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AFRIQUE DU SUD - L’histoire de Cosatu : retour au point de départ

D 12 septembre 2013     H 05:14     A Dirk Hartford     C 0 messages


Zwelinzima Vavi, le, secrétaire général de la Cosatu, principal syndicat, a été victime d’allégations selon lesquelles il aurait vendu l’immeuble du syndicat à Johannesburg à une société employant sa belle-fille. Aucune preuve de ces allégations n’a été produite mais ces attaques font suite à la dénonciation par Vavi du régime du président Jacob Zuma. Entretien avec Dirk Hartford, rédacteur en chef de Cosatu News.

Amandla ! : Comment voyez-vous ce qui se passe dans le Cosatu (1) aujourd’hui avec les accusations contre son secrétaire général, Zwelinzima Vavi (2) ?

Dirk Hartford : Je pense que ce que nous voyons est le résultat de la victoire décisive de la fraction Zuma-SACP (3) au Congrès de l’ANC en décembre à Mangaung. Le SACP a triomphé à Mangaung et a maintenant plus de personnes que jamais dans le comité exécutif (NEC) de l’ANC, dans le gouvernement et les ministères. Ils sont à l’offensive pour faire taire toute opposition significative dans l’Alliance. Après l’éviction de Julius Malema, des directions de l’ANCYL (4) et de la province de Limpopo, ils s’attaquent à ce qui les a toujours gênés, c’est-à-dire Vavi et les points de vue du syndicalisme indépendant ou de classe qu’il exprime.

Amandla ! : Pensez-vous qu’il y a quelque vérité dans les allégations contre Vavi ?

Dirk Hartford : Il y a actuellement trois commissions qui enquêtent sur des allégations diverses, parmi lesquelles Vavi pourrait être anti-ANC. Je ne peux même pas imaginer sur quelles bases ils porteraient une telle accusation à l’intérieur du Cosatu qui est supposé indépendant de l’ANC au niveau organisationnel. Mon sentiment est qu’il s’agit d’une attaque soigneusement planifiée et orchestrée par le SACP et ses alliés dans le Cosatu pour essayer d’en finir une fois pour toutes avec lui, ou du moins de le mater. Ils partent du principe que s’ils le couvrent suffisamment de boue sur la place publique, il en restera quelque chose. C’est une vieille tactique, une de celles dans lesquelles le SACP est passé maître. Qu’ils réussissent ou pas dépendra du rapport de forces dans les structures de direction du Cosatu et des capacités de résistance des soutiens de Vavi à l’intérieur du Cosatu. Il n’est pas impossible que ce schisme finisse par une sorte de scission du Cosatu, puisque le SACP est déterminé, d’une façon ou d’une autre, à contrôler les travailleurs organisés. Il croit être le seul à pouvoir parler au nom des travailleurs et il se comporte toujours comme une sorte de policier dans le mouvement ouvrier, enquêtant et se débarrassant des expressions de classe indépendantes.

Amandla ! : Donc la façon dont les points d’affrontement se dessinent a une histoire dans Cosatu ?

Dirk Hartford : Oui, cette bataille dans le mouvement de libération dure depuis longtemps — certainement dès avant la création du Cosatu. Un des questions centrales, lors des discussions unitaires qui ont mené à la formation de Cosatu, opposait ceux qu’on a appelés « ouvriéristes » et ceux appelés « populistes ». Les ouvriéristes se regroupaient généralement sur les principes d’indépendance et d’autonomie des travailleurs, ils rassemblaient une variété de tendances politiques incluant marxistes révolutionnaires, syndicalistes et même anarchistes. Les populistes se retrouvaient généralement autour du principe de fidélité à l’alliance ANC-SACP, avec des nationalistes africains et, bien sûr, les staliniens. Chacun considérait les travailleurs organisés comme leur base électorale. Beaucoup d’ouvriéristes imaginaient qu’un parti travailliste de masse pourrait surgir du mouvement syndical, tandis que les populistes pensaient à un SACP de masse. À cette époque, le Parti était pratiquement inexistant sur le terrain, mais comme il était interdit et en exil, il gardait une grande autorité morale. Les populistes ont été aux commandes et donné l’allure, au moins depuis l’avènement de la démocratie. Maintenant le SACP est le deuxième parti du gouvernement et exerce un grand pouvoir. Dernièrement, sa mission semble être d’attaquer toute action ou expression indépendante des travailleurs comme c’est arrivé à Marikana (5). Le SACP n’a aucun intérêt dans le changement du statu quo. Il y a eu des luttes innombrables au fil des ans dans des branches du Cosatu où le SACP a utilisé son poids, son influence et son appareil pour essayer d’écraser les politiques de classe indépendantes, aboutissant à l’exclusion de nombreux militants.

Amandla ! : Comment ce fait-il alors que le Cosatu soit toujours indépendant ?

Dirk Hartford : Malgré ses meilleurs efforts, le SACP n’a toujours pas réussi à imposer sa ligne dans le Cosatu. Il a maintenant le contrôle de la direction, de plusieurs branches clés comme le NUM, mais ces syndicats eux-mêmes ont des ennuis parce que l’écart entre la base et la direction est énorme. Le Parti est une organisation pour qui les principes du Cosatu comme le contrôle ouvrier sont une hérésie totale. Quel besoin de contrôle ont les travailleurs quand le Parti, l’avant-garde auto-proclamée de la classe ouvrière, est là pour les représenter ? Tout ce que le Parti affirme est contraire à la réalité : il n’est ni révolutionnaire, ni communiste, ni de classe. Quand a-t-on entendu parler du Parti menant une lutte de travailleurs ?

Le Cosatu est toujours formellement indépendant dans la mesure où ses structures peuvent prendre leurs propres décisions malgré la ligne du parti. Dans quelques syndicats, c’est toujours le cas ainsi que dans certaines structures du Cosatu. Si le Parti faisait déjà la loi, le Cosatu serait la fédération chérie, faisant ce que l’on lui dit. Mais le fait que Vavi soit toujours là montre que ce n’est pas encore le cas.

Amandla ! : Quelques idées sur l’avenir du Cosatu ?

Dirk Hartford : Le Cosatu est dans une situation très difficile. Il est dans une alliance avec l’ANC et le SACP, qui, essentiellement, dirigent un État capitaliste de connivence, qui est profondément anti-ouvrier et pro-grandes entreprises. Marikana a brisé les quelques illusions que conservaient de nombreux militants syndicaux.

Mais comment avancer ? Certains, comme les mineurs, se sont organisés dans des comités de travailleurs ou dans de nouveaux syndicats. Ceux-ci ont même donné naissance à une nouvelle organisation communiste, le Workers and Socialist Party (WASP : Parti ouvrier et socialiste) ; c’est la première fois que la gauche non stalinienne se lance dans la bataille organisationnelle pour le socialisme. D’autres, comme la direction NUMSA (6), continuent le combat dans des structures unitaires du Cosatu.

Pour le Cosatu le pronostic d’ensemble n’est pas bon : avec le poids mort du stalinisme si dominant dans l’appareil, il ne pourra plus jamais mobiliser les travailleurs comme il l’a fait dans les années 1980. La meilleure défense de Vavi serait de faire directement appel aux membres du Cosatu et aux travailleurs en général — au dessus de la tête des staliniens — de se mobiliser et de s’organiser contre les chefs et leur gouvernement ANC/SACP. ■

* Dirk Hartford a été, lors de la fondation de la centrale syndicale Cosatu au cours des années 1980, le principal responsable de sa presse et rédacteur en chef de Cosatu News. Le bimestriel marxiste-révolutionnaire sud-africain Amandla ! s’est entretenu avec lui à propos des implications des tensions que vit le Cosatu. Cet entretien a été publié par Amandla !

Traduction : Laurent B

Notes

1. Le Congrès des syndicats sud-africains (Cosatu) a été formé en 1985 par la fusion de divers syndicats anti-apartheid, dont le syndicat des mineurs (NUM, créé en 1982) et la Fédération des syndicats sud-africains (FOSATU, créée en 1979).

2. Zwelinzima Vavi (né en 1962), secrétaire général de la Cosatu, a été victime d’allégations selon lesquelles il aurait vendu l’immeuble du syndicat à Johannesburg à une société employant sa belle-fille pour un prix inférieur de 10 millions de rands au prix du marché. Aucune preuve de ces allégations n’a été produite, mais la presse s’est emparée de l’affaire. Ces attaques font suite à la dénonciation par Vavi du régime du président Jacob Zuma, dont il a dit : « Nous nous dirigeons rapidement vers un État prédateur à part entière dans lequel une puissante élite de hyènes politiques, corrompue et démagogique, contrôle de plus en plus l’État comme un véhicule d’accumulation. »

3. Lors du congrès de l’ANC — le Congrès national africain actuellement au pouvoir en Afrique du Sud — le Parti communiste sud-africain (SACP) s’est allié avec la fraction de l’actuel président de l’Afrique du Sud, Jacob Zuma.

4. ANCYL (ANC Youth League) est l’organisation de jeunesse de l’ANC.

5. Les mineurs de Marikana-Lonmin ont mené une grève en août 2012, durement réprimée (la police a tué 44 mineurs), mais finalement victorieuse en septembre, sans le soutien du principal syndicat de la Cosatu, la NUM. Cf. Inprecor n° 587 d’octobre 2012.

6. NUMSA (Union nationale des métallurgistes d’Afrique du Sud) a été constitué en 1987. Il regroupe cinq syndicats, dont certains ont été créés dans les années 1960 et 1970. Il fait partie de la Cosatu et regroupe 216 000 membres.

Source : http://orta.dynalias.org/inprecor