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Le temps des festivaliers : Les requins du Renouveau africain

D 8 décembre 2012     H 05:01     A Adama Gaye     C 0 messages


« Le chemin de l’enfer est pavé de bonnes intentions » (proverbe français)

L’Afrique est sur une dynamique plus prometteuse que par le passé, assurent, d’une voix proche de l’unanimisme, plusieurs organes de presse prestigieux, dont le Financial Times, en soulignant que les marchés de capitaux commencent à s’ouvrir à elle et que de nombreux Etats africains ont des taux de croissance remarquables. Porté par cet élan, les théoriciens du renouveau africain, vent en poupe, ne ratent aucune occasion, comme ils le feront cette semaine dans les rues de Dakar, pour mettre en vitrine leur nouvel excès de confiance. Ces festivaliers sont venus parler de bonne gouvernance, de démocratie et de presse.

La plupart sont ici, disent-ils, à la suite de la Fondation Mo Ibrahim, pour célébrer la démocratie sénégalaise, le rôle des jeunes et des femmes. Sans même se soucier d’avoir ou non une grille de lecture pertinente des réalités de notre pays. Car, très rares, parmi eux, sont ceux qui pourront se rendre compte que le label démocratique local ressemble à un hivernage traversant une longue période sans ondées, après un démarrage en… trombe (s).

Ils s’en fichent pas mal, en vérité. Car en apôtres d’une parole qui proscrit le doute, ils sont sourds aux mises en garde. Leurs certitudes sur le Sénégal, bâties sur on-ne-sait quels critères, ne sauraient être questionnable. Mais au-delà, c’est toute leur imagerie du continent qui est déjà coulée dans du marbre. Pour eux, le réveil de l’Afrique a sonné. C’est un verdict définitif ! Emettre une quelconque voix dissonante sur la posture intellectuelle qu’ils adoptent équivaudrait à s’inscrire en faux contre cette pensée unique hostile à toute contradiction véritable qui structure leur entreprise. Rétifs à toute critique du nouveau narratif africain, ils ne lésineront pas sur les moyens pour faire passer leur message. Y compris, au moyen d’un argent gagné dans des conditions non élucidées, pour aguicher des acteurs - journalistes, universitaires, représentants de la société civile - dont beaucoup sont attirés par le goût du gain facile.

AFRO-EUPHORIE

Remettre en question, ou encadrer par des guillemets, le récit optimiste sur l’Afrique ne peut se faire, dès lors, qu’au prix d’une audace coûteuse. Et pourtant… un bémol sur la déferlante de cette afro-euphorie est indispensable. Peu importe qu’elle ait pu mettre sur le bas-côté de l’histoire l’autre courant puissant qui s’identifiait à l’Afrique des années 70 jusqu’à la fin des années 90 quand le nom du continent renvoyait à un afro-pessimisme pur et dur. C’était, ne l’oublions pas, l’époque où l’Afrique se déclinait en néo-patrimonialisme, en terres de conflits, en génocide, en espaces anti-démocratiques, en régimes monocratiques.

Son sort, peu enviable, lui avait valu une entrée dans la postérité, à la Une du célèbre magazine The Economist, sous le titre : « Le continent sans espoir !… » En le décrivant, il y a moins d’un an, comme le continent qui monte, le même magazine est revenu sur son cinglant verdict de l’an 2000. Du même coup, il a donné au discours afro-optimiste l’imprimatur de choix qui lui manquait. C’est dire qu’un boulevard s’ouvre pour les tenants du renouveau africain. Mais, leur discours grandiloquent camouffle les menaces qui pèsent sur lui. Disons-le : nous sommes en face d’opportunistes qui se servent d’un puissant vecteur pour vendre leur produit, et continuer, à moindres frais, d’exister sur le dos du pauvre continent.

En cela, ils sont les dignes héritiers du cynique Moamar Kadafi. Lequel, en voulant faire oublier ses bêtises passées, en particulier l’attentat de Lockerbie, en 1988, avait pris le drapeau du panafricanisme pour en faire son cri de ralliement en vue d’assumer le leadership continental. Les nouveaux croisés de la bonne gouvernance, de la démocratie et de l’épanouissement des médias s’inscrivent dans la logique de cet héritage fait de froid calcul. Il n’est donc pas étonnant que, comme ils l’ont fait, hier, avec le Guide Libyen ou le défunt dirigeant autocrate éthiopien, Meles Zenawi, ces champions du réveil de l’Afrique sont si à l’aise avec les nouveaux voleurs et brigands qui sont arrivés à la tête des Etats du continent, ces dernières années, par les armes ou par le viol des coffres-forts nationaux…

Il ne faut, par conséquent, pas se laisser impressionner par les noms de ces avocats du renouveau africain. C’est que derrière les discours, prétendument au service du continent, la plupart d’entre eux sont plutôt préoccupés par leur volonté de se refaire… un nom en se drapant de concepts consensuels. Leur démarche n’est, pour beaucoup d’entre eux, qu’un cours de rattrapage. Elle est motivée par leur souci de faire oublier que dans une vie antérieure, alors qu’ils pouvaient agir concrètement pour la matérialisation des idéaux qu’ils saluent aujourd’hui, ils n’avaient été que l’ombre d’eux-mêmes. Alors qu’ils occupaient des postes stratégiques, ces grands noms, parfois emblématiques, avaient frappé par leur inaction. Souvent, ils avaient été en contradiction avec les valeurs qu’ils professent maintenant. N’ayant pas fait beaucoup pour le continent, ni pour l’affermissement de la démocratie ou de la paix, s’étant déjugés sur des positions de gouvernance, notamment en matière de respect des limites constitutionnelles à la tête des Etats, ou s’étant enrichis par des « deals » souterrains en faisant du business avec des régimes criminels, les voici donc, anciens cadres de l’Onu, chefs d’Etat ou patrons d’entreprises, qui se posent comme les porteurs de la bonne parole.

Malins, ils savent qu’en épousant ce discours d’espoir, leur message fera mouche auprès d’un peuple africain en attente d’une rédemption. Bien plus, ils gagnent sur un spectre qui s’étend au-delà des frontières du continent. Les soutiens au combat pour la bonne gouvernance, la démocratie et la liberté de presse ne manquent pas. Au près des partenaires traditionnels au développement de l’Afrique, en particulier. Les organisations internationales, dont la légitimité est pointée du doigt, sont obligées de se mettre à l’école de la gestion axée sur les résultats dans leurs rapports avec les pays africains récipiendaires de leurs financements. Pour leur part, les pays développés, dont les leaders sont sous la pression d’une opinion publique gagnée par le cartiérisme, savent leurs marges de manœuvres très étroites… Le message d’espoir concernant l’Afrique sert de viatique à ses propagateurs. Il légitime la présence des bailleurs de fonds étrangers en même temps qu’il est un moyen de rapprochement avec des peuples presses d’en finir avec les ajustements politiques ou économiques sans fin.

Mais il comporte un grave danger en ce qu’il pousse à faire baisser la garde et, pis, en considérant la renaissance de l’Afrique comme un acquis définitif, empêche de voir les intentions, pas toujours louables, de nombre de ses promoteurs. Pour s’en convaincre, il faudrait revisiter le dévoiement du discours sur le Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad). A ses débuts, en 2001, la sincérité de ses promoteurs avait conquis la plupart des partenaires au développement du continent. De sorte que les pays les plus industrialisés du monde, membres du G8, conviaient régulièrement, à leur rendez-vous annuel, un groupe de dirigeants africains, dont le tristement célèbre Abdoulaye Wade, mais aussi d’autres prédateurs de la démocratie et de la gestion publique. On sait ce qu’il advint de cette confiance. Le dialogue au Sommet entre le continent et les pays industrialisés tourna à l’eau de boudin. Résultat : les engagements des pays industrialisés, traduits en termes d’annulation d’importantes dettes, n’ont pas provoqué les améliorations des processus démocratiques ni la transparence dans la gestion des deniers publics sur le continent. Des criminels à col blanc ont même profité de la naïveté des partenaires du continent ayant cessé de jouer leur rôle de vigiles. A trop se fier au discours sur la bonne gouvernance et la démocratie, ils ont laissé prospérer des monstres, sous leurs yeux, face à des peuples impuissants.

RABAT-JOIE

Chat échaudé craignant l’eau froide, il n’est donc pas interdit de penser que le nouveau vent d’espoir qui souffle sur le continent, activé surtout par des membres du secteur privé et d’anciens officiels africains, pourrait aussi cacher des desseins justiciables d’un examen rigoureux, afin que les malversations et escroqueries d’hier ne soient rééditées au détriment des pauvres pays africains. Ce n’est pas jouer les rabat-joie que de rappeler qu’un simple examen des parcours des différents protagonistes de ce discours enchanteur prouverait à suffisance que leur crédibilité souffre de nombreux points sombres. A élucider.

En outre, un coup d’œil sur l’actualité africaine rappelle avec acuité que sous ce soleil d’Afrique les défis restent nombreux. Malgré des taux de croissance parmi les plus impressionnants au monde, l’engouement pour ses matières premières et le potentiel des sociétés civiles, voire politiques, la réalité africaine est ternie par de nombreuses dynamiques négatives. Quelques exemples, au pif, l’attestent : les mineurs sud-africains, lassés de leur sort, font face aux forces policières ; dans la banlieue dakaroise, les foules mijotent des plans insurrectionnels pour revendiquer leurs droits à l’eau, à l’électricité et à un… espoir d’une vie meilleure ; les violences, sur fond ethnique, reprennent en Côte d’Ivoire ; le culte du mysticisme s’intègre dans la vie nationale au Benin au point que le président Yayi Boni a échappé récemment à une tentative d’empoisonnement ; au Kenya, les parlementaires s’adjugent des paies qui frôlent la folie au point que le débonnaire président Mwai Kibaki a dû taper sur la table…

De fait, c’est l’ensemble du continent qui vit de telles contradictions. Même les « Lions », identifiés comme tels par la firme McKinsey, notamment la Libye, la Tunisie ou l’Egypte, ont fini par être l’objet d’une vive contestation des jeunes, à travers ce qui est devenu le Printemps arabe. En un mot, comme en mille, pendant que certains jubilent, la vaste majorité des Africains, sans emploi ni espoir, est prise par le doute. Par millions, les indignés du continent sont sur le pied de guerre…

L’étincelle peut venir de nulle part. Notamment de ce front de la démocratie que l’on célèbre ici à Dakar dans la précipitation, en oubliant qu’elle est en train de perdre ses charmes à travers toute l’Afrique. La récession démocratique n’est pas une vue de l’esprit. Les résultats de la démocratie multipartite sont bien maigres depuis sa réintroduction sur le continent vers la fin des années 1980. Captée par des forces occultes, sous le contrôle d’élites vénales, ou instrumentalisée par des puissances locales ou étrangères, elle n’enthousiasme plus. C’est qu’elle est soit devenue la voie pour créer des autocraties civiles indéboulonnables, assises qu’elles sont sur de l’argent sale détourné des deniers publics, soit le levier pour la reprise en mains virtuelle de divers pays du continent par des forces extérieures, étatiques ou privées.

Les festivaliers qui viennent la célébrer peuvent devenir, sans s’en rendre compte, les complices de ces dynamiques, personnelles ou structurelles, à l’œuvre, qui plombent l’horizon africain. Pendant qu’ils évoqueront les nouvelles couleurs gaies, à leurs yeux, qui seraient sur le ciel africain, ils pourraient hélas finir par raboter les derniers fondements des sociétés africaines. L’heure, en somme, n’est pas à l’excès d’enthousiasme. A la vigilance, plutôt. Pour éviter que, comme après la désillusion du Nepad, des foules africaines ne soient obligées de se jeter dans la rue pour reprendre leurs destins en main. Entre-temps, les festivaliers auront déjà planté leurs tentes ailleurs. Pour vendre ce qui sera devenu leur nouvelle camelote…

Il convient dès lors d’empêcher, dès à présent, que le discours sur le continent ne soit privatisé au profit de ces saisonniers dont le silence a été assourdissant quand il a fallu parler des turbulences affectant le continent, de la mal gouvernance wadienne, à la politique de la canonnière occidentale en Libye, des détournements des deniers, de l’intrusion des prédateurs étrangers, y compris la Chine, de la reconquête, sous parapluie onusien, par la France de la Côte d’Ivoire, des risques d’une recolonisation a distance du continent, et des incertitudes sur les sorts des immigres, des jeunes et des populations les plus déshérités.

Le discours de salon, dans des cadres souvent huppés, qu’ils affectionnent fait de ces maîtres des nouveaux index sur l’Afrique de dangereux candidats à la notation de l’Afrique ou à la désignation de ses champions, des vedettes sélectionnées souvent sur des bases non démocratiques ni méritocratiques. Autant dire que la démocratisation du débat africain exige que le projet de ces festivaliers cesse de ressembler à un forcing pour capturer (à quelles fins ?) l’Agenda africain. Surtout que ces acteurs privés, prenant l’espace public laissé vacant par une classe politique en pertes d’initiatives, ne sont toujours aussi... blancs que neige ! Les laisser faire, c’est une fois encore permettre au marché, cette fois-ci celui des idées, après celui de la haute finance, de poser des actes dont les conséquences pourraient être aussi néfastes que l’ont été celles provoquées par la crise financière actuelle.

Le besoin d’une régulation - par l’Union africaine, la classe politique africaine, les Etats, la société civile ? - devient nécessaire. Pour pointer du doigt les nombreuses zones d’ombre que ces Pangloss des temps modernes tentent de masquer tant bien que mal. C’est aussi l’occasion de se défier de leur rhétorique sur l’honnêteté et la bonne gouvernance. Pour avoir vu mon idée d’un Forum sur le Développement Africain être détournée par la CEA et observé combien les instances privées africaines restent un espace où ne prospèrent souvent que les requins, il me semble particulièrement risqué de se fier au tableau idyllique de l’Afrique que les festivaliers présents à Dakar ces jours-ci présentent. Il ne faut surtout pas se fier à leur verbiage...

** Adama Gaye est journaliste et Consultant sénégalais

Source :
http://www.pambazuka.org