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La France contre la démocratie en Afrique

D 10 juillet 2009     H 13:49     A Paul Martial     C 0 messages


La vantardise de Robert Bourgi a confirmé un secret de
polichinelle. En révélant, lors d’une interview sur RTL en
septembre dernier comment les réseaux néocolonialistes
avaient réussi à virer Bockel, secrétaire d’État à la coopération,
Bourgi provoque un malaise. Les chroniqueurs de droite feignent
de découvrir le pouvoir de ces réseaux et s’en offusquent. Malaise
aussi du côté du gouvernement qui, sans démentir les faits, se
contente de réaffirmer que Bourgi n’occupe aucune fonction
officielle. Quant aux experts qui nous annoncent, à longueur de
pages, que la Françafrique n’existe plus, ils en sont de nouveau
pour leur frais. Il est vrai que certaines situations prises isolément
pourraient le faire croire.

Depuis la fin du Giscardisme, deux tendances existent sur la
manière de conduire la politique africaine de la France. Elles ont
un socle commun – celui de pérenniser et optimiser la relation
impérialiste que la France impose à l’Afrique – mais divergent sur
les manières d’y parvenir. La première tendance est celle des
réseaux africains mis en place par Foccart, qui rassemblent
hommes d’affaire, barbouzes, militaires et hauts fonctionnaires
autour de liens d’affaires, d’amitiés, de faits d’arme et/ou de loge
maçonnique, etc. La seconde, qui se veut moderniste, pense que
la France doit, non pas rompre, mais prendre ses distances avec
ces réseaux, jugeant leur action néfaste à sa réputation et
l’entraînant dans des situations préjudiciables au niveau de la
politique étrangère. Ces deux approches ne sont pas liées à un
courant politique particulier et traversent les gouvernements de
droite comme de gauche.

Mitterrand, proclamé candidat du changement, tentera de
prendre ses distances avec les réseaux africains, notamment
après les frasques de Giscard et de Bokassa en Centrafrique.
Jean-Pierre Cot au Ministère de la coopération en 1982 tentera
d’instaurer une certaine moralisation en développant une relation
plus conforme au standard international avec les anciennes
colonies. La suite est connue : démission de J.P. Cot du
gouvernement et victoire des réseaux africains qui auront défait,
pour longtemps, la tendance moderniste. Mitterrand rentrera
dans le rang. Il fera parrainer par les réseaux africains son fils qui
deviendra ainsi le responsable de la cellule africaine de l’Élysée et
sera connu, sur le continent, sous le sobriquet de Monsieur
« Papamadit ». Ensuite il continuera une carrière classique,
identique à celle de ses parrains trafiquant d’armes, notamment
vers l’Angola, avec son collègue Pasqua. Quant au père, il
impliquera la France, son armée et ses barbouzes dans le
génocide des Tutsis au Rwanda ; sa femme, Danièle Mitterrand,
s’occupera de l’humanitaire avec « France.-Libertés » (Par égard
à la culture, on n’évoquera pas le neveu).

Sarkozy, proclamé candidat de la rupture, lui aussi décide de
prendre ses distances avec les réseaux africains. Ainsi, le
secrétaire à la coopération, Jean-Marie Bockel, entame une timide
avancée dans une interview au Monde en janvier 2008, sous
couvert d’appliquer la politique de Sarkozy. Il prend soin de
n’attaquer aucune personnalité et pense qu’il fera mieux que Cot.
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, Bockel sera
débarqué quelques semaines plus tard.

L’impossible rupture

Il est de bon ton de relativiser l’intérêt économique de la
France pour l’Afrique, mais la réalité des chiffres démontre le
contraire. Les échanges économiques en 2008 s’élevaient à plus
52 milliards d’euros. Le CIAN (Conseil Français des Investisseurs
en Afrique) annonce 40 milliards d’euros de chiffre d’affaire pour
les 80 entreprises adhérentes à cet organisme. Les principaux
secteurs économiques (logistiques, le bâtiment, les transports,
eau, télécom…) sont aux mains des filiales françaises. En bref,
comme le résume en avril 2008 sur le site
Linternationalmagazine.com le patronat français et les financiers
anglophones : « L’Afrique reste très rentable ». Mais
l’impérialisme français est confronté directement à la concurrence
des autres impérialismes. Les Chinois tout d’abord : la valeur des
échanges passe de 817 millions de dollars en 1997 à 10 milliards
en 2000 pour dépasser les 100 milliards en 2008. La courbe est
identique pour l’Inde : en 1991 les échanges commerciaux
étaient de 967 millions de dollars pour culminer à 35 milliards en
2008. Il est vraisemblable que ce volume augmente peu car
l’économie indienne est beaucoup moins tournée vers
l’exportation contrairement à sa voisine asiatique. A cela s’ajoute
la volonté des États-Unis de diversifier leurs sources
d’approvisionnement, notamment en pétrole. Les pays visités par
Hillary Clinton comme l’Angola et le Nigeria montrent l’importance
de cette voie considérée comme un des éléments de la
sécurisation énergétique du pays. Cette volonté états-unienne
est, pour la France, une réelle menace. Le seul avantage
concurrentiel de la France – pour parler comme les économistes
libéraux – réside justement dans les réseaux néocolonialistes qui
ont construit un système simple mais efficace : les dirigeants
africains favorisent les entreprises françaises qui, à leur tour, les
subventionnent. Le « plus » réside dans la protection politique et
parfois militaire de la France. En d’autres termes, faire du Bizness
avec les entreprises françaises c’est la garantie de s’enrichir, mais
c’est aussi la garantie de rester au pouvoir ou de le conquérir !
C’est ainsi que la politique française en Afrique agit sur deux
fronts : préserver le personnel politique acquis aux intérêts de la
France et encourager la déstabilisation de ceux qui ont une
quelconque velléité d’autonomie vis-à-vis des exigences de
l’ancienne puissance coloniale. Les crises récentes qui secouent
l’Afrique francophone témoignent de cette situation.
Le Niger vient de passer un accord avec Areva pour
l’exploitation d’Imouraren, la plus grande mine d’uranium. En
contrepartie, le président nigérien Tanja peut dissoudre
l’Assemblée nationale puis le Conseil constitutionnel, interdire les
manifestations, réviser la Constitution par un vote truqué frôlant
les 98 % et emprisonner les opposants. La France se contente
d’appeler …à la « retenue ».

Au Congo Brazzaville, un des fiefs de Total et Bolloré, les
élections ont eu lieu le 12 juillet. Quelques mois avant, le 28 mars
Sarkozy déclarait : « grâce au Président Sassou Nguesso, le
Congo a retrouvé la stabilité et la sécurité ». Après ce soutien
officiel, des députés UMP se sont transformés en observateurs
électoraux et ont affirmé que les conditions d’élection étaient
bonnes, légitimant les 78.6% de voix recueillies par Nguesso. Ils
sont allés jusqu’à protester contre le « néo-colonialisme » du
représentant de l’Union européenne, Miguel Amado, qui doutait
de la sincérité du scrutin. (Lire l’entretien ci-dessous)
A Madagascar, la France soutient l’homme d’affaire Rajoelina
qui a fomenté un coup d’État contre l’autre homme d’affaire
Ravalomanana qui avait développé une politique plus
indépendante que ses prédécesseurs. Ce soutien à Rajoelina se
double d’un soutien à la mouvance plus indépendante de Didier
Ratsiraka qui bénéficie des avions de l’ETEC pour se rendre aux
conférences de sortie de crise à Maputo.

En Mauritanie, après avoir officiellement condamné le coup
d’Etat qui a démis le président élu, Sarkozy l’a justifié, pour
ensuite soutenir, sans réserve, un processus électoral entaché de
fraudes pilotées par Bourgi et le représentant local de la DGSE. Le
but : faire entériner par la communauté internationale le fait
accompli du putsch.

Au Gabon, la plupart des candidats aux élections
présidentielles, après le mort de Bongo, n’avaient jamais
manifesté de volonté de rupture avec Paris. En toute logique, la
France aurait dû respecter une totale neutralité. Et pourtant
Bourgi a défendu la candidature du fils Bongo, Ali. Et une fois
proclamé vainqueur, Sarkozy s’est précipité pour le féliciter, alors
que les preuves de fraudes s’accumulaient.

L’analyse détaillée de la relation impérialiste de la France visà-
vis de l’Afrique montre que ces officines africaines restent un
passage incontournable pour la défense des intérêts des
multinationales françaises. Plus la concurrence s’aiguise et plus
ces réseaux vont se resserrer et s’opposer frontalement aux
exigences de démocratie des peuples africains. Non que la
démocratie risque de changer un tant soit peu la nature des
relations impérialistes françafricaines. Elle risque simplement de
marginaliser un système construit depuis des années. En ce sens,
la politique de la France est l’obstacle majeur à la démocratie en
Afrique. C’est sur cette compréhension que se développe notre
solidarité anti-impérialiste avec les peuples d’Afrique.

Paul Martial