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AFRIQUE DU SUD - Le massacre des mineurs grévistes à Marikana : un tournant ?

D 4 septembre 2012     H 12:30     A Martin Legassick     C 0 messages


Le massacre de 34 mineurs en grève à Marikana (auxquels s’ajoutent sans doute d’autres), ainsi que les blessures infligées à plus de 80 mineurs, le 16 août dernier, a provoqué un choc et une vague de colère à travers l’Afrique du Sud qui s’est étendue au monde entier. Ce massacre pourrait être un tournant décisif dans l’histoire post-apartheid de notre pays.

Marikana est une ville située dans un veld [terme afrikaans signifiant « champ », il désigne les plaines arides parsemées d’arbustes et de maigre végétation des plateaux d’Afrique du Sud] aride, parsemé d’herbes brunes en hiver et découpé par quelques affleurements rocheux (les kopjes, petites collines surmontées de rochers). Les trois mines — Karee, West et East Platinum — appartenant à Lonmin (1) sont situées à la périphérie de la ville. Autour de deux d’entre elles se trouve un campement de cabanes aux parois de zinc, sur lesquels sont accrochés des fils servant à faire sécher le linge. C’est là, à Enkanini, que vivent la plupart des mineurs.

Les bâtiments de surface de la mine surplombent le campement de cabanes. A côté s’élève un gigantesque transformateur électrique vers lequel aboutissent d’énormes pylônes électriques courant à travers le veld. Cet ensemble constitue un « complexe minéral-énergétique » du type de ceux qui dominent l’économie sud-africaine depuis les années 1890 et qui sont fondés sur l’exploitation de la « main-d’oeuvre bon marché ». La seule différence est qu’aujourd’hui le platine a remplacé l’or comme métal figurant au centre de ce système extractif. L’Afrique du Sud produit les trois quarts du platine du monde (le platine est utilisé dans l’automobile comme composant des pots catalytiques des véhicules et en bijouterie) et elle est passée du premier au cinquième rang dans la production de l’or. Les travailleurs du sous-sol à Marikana proviennent toujours majoritairement de la province du Cap-Oriental, zone qui a été la plus atteinte par le système d’apartheid de migration du travail. Un tiers sont des travailleurs sous contrat, employés par des « courtiers en travail » pour les mines, recevant de bas salaires et sans aucune protection sociale, des retraites aux soins médicaux.

Inégalités accrues

Les mineurs de platine, les foreurs de la pierre, travaillent sous terre avec des températures oscillant entre 40°C et 45°C, en des lieux étroits, humides et faiblement ventilés où des pierres chutent tous les jours. Ils risquent la mort à chaque fois qu’ils descendent dans les puits. 3.000 mineurs étaient et sont en grève à Marikana pour obtenir des augmentations de salaire de 4.000 à 12.500 rand (de 378 à 1.183 euros) par mois.

La juxtaposition du complexe minéral-énergétique avec Enkanini — où des toilettes extérieures sont partagées par 50 personnes, où quelques robinets ne laissent couler qu’un mince filet d’eau, où les eaux usées répandent les maladies au gré des tuyaux percés et où les enfants récupèrent ce qu’ils peuvent des tas d’ordures — symbolise les énormes inégalités de la société sud-africaine actuelle (2).

Ces inégalités se sont accrues depuis 1994 avec le gouvernement post-apartheid de l’African National Congress (ANC). Les PDG gagnent des millions de rands en salaires et bonus alors que près d’un tiers des gens vivent avec 432 rands par mois ou moins (à peine 40 euros). Les trois top managers de Lonmin gagnaient 44,6 millions de rands (4,2 millions d’euros) en 2011 (Sunday Independent, 26 août 2012).

A partir de 1994, des Noirs ont été introduits par le capital blanc dans les conseils d’administration à la suite d’un accord avec le gouvernement et se sont lancés dans une consommation ostentatoire. L’ancien secrétaire général de la National Union of Mineworkers (NUM, syndicat national des mineurs), Cyril Ramaphosa, qui est actuellement à la direction de Lonmin, entre autres fonctions à la tête de nombreuses entreprises, a récemment acheté un buffle rare pour une somme de 18 millions de rands (plus de 1,7 millions d’euros), un fait qui a été souligné avec mépris par les travailleurs de Marikana lorsqu’il a fait un don de 2 millions de rands (189 120 euros) pour les dépenses des funérailles des mineurs tués. Le chômage réel en Afrique du Sud atteint 35 % à 40 % de la population active et il est encore plus élevé parmi les jeunes et les femmes, ce qui en fait un des taux les plus importants au monde.

Assassinats prémédités

Les médias ont filmé la police tirant avec des armes automatiques sur les mineurs en grève qui couraient vers eux depuis la colline rocheuse, où ils campaient, et les corps tombant au sol, fatalement atteints. La police avait érigé une ligne de fer barbelé tout en laissant un espace libre étroit de 5 mètres par lequel les mineurs ont tenté, fuyant les gaz lacrymogènes et les jets d’eau dirigés sur eux par-derrière, de retourner à Enkanini.

Des chercheurs de l’Université de Johannesburg (et non les journalistes, pour leur plus grande honte) ont révélé que les meurtres les plus importants ne se sont pas déroulés là. La plupart des grévistes se sont dispersés dans la direction opposée du campement d’Enkanini, essayant de fuir la police. Sur une colline située derrière le camp on voit encore les restes de mares de sang. Les marques de peinture jaune de la police sur cette « colline assassine » indiquent où les cadavres se trouvaient : il y a des étiquettes allant au moins jusqu’à la lettre « J » (ce qui signifie qu’il y avait au moins 7 personnes tuées à cet endroit). Il y a eu des tirs destinés à tuer d’autres travailleurs en fuite depuis des hélicoptères. Certains grévistes, selon les mineurs, ont été écrasés par des véhicules blindés datant de l’époque du système d’apartheid, les Nyalas de la police. La zone entière a été, dans les jours qui ont suivi, nettoyée par la police des balles en caoutchouc, des douilles et des canettes de gaz lacrymogène. Seuls des cercles d’herbes brûlées sont encore visibles, traces laissées par les feux de la police dans le but de faire disparaître les preuves des assassinats.

Des travailleurs ne sont toujours pas enregistrés dans la comptabilisation officielle du nombre de morts. Le nombre de décès est sans aucun doute supérieur à 34.

Une accumulation de preuves indique que ce n’est pas une police paniquée qui a fait feu sur des travailleurs dont elle croyait qu’ils l’attaquaient armés de bâtons et de machettes. Pourquoi, sinon, avoir laissé un espace étroit dans la ligne de fer barbelé ? Pourquoi les travailleurs tués étaient-ils en train de s’enfuir des positions tenues par la police ? Il s’agissait d’un meurtre prémédité d’une police militarisée destiné à écraser la grève. Cet écrasement a dû être ordonné au plus haut sommet de la chaîne de commandement. Cela est confirmé par les autopsies qui ont révélé que les travailleurs ont été abattus dans le dos (Cape Times, 27 août 2012) (3).

En raison de la crise capitaliste mondiale, qui a entraîné une chute dans la demande de nouveaux véhicules automobiles, le prix du platine a diminué, restreignant les importants profits de Lonmin. Lonmin a refusé de négocier avec les mineurs en grève et, à la place, a menacé de procéder à des licenciements massifs, ce qui est l’arme favorite des patrons miniers. La production de platine a diminué de 2 500 onces par jour, représentant plus de 3,5 millions de dollars (2,78 millions euros). Il était donc dans l’intérêt de Lonmin d’écraser la grève. On rapporte la citation d’un PDG du secteur du platine qui déclare que si la revendication de l’augmentation des salaires à 12 500 rands était obtenue, cela signifierait « que l’ensemble du secteur minier du platine serait contraint de fermer » (New Age, 20 août 2012).

Le massacre est revenu à la face des entreprises minières comme un boomerang. Il a attisé la colère des mineurs de Marikana et renforcé leur détermination à poursuivre la grève. « Nous mourrons plutôt que de renoncer à notre revendication » a affirmé quelqu’un lors d’un meeting de protestation qui s’est tenu à Johannesburg, le 22 août. Des travailleurs de la Royal BaFokeng Platinum et de l’Anglo American Platinum ont, en outre, rejoint la grève après le massacre, bien qu’il semble aujourd’hui (27 août) que l’on ait persuadé au moins certains travailleurs à reprendre le travail.

Un jour avant le massacre, le chef de la police, Riah Phiyeaga, a visité la police à Marikana. Le jour du massacre, un porte-parole de la police a déclaré : « Malheureusement ce jour est le jour-J » (Business Report, 17 août 2012). Phiyeaga a déclaré, après les assassinats, que « c’était la chose juste à réaliser » (The Star, 20 août 2012). Le gouvernement de l’ANC est impliqué dans ces meurtres commis en défense du capital minier blanc.

Perte de légitimité de l’ANC

Le massacre a, certes, fortement endommagé l’autorité morale que l’ANC a hérité de la lutte de libération contre l’apartheid. Le président Jacob Zuma, depuis le 16 août, a frayé sa voie en se distanciant des assassinats. Il a déploré la tragédie, visité le site six jours plus tard — où il a reçu l’accueil froid des mineurs, déclaré une semaine de deuil et établi une commission d’enquête. Il espère restaurer son image et celle de l’ANC avant qu’il n’ait à affronter une réélection à la présidence de l’ANC lors de sa conférence de Mangaung en décembre 2012. La commission a cinq mois pour rendre son rapport — délai que le président espère suffisant pour étouffer les discussions sur les événements jusqu’à la fin de la conférence de Mangaung. « Attendez les conclusions du rapport avant de former un jugement définitif » constituera le mot d’ordre de l’ANC et de ses alliés au cours des prochains mois.

Les mineurs, méfiants vis-à-vis de la commission officielle, ont appelé à la constitution d’une commission d’enquête indépendante ainsi qu’au retrait des charges retenues contre les 259 travailleurs qui ont été arrêtés. « La même personne qui a donné l’ordre de tirer est celle qui a nommé la commission », a déclaré un travailleur (Business Day, 23 août 2012).

L’ancien président exclu de la Ligue de jeunesse de l’ANC, le populiste Julius Malema, a profité du massacre pour visiter Marikana, dénoncer Zuma et offrir son assistance aux familles des travailleurs décédés. Comme des mouches s’agitant au-dessus d’un cadavre, l’ensemble des dirigeants de l’opposition parlementaire se sont rendus en délégation à un meeting à Marikana le 20 août pour offrir leurs condoléances. Au cours du même meeting, une procession de plus de 20 prêtres a tenté de revendiquer le haut-parleur.

Les médias ont affirmé que la violence a été précipitée par la rivalité entre la NUM et l’Association of Mineworkers and Construction Union (AMCU). Cela ne tient pas : lorsque les mineurs de fond de Marikana sont partis en grève, ils voulaient négocier directement avec le management et non qu’un quelconque syndicat les représente. C’est une chose qui a été rendue tout à fait claire lors des réunions à Marikana qui se sont tenues après le massacre et lors du meeting de protestation du 22 août (y compris par le secrétaire général de l’AMCU).

La grève était violente. Au cours de la semaine qui a précédé le massacre 10 personnes ont été tuées (six mineures, deux gardiens de sécurité de la mine et deux policiers).

NUM and AMCU

La National Union of Mineworkers, qui comprend actuellement quelque 300.000 membres, née dans la lutte contre l’apartheid, représente historiquement les mineurs. Elle a une fière histoire de luttes, dont la grève des mineurs conduite par Cyril Ramaphosa en 1987. La collusion entre la NUM et le patronat n’a eu de cesse de s’accroître depuis 1994. La NUM a conclu un accord de deux ans pour des augmentations de 8 % à 10 % de salaire avec Lonmin.

Lorsque les mineurs sont entrés en grève pour que leurs salaires soient plus que doublés, la NUM a tenté de les empêcher. Les grévistes affirment que la NUM a été responsable de la mort de deux d’entre eux au début de la grève. Frans Baleni, secrétaire général de la NUM, a déclaré deux jours avant le massacre que les grévistes étaient « un élément criminel » (Business Report, 15 août 2012). Baleni a affirmé, depuis le massacre, que cela était « regrettable » mais il n’a pas condamné la police, seulement les « forces obscures qui détournent les travailleurs » (4). Baleni gagne 77 000 Rands (7 275 euros), soit 10 fois plus que ce que gagne un mineur. A Marikana, les membres de la NUM ont déchiré et jeté leurs tee-shirts. Lors du meeting de protestation du 22 août à Johannesburg, un orateur de la NUM a été jeté dehors par les mineurs de Marikana.

L’AMCU est la bénéficiaire de tout cela. Elle ne comptait que 7.000 membres à Karee, une des trois mines de Marikana, où les travailleurs n’ont pas fait grève (ses membres ont été entraînés par un dirigeant mécontent de la section de la NUM après une grève l’année dernière). Des travailleurs de West and East Platinum rejoignent actuellement l’AMCU.

L’AMCU a été formée après que son président actuel, Joseph Mathunjwa, a été, en 1999, licencié d’une mine de charbon à Mpumalanga puis réengagé à la suite d’une protestation des travailleurs, mais il a alors subi un entretien disciplinaire de la NUM parce qu’il « créait des désordres dans le syndicat ». Il a alors été exclu de la NUM (dont Gwede Mantashe, le président d’alors est, ironiquement, l’actuel secrétaire général de l’ANC) et a créé l’AMCU.

L’AMCU revendique aujourd’hui quelque 30.000 membres. Elle représente des travailleurs des mines de charbon, de chrome et de platine à Mpumalanga et des mines de charbon à KwaZulu-Natal. Elle a des membres dans les mines de chrome et de platine à Limpopo et recrute dans les mines de fer et de manganèse autour de Jathu et de Hotazel dans la province du Cap-Nord. Elle a centré son activité en direction des vulnérables travailleurs sous contrat. A la suite d’une grève de six semaines à l’immense mine Impala Platinum à Rustenburg (un complexe minier comprenant 14 puits et 30 000 travailleurs) à laquelle ont participé 4 300 travailleurs en février-mars de cette année (et au cours de laquelle 4 personnes sont mortes), l’AMCU a gagné des membres. Il est aujourd’hui difficile de savoir si elle est en capacité de construire une solide organisation des travailleurs du platine ou si elle se limitera uniquement à une rhétorique populiste.

L’AMCU est affiliée au National Council of Trade Unions (NACTU), fédération syndicale rivale de la Congress of South African Trade Unions (COSATU), forte de 2 millions de membres. Ces deux fédérations sont nées dans les luttes contre l’apartheid. La COSATU est toutefois une alliée de l’ANC, ce qui fait qu’elle est partiellement compromise en raison de ses relations avec le gouvernement.

Les grèves dans le secteur du platine et le massacre se déroulent peu avant le onzième Congrès de la COSATU, qui se tiendra les 17-19 septembre 2012. La COSATU a depuis longtemps des divergences avec l’ANC au sujet de la politique économique. Au cours de la période récente, en outre, elle est traversée par des divergences internes croissantes sur ces questions ainsi que sur celle de savoir si Zuma devrait ou non obtenir un second mandat comme président de l’ANC et, par suite, être le probable président du pays s’il remporte les élections de 2014. Sdumo Dlamini, le président de la COSATU, soutenu par la NUM et par la National Education, Health and Allied Workers’ Union (NEHAWU – le plus important syndicat du secteur public), se déclare en faveur de Zuma. Le soutien du secrétaire général Zwelenzima Vavi, aux côtés de la National Union of Metalworkers of South Africa (NUMSA) et de la South African Municipal Workers Union (SAMWU), est moins vif au sujet de la réélection de Zuma. Les autres syndicats sont divisés.

On peut lire dans le rapport politique que Vavi destine au Congrès qu’il y a un « dysfonctionnement complet de l’État » (en raison de l’incapacité du gouvernement de l’ANC à fournir des manuels aux écoles de la province de Limpopo) et déclare qu’il y a « une distanciation sociale croissante entre la direction et les membres de la base » de l’ANC (Mail and Guardian, 10-16 août 2012).

Contrôle ouvrier ?

Lors de son Congrès de juin, le syndicat des métallurgistes NUMSA a adopté une résolution sur la nationalisation de l’industrie dans laquelle il est déclaré que : « Si nous voulons éviter de sombrer dans l’anarchie et la violence en raison des conséquences cruelles de la pauvreté, du chômage et des inégalités extrêmes qui traversent actuellement la société sud-africaine, la nationalisation sans compensation de la Banque centrale (Reserve Bank), des mines, de la terre et des industries stratégiques et monopolistes doit être réalisée sans délai. » Une telle politique pourrait mettre un terme rapide aux inégalités et à la pauvreté en Afrique du Sud si elle était réalisée sous le contrôle et la gestion des travailleurs (5).

La NUM est moins enthousiaste au sujet de la nationalisation. Ainsi que l’a déclaré un porte-parole de la NUM récemment : « Nous sommes pour la nationalisation, mais nous ne sommes pas pour une nationalisation qui engendre le chaos. » Dans un document qu’elle a émis en juin, la NUM a critiqué « la démagogie populiste (…) qui réclame la nationalisation et la présente comme la solution aux (…) défis » que sont les conditions sociales et économiques ainsi que les échecs de l’industrie minière à effectuer des changements ou à se plier aux exigences de la charte minière (6) (miningmx, 19 août 2012).

Dans son rapport politique cité plus haut, Vavi se penche aussi sur « la distance croissante entre les dirigeants et les membres » au sein des syndicats de la COSATU (Mail and Guardian, 10-16 août 2012) : un constat qui s’applique également, par exemple, à la NUM. Lors d’une rencontre privée récente, le secrétaire général de la NUM a averti Vavi que s’il ne cessait pas sa « croisade solitaire » il ne siégerait pas lors du Congrès de la COSATU.

L’onde de choc provoquée par le massacre aura des répercussions au sein du Congrès. Les divergences pourront alors s’approfondir. Certains observateurs prédisent même que la COSATU se fractionnera pendant ou après le Congrès. Les deux fractions au sein de la direction de la COSATU doivent toutefois faire face à la menace de l’érosion de la NUM et à la croissance de l’AMCU ainsi que d’autres syndicats qui attirent des membres mécontents de la COSATU.

Une déclaration de la COSATU du 23 août 2012 parle d’une « stratégie politique coordonnée, utilisée par d’anciens dirigeants syndicaux mécontents, faisant usage de l’intimidation et de la violence dans le but de créer des “syndicats” séparés, de diviser et d’affaiblir le mouvement syndical. » Elle poursuit en disant que le Congrès de la COSATU aura « à discuter de la façon dont nous pouvons détruire cette tentative de diviser et d’affaiblir les travailleurs, sur comment nous pouvons faire […] pour couper l’herbe sous le pied à ces “syndicats” séparés fantômes et de leurs soutiens financiers et politiques. » La menace contre l’unité des travailleurs constitue un puissant bâton qui permettra de réunifier les fractions de la COSATU. Cette stratégie sera soutenue par le Parti communiste d’Afrique du Sud, qui a de l’influence au sein de la COSATU. C’est, bien entendu, la direction de la NUM qui divise la classe laborieuse en raison de son échec à représenter les travailleurs de manière satisfaisante, ce qui les amène à quitter le syndicat.

Si une scission s’opérait à la COSATU et si l’AMCU et d’autres syndicats dissidents pouvaient créer des liens avec ce qui résultera de cette scission, des conditions favorables seraient alors créées pour le lancement d’un parti des travailleurs de masse partageant un programme de gauche qui pourrait défier l’ANC sur le terrain du pouvoir. Une telle situation résulterait de la combinaison entre des scissions au sein des organisations traditionnelles des travailleurs et l’émergence de nouvelles organisations. Ce n’est toutefois pas là le scénario immédiat le plus probable.

Les conséquences de la conférence de Mangaung pour Zuma ne sont pas prévisibles. Elles dépendent de la manière dont les réactions au massacre se dérouleront au cours des prochains mois. La presse rapporte déjà que des membres de l’exécutif national de l’ANC se sont révoltés contre Zuma (Sunday Times, 26 août 2012). Si l’ANC n’est pas en capacité de contrôler avec succès la situation, les vagues de choc et de colères provoquées par le massacre pourraient catalyser le début de la fin de la domination de l’ANC. Plus rien ne sera certainement pareil. ■

* Martin Legassick est actif sur les questions du logement dans la province du Cap Occidental. Il est membre du Front démocratique de gauche, un front anticapitaliste. Il a visité Marikana après le massacre. Cet article a été traduit en français et publié par la revue électronique A L’Encontre (http:// http://alencontre.org/).

Notes

1. Lonmin est une compagnie basée en Grande-Bretagne. Elle emploie 27’800 travailleurs et est le troisième producteur mondial, avec 22 tonnes produites en 2007, de platine. Les deux premiers producteurs – Anglo American et Impala Platinum, avec respectivement 70 et 55 tonnes produites en 2007 – sont également très actifs en Afrique du Sud. Xstrata est dans le capital, ainsi que Cyril Ramaphosa, aujourd’hui homme d’affaires en vue. (Réd.)

2. De plus amples détails sur les conditions d’existence peuvent être trouvés ici : Communities in the Platinum Minefileds www.bench-marks.org.za/research/rustenburg_review_policy_gap_final_aug_2012.pdf

3. http://m.capetimes.co.za/article/view/s/97/a/281877

4. Voir la vidéo sur le site de la NMU : http://www.youtube.com/watch?v=1eLzskhdYwY

5. Malema et la African National Congress Youth League se déclarent également en faveur de la nationalisation des mines, mais une telle position est interprétée comme une volonté d’enrichir les hommes d’affaires noirs prédateurs qui pourraient ainsi vendre leurs actifs à l’État.

6. La charte minière est un document qui a été adopté en 2002 qui contraint les compagnies minières à céder 26 % de leur capital à des Noirs d’ici à 2014 et qui les obligent à avoir un encadrement composé à 40 % de Noirs. Cette charte s’inscrit dans la suite d’une série de mesures prises depuis l’accession au pouvoir de l’ANC en 1994 qui, en s’attaquant aux monopoles de pouvoir des Blancs, visait à le diversifier et à en transférer une partie à des Noirs, des métis et des Indiens. Ces mesures participent, en fait, à la formation d’une nouvelle « élite » (bourgeoisie) noire, dont Ramaphosa est un exemple, aux côtés des « élites » traditionnelles.