses orientations extraverties.

Or c’est bien ce à quoi nous avons assisté depuis les indépendances : le développement à marche forcée par des idéologies et des schémas de planification d’une part, et de l’autoritarisme pour les administrer, de l’autre. Modernisation politique et économique dans les années 60 et 70 avec le socialisme africain et le parti unique, libéralisations économiques et ajustements structurels dans les années 80 et la démocratie libérale comme idéologie ; croissance et allégement de la dette dans les années 90 et l’idéologie de la bonne gouvernance ; la croissance accélérée depuis le détour de la décennie 2000 avec les idéologies de la renaissance africaine et de l’émergence. Les constantes de cette équation insoluble sont demeurées la mystification idéologique, la conditionnalité [1] et l’horizon infranchissable de la croissance, et bien entendu, l’autoritarisme de gouvernements corrompus et violents pour maintenir cette logique téléologique du progrès.

L’ECOLE ECONOMIQUE

La seconde école dite « économique » met précisément en avant ce qu’on appelle les « politiques économiques appropriées », par opposition aux conditions politiques et idéologiques qui les rendent possibles. Certains économistes ont ainsi eu raison de penser que l’Ed est fondé sur l’interventionnisme de l’Etat (Amsden, 1989 ; Wade, 1990) tandis que d’autres, nettement plus proches de l’école politiste, estiment que, fondamentalement, l’Ed renvoie à « la capacité de l’Etat à passer de la croissance basée sur le marché à celle produite par le gouvernement, ou vice-versa, selon des circonstances géopolitiques, ou encore une gouvernance simultanée et synergique de l’Etat et du marché lorsque les opportunités l’exigent » (Bagchi, 2000 : 398-399). Ainsi conçu, l’Ed pose deux problèmes majeurs du point de vue des interets et des revendications des mouvements sociaux en Afrique.

Premièrement, il est incompatible avec la démocratie alors même que les Msa sont majoritairement et depuis fort longtemps polarisés autour de cette exigence politique de démocratisation des relations entre l’Etat et la société. En effet, comme le semble confirmer Chang, (1999:107, cité par Fine, 2010 : 8),
un Ed serait difficile à maintenir dans un système véritablement démocratique dans lequel les populations jouissent pleinement de leurs droits. Pour suivre une trajectoire résolument développementale, il faut une limitation de la capacité de la société à contrecarrer les efforts de l’Etat, au profit d’objectifs spécifiques selon des affinités entre l’élite et des groupes sociaux entreprenants.

Le suffrage universel ou le choix populaire garant de la représentativité et le consentement populaire, pourtant socles du gouvernement de consensus, importent peu (Johnston, 1999 : 53) ! Comme le fait remarquer Jonathan Di-John (2010 : 2), « des élections démocratiques ne suffisent [donc] pas pour assurer la légitimité de l’Etat » dans un Ed dès lors que le régime au pouvoir se maintient aux commandes en accaparant les capacités fiscales et extractives de l’Etat. Puisque le caractère illégitime ou illégal de ces opérations accumulatives importe peu, la corruption et la prédation sont encouragées ou tolérées ; cela d’autant plus que l’Ed n’est pas conçu pour être le garant et le « gardien des droits, plus qu’il ne supporte le fardeau du développement » (Chang, Op.cit. : 185-7) et exclut des segments importants de la société des processus de détermination de la forme, de la fonction et des buts ultimes de la régulation politique.

Au sein même de l’appareil gestionnaire de l’Etat, le contrôle des populations sur l’action politique et économique souffre de l’affaiblissement du rôle de la représentation des assemblées représentatives et de la corruption des organisations syndicales. Cet aspect de l’Ed qui contraste de fait avec la bonne gouvernance avait été « l’une des tendances lourdes de la mise en œuvre des Programmes d’ajustement structurels » (Diop, 1994 : 66).

Deuxièmement, comme on le voit, l’Ed place le marché et la régulation économique au-dessus de l’Etat et des politiques sociales. Censé être largement autonome (Evans, 1995, 1992), l’Ed se soumet aux exigences du secteur privé qui en est, selon Fine (2010 : 9), non pas un partenaire, mais en réalité une partie intégrante, et parfois le noyau dur. « Capitaliste par nature » (Ibid.), l’Ed vise plutôt à « stabiliser » et à protéger la direction politique et administrative de l’Etat au profit des intérêts économiques de petits groupes dont les interactions déterminent souvent et de façon décisive les processus politiques. Laquelle situation a l’effet de générer moins de régulation (plus de dérégulations) et des politiques pro-marché (privatisation) en contrepartie de l’investissement étranger (Ide) (Ballard et ali, Op.cit.:8).

Cette caractéristique assez connue du modèle importé de l’Etat occidental qu’est la démocratie de marché, au sens de la subsidiarité de la politique par rapport à l’économie, explique pourquoi la performance économique (croissance comme gage de stabilité et de permanence du marché ; marché comme institution centrale de régulation économique et politique) est privilégiée au détriment de la gouvernance légitime et du développement humain (représentativité et participation politique ; état de droit ; sécurité humaine). De ce point de vue, le modèle de l’Ed en expérimentation en Afrique depuis le début des années 1990 (Afrique du Sud après Apartheid, Ethiopie, Mozambique, Ouganda, Maroc, Algérie, Sénégal, etc.), et un peu avant en Afrique du Nord (sous les dictatures militaires), est fondamentalement interventionniste et exclue la base sociale de l’Etat, c’est-à-dire les mouvements sociaux et les petits groupements de producteurs. [2] Ce que Momar-Coumba Diop (Op.cit. : 67) appelle la « tendance à l’insensibilité [du développementalisme] aux questions sociales » à propos des PAS se retrouve dans les politiques néolibérales d’aujourd’hui.

COMMENTAIRES ET LEÇONS

Comme illustré par le rôle des « Chaebol » [3] en Asie, les groupes d’intérêts qui émergent dans l’Ed peuvent se retourner contre l’Etat et altérer son activité lorsque leurs intérêts sont menacés. Une autre faiblesse est que dans la mesure où le développement économique et la stabilité politique reposent sur l’industrialisation, le modèle de l’Ed privilégie l’utilisation massive, souvent abusive et incontrôlée, des matières premières, notamment dans les pays en développement où les populations se voient retirer ou priver de leur droit de regard sur la gouvernance publique (Sindzingre, 2006 : 3).

Les preuves nombreuses de l’effet négatif des liens entre la corruption et les intérêts privés sur les dynamiques politiques telles que la démocratisation poussent à penser que le modèle d’Ed ne rencontre pas véritablement les intérêts des mouvements sociaux et des petits producteurs. Or ces organisations défendent pour la plupart un projet de refondation de l’Etat sur la base des aspirations sociales, des réalités historiques et culturelles, laquelle implique une remise en cause de l’ordre et des rapports politiques sur lesquels la globalisation a une influence de plus en plus considérable.

Enfin, en raison de son orientation industrielle, le modèle de l’Ed ne prend pas en compte la place prépondérante de l’agriculture et du tourisme qui occupent par exemple la plupart des populations dans les économies du Sud (Ikpe, 2008). C’est là que l’on trouve tout le sens des révoltes des mouvements sociaux autour du phénomène de l’accaparement des terres, aujourd’hui institutionnalisé dans les relations économiques internationales. Plus connu sous le nom de « land grabbing », il est devenu monnaie courante entre les pays africains et les multinationales et les pays étrangers. Au-delà de son pendant juridique de l’expropriation foncière par des procédures illégales et dans des conditions peu respectueuses des droits des communautés de base, grâce à la complicité des pouvoirs publics et des pans importants du secteur privé africains, qui en ont fait une nouveau mécanisme de leurs politiques rentières, le land-grabbing constitue un outil redoutable du capitalisme financier et agroindustriel.

Au-delà, il évoque le conflit culturel entre des conceptions opposées de la terre et de ses usages, tout en mettant en exergue le choc des systèmes de production agricole entre pays riches et pays pauvres. Même si des paysans et agriculteurs des pays du Nord sont également touchés par ce phénomène, il est de loin plus répandu et préoccupant en Afrique [4], en Asie et en Amérique Latine. C’est ce qui explique pourquoi les organisations paysannes africaines ont été très nombreuses à participer au Forum social mondial de Dakar de février 2011. Ces organisations ont alors adopté la « Déclaration de Dakar contre le Land-Grabbing » [5] qui a été signée par 900 organisations de la société civile à travers le monde et qui est présentée comme un outil de base pour organiser la résistance africaine et globale contre ce fléau. Cette déclaration du Fsm n’a de portée que par rapport la conférence de Nyéléni, qui fut la première du genre au monde à être organisée par les paysans et agriculteurs d’Afrique et du monde, avec le soutien de l’Ong italienne La Via Campesina et le Ropao (Reisenberger et Suàrez, 2011).

L’obligation de performance qui détermine l’Ed aux plans intérieur et extérieur, justifiant ainsi ses interventions politiques au profit des intérêts capitalistes, constitue précisément le stimulant à l’interventionnisme libéral ou international. En effet, dans le cas des pays les moins avancées cette performance ne s’acquiert généralement pas sans le recours à des ressources extérieures, a fortiori dans le cas d’Etats profondément internationalisés comme la Rd Congo et Comores, par exemple. La subtilité du mécanisme de l’interventionnisme libéral est trahie par l’univers symbolique du modèle de l’Ed. En effet, la visée interventionniste universelle du paradigme de l’Ed apparaît enfin dans « l’ambition morale et normative à user de la police de l’Etat » (Loriaux, 1999, cité dans Woo-Cumings, 1999 : 24) au nom d’un néo-dirigisme qui s’accommode mal des dissidences populaires et des tendances économiques anti-marché qu’expriment les populations et les mouvements sociaux pour la préservation et la distribution équitables des bénéfices des ressources foncières, halieutiques et minières.

Une dernière leçon que l’on peut tirer de la mise en œuvre de l’Ed est que si son programme est parvenu à prospérer jusque-là depuis les indépendances, c’est qu’il a su obtenir et rémunérer la complicité des élites politiques et bureaucratiques des Etats soumis à sa rigueur. Cette rémunération a pris des formes diverses de privilèges diplomatiques, financiers et politiques : valises affranchies, emplois dans les organismes internationaux, accueil des familles et des progénitures des hauts fonctionnaires et des dirigeants politiques dans les pays étrangers pour des études et des résidences permanentes, les parts de marché dans les sociétés multinationales, comme les cessions d’actions à travers les délocalisations des firmes étrangères, et bien entendu la neutralité et le silence lorsque ces élites se maintiennent au pouvoir par la violence et la fraude électorale. Voila pourquoi seuls les régimes au pouvoir qui sont en bons termes avec cette logique demeurent constamment protégés des révoltes et de la colère de leurs populations. C’est le cas des pouvoirs en Algérie et au Maroc pendant ce qu’on a un peu trop vite appelé le « printemps arabe » ; ces régimes ont survécu grâce à des entourloupes politiques flanquées aux révoltés en guise de réformes politiques, mais surtout parce que les gouvernements occidentaux ont jugé qu’ils devaient être protégés contrairement à la Libye de Kadhafi, à la Tunisie de Ben Ali et à l’Egypte de Mubarak qui devenaient des menaces économiques et politiques pour les affaires et la sécurité de quelques groupes en Europe et ailleurs.

Le Burkina Faso de Blaise Compaoré comme le Sénégal de Wade et d’autres pays africains francophones (Cameroun, Togo, Benin) ont eu plus de chance que la Cote d’Ivoire nationaliste de Gbagbo qui était devenue trop gênante, grâce aux afflux d’aide financière et sécuritaire d’urgence pour calmer les émeutiers salariés et mater les révoltés sans emplois entre 2006 et 2009.

** Abubakr Tandian, Bayreuth International Graduate School of African Studies-BIGSAS

Source : http://www.pambazuka.org

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

 , A. (1989). Asia’s Next Giant : South Korea and Late Industrialization. New York : Oxford University Press.
Bagchi, A. K. (2000) « The Past and the Future of the Developmental State ». Journal of World-systems Research, 1(2) : 398-442 (Special Issue : Festchrift for Immanuel Wallerstein – Part I). Disponible à : http://jwsr.ucr.edu

 Ballard, R., Habib, A., Valodia, I. & Zuern, E. (2005). « Globalization, marginalization and contemporary social movements in South Africa ». African Affairs,104(417) : 615-634.

 Castells, M. (1992). « Four Asian Tigers with a Dragon Head : A Comparative Analysis of State, Economy, and Society in the Asian Pacific Rim », In R. Appelbaum and J. Henderson (eds). States and Development in the Asian Pacific Rim. Newbury Park : Sage, 33-70.

 Chang, H.-J. (1999). « The Economic Theory of the Developmental State ». In Woo-Cumings, M., (ed.), 1999, The Developmental State. Ithaca : Cornell University Press, 182-198.

 Evans, P. (1995). Embedded Autonomy : States and Industrial Transformation. Princeton : Princeton University Press.

 Fine, B. (2010). « Can South Africa Be a Developmental State ? »,Disponible à :
http://unpan1.un.org/intradoc/groups/public/documents/cpsi/unpan039020.pdf#page=179 (Consulté le 23 septembre 2011.

 German, L., Schoneveld, G. and Mwangi, E. (2011). « Processes of Large-Scale Land Acquisition by Investors : Case Studies from Sub-Saharan Africa ». Communication présentée à l’International Conference on Global Land Grabbing , 6-8 avril.

 Ikpe, E. (2008). « The Relevance of the Developmental State Praradigm in an Era of Globalization », Communication. International Initiative for Promoting Political Economy (IIPPE) Workshop. Procida : Italie, 10-11 septembre.

 Johnson, C., 1999, « The Developmental State : Odyssey of a Concept », In Woo-Cumings (ed.). The developmental state, Ithaca : Cornell University Press, 32-37.

 Kelsall, T. (2011). « Rethinking the Relationship between Neo-patrimonialism and Economic Development in Africa ». IDS Bulletin,(42)2 : 76-87.
Loriaux, M. (1999). « The French developmental state as myth and moral ambition », In M. Woo–Cumings (ed.). The Developmental State. Ithaca : Cornell University Press. 235-274.

 Reisenberger, B. and Suárez, Sofía M. (2011). « Nyéléni, Mali : A Global Alliance Against Land Grabbing ». Weltweite Allianz gegen Landraub. 6 Décembre.
http://www.viacampesina.at/cms/index.php?option=com_content&task=view&id=504&Itemid=78 (Consulté le 18 mai 2012).

 Sindzingre, A. N. (2006). « Financing the developmental state ». Communication présentée au Overseas Development Institute (ODI). Londres : 5 Avril.

 Wade, R. (1990). Governing the Market : Economic Theory and the Role of Government in Taiwan’s Industrialization. Princeton : Princeton University Press.

 Yoshihara, K. (1988). The Rise of ersatz capitalism in South-East Asia. Oxford : Oxford University Press.

NOTE

[1] Les formes de la conditionnalité ont évolué depuis pour s’adapter de manière subtile aux résistances des populations à travers leurs mouvements sociaux : à la conditionnalité politique et économique mise en œuvre par la subordination de l’aide aux réformes des systèmes électoraux et des institutions de régulation économique et financière, ainsi qu’à la reconnaissance des droits des femmes, se sont ajoutées les conditionnalités migratoires et sécuritaires. Depuis les accords de Tempère et de Séville, respectivement en 2004 et 2005, qui ont introduit une dimension sécuritaire dans les politiques migratoires et européennes, les pays africains doivent utiliser l’aide pour combattre ou limiter l’émigration. Cela va avec la mise en œuvre de politiques sécuritaires pour démanteler les réseaux d’émigration et faciliter l’accès aux ressources halieutiques des pays africains aux multinationales européennes. Aujourd’hui une partie de l’aide est subordonnée à la dépénalisation des délits de l’homosexualité. Cette forme insidieuse de conditionnalité (homo)sexuelle s’est déjà appliquée contre des pays comme le Malawi, l’Ouganda et le Mozambique qui ont été l’objet de sanctions internationales, notamment américaines et britanniques à cause de leurs lois anti-gays.

[2] En dépit du risque majeur d’une dérive autoritaire déjà perçu par Fakir (2005) à propos de l’Ethiopie par exemple, ce modèle de l’ED ressemble plus à une apologie de la dictature et de l’accumulation autoritaire et exclusiviste (Fine, 2010 : 6). Kelsall (2011 : 76) suggère par exemple que le mode de gouvernance néopatrimoniale qui prévaut dans les pays en développement du Sud est susceptible de créer les conditions d’une performance économique positive à condition (1) qu’il y ait en place un ensemble de politiques pro-marché, pro-rurales, et (2) qu’il y ait un système institutionnel qui centralise et distribue les rentes économiques avec un objectif de développement à long terme.

[3] Il s’agissait d’une classe très puissante de capitalistes en Corée du Sud pendant la crise financière asiatique de 1997-1998. On a également à l’esprit les « ersatz capitalists » Yoshihara (1988) dont la fonction débouche sur une situation oligarchique que Sindzingre (2006 : 5) désignera comme un « capitalisme népotique asiatique » qui souligne la prégnance de la corruption dans les économies développementales asiatiques.

[4] Pour le cas de l’Afrique voir autour de la question German et al. (2011).

[5] A trouver sur le site de la Déclaration : http://www.dakarappeal.org/index.php/en/