Vous êtes ici : Accueil » Afrique australe » Afrique du sud » Au delà de la Coupe du monde, l’Afrique du Sud en

Au delà de la Coupe du monde, l’Afrique du Sud en

D 2 juillet 2010     H 12:51     A Léo Zeilig     C 0 messages


Aux récentes images de Sud-Africain-e-s en liesse à
l’approche de la Coupe du monde auraient dû succéder
celles de Sud-Africain-e-s construisant des barricades, alors
qu’une nouvelle vague de manifestations et de grèves balaie le
pays. Dans des scènes évoquant l’apartheid, la police affronte des
manifestant-e-s et à des ouvrier-e-s en grève, tirant à coup de
lacrymogènes, de balles en caoutchouc et de munitions réelles.

Cette vague de mobilisations arrive un an seulement après
l’élection, en avril 2009, de Jacob Zuma. Ce dernier était vu par
beaucoup, notamment par ses soutiens de l’imposant Congrès
des syndicats sud-africains (Cosatu) et du Parti communiste
(Sacp), comme représentant un nouveau départ pour le
gouvernement ANC, après 12 ans de politiques néo-libérales.
C’est pourquoi les récents mouvements en ont pris beaucoup par
surprise, des commentateurs exprimant leur incrédulité face à le
mécontentement envers un gouvernement élu à 66%. Dans une
tentative de dévier la colère exprimée dans les manifestations
pour de meilleurs services publics, le gouvernement a blâmé
« l’incompétence des municipalités » et a plaidé pour qu’on lui
laisse le temps de purger les conseillers inefficaces et corrompus.
Il a même menacé de prendre le contrôle de municipalités soidisant
« défaillantes ». Toutefois, les manifestant-e-s font porter
la responsabilité des défaillances des services publics sur les
conseillers locaux et les politiciens ANC corrompus.
Les manifestations dans les townships ont coïncidé avec la
recrudescence de grèves nationales ces dernières années. Elles
suivent la grève d’un mois de 2007 qui fut la plus longue et la
plus large grève du secteur public de l’histoire de l’Afrique du
Sud, avec plus de 700 000 grévistes et 300 000 autres
travailleurs, pour qui faire grève était illégal, prenant part aux
différentes formes de protestation. En août 2008, une autre grève
générale paralysa l’économie quand le Cosatu mobilisa contre la
hausse des prix des produits alimentaires et du carburant, qui
suivit celle de 2,75% de l’électricité. Depuis début 2009, il y a eu
24 mobilisations majeures dans tout le pays et les membres du
gouvernement considèrent que le nombre de manifestant-e-s
excédera cette année celui de 2007 et de 2008.
Richesses pour certain-e-s, pauvreté pour (beaucoup)
d’autres.

Bien que l’Afrique du Sud soit parmi les pays d’Afrique aux
meilleures performances économiques, tout le monde n’en a pas
bénéficié de manière égale. Depuis la fin des années 90,
l’économie de l’Afrique de Sud a observé 6% de croissance par an
et l’inflation a été réduite de 6%, comme d’autres économies
africaines. Ceci a cependant été le fruit de politiques néolibérales
avec un contrôle strict des dépenses et des services publics, qui a
touché le plus durement les pauvres à mesure que l’argent a été
détourné des dépenses publiques à travers des allègements
d’impôts pour les riches et les classes moyennes. L’augmentation
de certains postes au budget gouvernemental n’est pas venue
d’un changement fondamental de politique macro-économique,
mais par la mise en valeur de l’efficience fiscale. De telles
« économies fiscales », expliquent le COSATU et d’autres, se font
au détriment des dépenses en faveur du monde du travail.
Les gouvernements ANC ont trouvé l’argent pour remplir les
poches des grandes entreprises avec des milliards d’euros de
réductions d’impôts, avec la taxe sur les entreprises qui était de
50% au début des années 90 passée à 30% aujourd’hui. La
croissance économique des dernières années est liée à une
croissance de la demande globale, particulièrement en Chine,
pour les produits manufacturés et les matières premières
d’Afrique du Sud. Comme ailleurs dans le monde, ceci a coïncidé
avec un boom financier et spéculatif engendrant une montée en
flèche des prix de l’immobilier de 400% – plus qu’aux États-Unis
et en Irlande. Alors qu’il y a eu des investissements en
infrastructure, cela a été réalisé par des partenariats public-privé
similaires avec ces grosses sommes investies dans des projets
touristiques comme les stades de foot de la Coupe du monde et
un réseau ferroviaire rapide pour l’élite, qui évite Soweto, entre
Johannesburg et Pretoria qui servira surtout aux migrations
pendulaires des riches et des classes moyennes.

La proportion de personnes vivant sous le seuil de pauvreté a
diminué de 58% en 2000 à 48% en 2005 et beaucoup de familles
ont eu accès à des programmes de réduction de la pauvreté. Mais
beaucoup de foyers et de communautés restent piégées par la
misère. 75% des enfants noirs vivaient dans la pauvreté en 2007,
contre 43% d’enfants « de couleur », 14% d’Indiens et 5% de
blancs. Le gouvernement prétend avoir construit plus de 2
millions de nouveaux logements mais il y a toujours 2000
habitations informelles dans tout le pays dans lesquels les gens
vivent sans sanitaires ni électricité, dans des cabanes faites de
taule ondulée et de matériaux récupérés. Près de 10 incendies
par jour tuent des centaines de personnes tous les ans. La colère
et l’amertume des rêves brisés de libération rongent ainsi le tissu
social. Une rage qui s’exprime aussi à travers les 50 personnes
assassinées par jour. Les chiffres de la criminalité ont certes
diminué ces dernières années, mais ils sont toujours élevés par
rapport à la moyenne internationale.

Officiellement, le chômage est situé à 23%, mais les
observateurs les plus sérieux et les militant-e-s l’estiment à plus
de 40%. Un chiffre qui risque de monter alors que la crise
globale commence à poindre dans un pays dont la récente
fortune économique a été le produit d’une demande pour des
marchandises comme le charbon, l’or ou le platine. C’est pourquoi
les demandes d’emplois et de salaires décents sont au coeur des
revendications des manifestant-e-s. Dans ce pays, le travailleur
moyen doit nourrir 5 membres de sa famille. Lors des
manifestations les média n’ont d’ailleurs pas manqué de noter le
jeune âge de nombreux participant-e-s. 1 jeune sur 2 entre 18 et
24 ans est au chômage, et alors que la jeunesse a joué un rôle
symbolique et de premier ordre depuis les révoltes de Soweto en
1976, il n’est pas surprenant qu’elle se soit impliquée. Malgré sa
récente promesse de créer 500 000 emplois, le président Zuma a
reculé et statué que « ce ne sont pas des emplois permanents Ouvriers des chantiers de la Coupe de monde en grève en 2009
que l’économie devrait créer, mais des opportunités qui devraient
aider notre peuple à survivre à court terme ».

Il est important de comprendre la signification de l’élection de
Jacob Zuma et les attentes qu’il a suscitées. Zuma, à la différence
de Thabo Mbeki, est vu comme un « homme du peuple » et un
ami des travailleurs ayant la volonté d’écouter les syndicats.
Zuma et ses soutiens (dont le COSATU et le SACP) ont
longuement expliqué que ce dernier avait été persécuté par
Mbeki et ses partisans. En septembre 2008, Mbeki, alors
président, était démis par le Comité exécutif national de l’ANC
après un verdict judiciaire qui suggérait que Mbeki, ou des
membres du gouvernement, avaient pu interférer avec la décision
de la National Prosecuting Authority pour poursuivre Jacob Zuma
sur une affaire de corruption liée à la vente d’armes. Cela a
conduit à une rupture dans l’ANC et à la formation d’un nouveau
parti politique – le Congrès du Peuple (COPE) – par les partisane-
s de Mbeki, dirigé par des multi-millionnaires noirs. En janvier
2009, Zuma était à nouveau poursuivi pour corruption mais,
quelques semaines avant l’élection, les charges tombèrent, lui
pavant la voie pour devenir président du pays.
Il y existe, à gauche, l’idée que Mbeki a été remplacé à cause
de conflits internes à l’ANC. Mais ces conflits reflètent la colère et
la frustration envers ses politiques néo-libérales et le destin de
Mbeki n’était pas scellé par des manoeuvres internes mais par les
grèves générales et les manifestations de ces dernières années
auxquelles Zuma s’est intelligemment associé pour gagner le
soutien du SACP et du COSATU. En ayant l’air de persécuter
Zuma, Mbeki a renforcé sa popularité et en a fait un nouveau
leader pour des millions de mécontent-e-s. Toutefois, Zuma n’est
pas un radical. Il était vice-président sous Mbeki et ne protesta
pas contre les politiques favorables aux entreprises de Mbecki ni
ses remarques scandaleuses sur le VIH et le sida selon lesquelles
il n’y aurait pas de lien entre les deux phénomènes.

Zuma est un pragmatique qui a tenté, jusqu’à présent de
manière satisfaisante, de rassurer les capitalistes qu’il ne
basculerait pas vers la gauche. Présenté comme un homme de
gauche par ses soutiens, il parle plus comme un républicain
américain, comme l’a dit un éditorialiste, avec ses appels à une
action plus dure contre la criminalité et à des marchés plus libres.
Avant son élection, le conseiller le plus proche de Zuma, l’ancien
dirigeant syndical Gwede Mantashe, rencontra les investisseurs
de Cape Town et souligna les façons d’accélérer la hausse des
investissements en Afrique du Sud, de combattre le crime et
d’offrir progressivement un filet social de sécurité, disant que la
présidence de Zuma ne consisterait pas à opposer « les
entreprises contre les pauvres » mais à « créer un environnement
pour les entreprises tout en se tournant vers les besoins des
pauvres. » Un peu avant son élection, Zuma parla d’établir un
« pacte » entre les entreprises, le gouvernement et les syndicats
pour répondre aux bas salaires, aux grèves et à l’inflation. Les
grèves et les manifestations ont fait volé en éclat cette
perspective, et au lieu d’apporter la paix sociale le Financial
Times note qu’« il y a une sale, imprévisible humeur chez les
pauvres sud-africains ».

On parle toujours du fait que l’alliance entre l’ANC, le COSATU
ou le SACP puisse se briser mais beaucoup des principaux
militant-e-s considèrent encore qu’il est mieux de travailler à
l’intérieur de l’Alliance. Zuma prévenait d ailleurs ainsi les militante-
s avant la violente rupture dans l’ANC : « ...une chose que nous
savons d’après des décennies d’expérience. Personne ayant
quitté l’ANC, quelle qu’en soit la raison, n’est parvenu à se
distinguer. » L’Alliance est rongée par des contradictions et des
tensions résultant de la confusion entourant la manière de
comprendre l’ANC, avec les dirigeant-e-s du très radical syndicat
des mineurs déclarant par exemple que les manifestations sont
le résultat de politiques dirigées par les « agents néo-libéraux du
gouvernement » et accusant certains protestataires d’être « des
forces opportunistes et réactionnaires » qui manipulent les
mouvements des townships.
Il est clair en tout cas que les grèves militantes et les
protestations des townships de ces dernières années ont eu pour
effet de rompre le consensus néo-libéral au sein de l’Alliance.
Avec l’élection de Jacob Zuma beaucoup espéraient que cela
conduirait à une nouvelle période de stabilité sociale. 15 ans de
gouvernement ANC ont vu l’Afrique du Sud devenir le pays le plus
inégalitaire au monde mais aussi sa capitale protestataire. En mai
2008, les chiffres de la police et du gouvernement notèrent
qu’entre 1997 et 2008 il y avait eu 8695 incidents liés au contrôle
de la violence ou de l’agitation des foules et 84 487 incidents liés
au contrôle de foules et de manifestations pacifiques.
Et alors que les précédentes protestations avaient été
centrées sur des questions comme le manque d’eau et le
logement, les récentes manifestations ont été plus généralisées
et plus violentes. Comme le protestataire Mzonke Poni le dit aux
journalistes : « À chaque fois que le gouvernement ANC échoue à
tenir parole, il se trouve des excuses et en fait le reproche à des
individus. Il est vrai que ses conseillers manquent d’engagement
et de talent, mais il faut aussi blâmer la direction nationale – et
pendant ce temps les gens souffrent. La seule façon de se faire
entendre par le gouvernement est d’exprimer notre colère et
notre rage et alors ils comprennent ce que nous ressentons ».
La Coupe du monde n’offre à l’Afrique du Sud rien d’autre que
ce qu’elle a toujours connu : la séduisante illusion du
développement par les grands stades, la publicité internationale,
et le tourisme footballistique. La réalité ne changera pas pour
celles et ceux qui désiraient un vrai changement avec la fin de
l’apartheid ou qui espéraient que la victoire de Zuma l’an dernier
implique une rupture avec les politiques dévastatrices qui ont
plongé l’Afrique du Sud plus profondément dans la pauvreté.
Mais le climat de rébellion, qui est depuis longtemps un
invariant pour les pauvres sud-africain-e-s, crée d’immenses
opportunités et défis aux révolutionnaires pour aider à organiser
des protestations, et à unifier les luttes des chômeur-euse-s
pauvres des townships et les travailleur-euse-s pauvres dans la
direction d’une alternative politique qui puisse commencer à
défier la domination de l’ANC.

Peter Dwyer et Leo Zeilig. Traduit de l’anglais par Félix Boggio