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Marre du business humanitaire !

D 10 septembre 2009     H 14:08     A Slimane     C 0 messages


Le continent africain est un chantier privilégié où associations
diverses et autres ONG locales, nationales et
internationales, bonne volonté en bandoulière et tiersmondisme
parfois naïf au coeur, s’en vont « aider » l’Afrique et les
Africain-e-s à « se développer ».

Dans les aéroports, dans les villages, on ne compte plus les
scouts en uniforme, les jeunes qui arborent leurs T-shirts
marqués du sigle de leur projet ou de leur association. Ils/elles
partent en mission… et s’en reviennent transfiguré-e- s, cheveux
nattés, habillé-e-s selon les normes locales, la tête et les sacs
emplis de souvenirs, certain-e-s de la grandeur désintéressée de
leur belle aventure humaine, jalonnée de rencontres
merveilleuses et de découvertes… Je reviens d’une mission au
Burkina Faso, où j’ai accompagné deux jeunes d’une association
qui soutient un projet de « tourisme solidaire » dans l’Est du
pays, mené depuis quatre années par une association locale. Ce
projet est un échec, et la mission de bilan qui devait permettre
l’analyse des causes des difficultés s’est transformée en une
mission de rupture du partenariat. Cette situation est
parfaitement classique : d’un côté, nous avons des jeunes
Français-e-s qui veulent s’engager pour une cause, qui n’ont
aucune connaissance liée aux problématiques du tourisme et du
développement, et qui s’associent avec des partenaires au Sud
pour mener à bien un projet, en multipliant les initiatives pour
trouver de l’argent et les démarches pour obtenir des subventions
publiques ; et de l’autre une association – ici burkinabé – avec un
« Bureau » qui répond à tous les appels d’offre des bailleurs de
fonds et qui cherche des relais au Nord, mais qui ne mène
aucune activité sur le terrain…

Derrière l’échec du projet de « tourisme solidaire », c’est la
logique même du développement par projet qui est posée et doit
être questionnée. La globalisation libérale capitaliste entretient
une division du travail qui marginalise sciemment les pays
africains, dont les pays du Nord se partagent les ressources à vil
prix, sans hésiter à intervenir dans les équilibres politiques de ces
pays indépendants. Les politiques menées par les institutions
internationales et les puissances politiques et économiques
occidentales présentes sur le continent conduisent l’Afrique vers
sa dépendance et la régression. De plus en plus, des ONG et des
programmes de solidarité menés par d’autres structures de cette
même mondialisation (Unesco, ONU, etc.) interviennent dans les
pays du Sud pour développer programmes et projets plus ou
moins ambitieux, plus ou moins onéreux. Professionnel-le-s de
l’aide et bénévoles se croisent, mais tou-te-s fonctionnent selon
le même schéma : on apporte des fonds, éventuellement de la
main-d’oeuvre pour réaliser des choses concrètes, et on « aide les
Africain-e-s », mais naturellement sans toucher – au nom de la
neutralité politique – aux mécanismes qui organisent le sousdéveloppement.
Et dans les pays du Sud, cette vision du
développement par projets financés sur un nombre x d’années
conduit à produire des stratégies de captation des capitaux par
des structures fondées dans cet objectif, répondant aux appels
d’offre en respectant à la lettre les mots-clefs que les bailleurs de
fonds escomptent, et vivant de cette manne en passant d’un
projet à un autre.

Si le développement est l’affaire de tou-te-s, le
développement des pays en Afrique est avant tout l’affaire des
peuples africains eux-mêmes, dans le cadre d’une lutte antiimpérialiste
dans les pays du Nord pour que les puissances
capitalistes cessent leurs politiques d’exploitation. Il peut être
intéressant de mener des projets sur place, et de contribuer à
l’amélioration de la vie des populations locales, même en-dehors
de toute réflexion géopolitique globale. Mais on ne saurait faire
n’importe quoi sous prétexte de bonne volonté. Penser le
« développement » et sa définition imposée par le capitalisme
globalisé, penser les mécanismes de prise de décision et
d’intégration des populations locales à la conception-même des
projets et à la répartition des bénéfices, penser la « solidarité
internationale » et les valeurs contradictoires que ce concept
recèle, et penser les multiples impacts environnementaux,
sociaux et économiques d’un projet à l’échelle d’une société ne
relève pas du supplément d’âme ni d’un problème marginal, mais
d’une étape préalable et indispensable à toute rédaction d’un
projet. En dernière analyse, c’est de toute façon aux populations
locales et aux peuples de définir leurs besoins et leurs priorités et
éventuellement de faire appel à des soutiens pour les épauler, et
non pour décider de ce qui est « bon pour eux » à leur place,
sous prétexte qu’ils détiennent les financements et maîtrisent
cette « ingénierie » du développement enseignée dans les Ecoles
supérieures du Capital.

En ce qui concerne les militant-e-s internationalistes,
anticapitalistes et révolutionnaires, nos tâches demeurent les
mêmes : jeter des passerelles entre les travailleur-euse-s et les
peuples à partir de résistances concrètes et de luttes communes,
et développer une analyse partagée du fonctionnement du
capitalisme globalisé et de ses mécanismes de division,
d’exploitation, et de mise en coupe politique, économique et
militaire de la planète. Dans ce cadre, nous devons garder des
distances nettes avec l’associatif humanitaire, sans toutefois
tomber dans l’excès de sa condamnation systématique ; la
grande majorité des membres des associations et des ONG sont
porté-e-s par un idéal que nous pouvons partager et la volonté
de changer le monde « à leur niveau ». Nous devons établir un
dialogue et « rappeler « qu’agir localement » ne peut se
conjuguer sans le volet « penser globalement » aux causes des
inégalités.

Slimane