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Afrique du sud : Des reniements et des échecs

D 23 juin 2024     H 05:00     A Paul Martial     C 0 messages


Les résultats des élections générales de 2024 revêtent une importance plus pour ce qu’ils disent de l’état d’esprit des populations en Afrique du sud que pour la politique future suivie par le nouveau gouvernement de coalition.

En effet, les conflits entre les différentes tendances en interne de l’African National Congress (ANC) ont produit deux départs anticipés de la présidence de la République sans que l’orientation politique et économique ne change véritablement. En d’autres termes que cela soit l’aile droite de l’ANC symbolisée par le gouvernement Thabo Mbeki de 1997 à 2007 ou l’aile gauche avec le gouvernement de Jacob Zuma de 2009 à 2018, elles n’ont pas eu, au-delà de la rhétorique, des changements concrets pour les populations pauvres.
L’échec de l’ANC est lié à sa stratégie politique mise en place il y a trente ans.

Continuité économique

Si la fin de l’apartheid a libéré la grande majorité de la population de l’oppression raciste et institué une démocratie, au niveau économique rien n’a véritablement changé. On serait tenté de dire que c’est la continuité de la politique économique de l’époque de l’apartheid qui a permis son démantèlement de manière relativement non violente.
En effet au début des années 1990, vont se dérouler des négociations entre l’ANC et le pouvoir politique blanc et les chefs des six grandes entreprises représentant à elles seules 80% de l’économie du pays. L’accord est simple, l’abolition de l’apartheid ne doit se faire qu’en respectant le cadre économique existant.

Cet accord sera renforcé par la mise en place du Black Economic Empowerment (BEE) qui vise à intégrer les dirigeants de l’ANC mais aussi du Congress of South African Trade Unions (COSATU) la Centrale syndicale et du South African Communist Party (SACP) dans les directoires des grandes entreprises afin de faire émerger une bourgeoisie noire. Cette accumulation primitive du capital pour la couche dirigeante de la coalition tripartite ANC-COSATU-SACP qui dirige le pays donnera naissance à une classe dirigeante noire et coloured (personnes métisses). Elle sera la meilleure garantie de la pérennité du système économique.

L’ANC dans son programme fondateur, la charte de la liberté de 1955, se prononce pour la nationalisation des banques et des mines des monopoles industriels, la mise en place d’une réforme agraire, la refonte du droit du travail garantissant un salaire minimum, une couverture sociale et un temps de travail légal. Tout au long de son combat contre l’apartheid, la dimension économique prend une place marginale, ce qui a pour avantage d’éviter d’effrayer les dirigeants du monde occidental. L’économie étant laissée de côté, peu de dirigeants vont s’y intéresser. L’ANC va connaitre une absence d’expertise et de débat sur ces sujets. Pendant le gouvernement d’union nationale qui gère la transition post-apartheid, l’ANC sera dans l’incapacité d’avancer une politique économique cohérente. D’autant que cette période de transition de 1992 à 1994 correspond au pic de l’hégémonie du néolibéralisme emmené par Thatcher et Reagan. A cela s’ajoute la chute du mur de Berlin, sachant que le camp « socialiste » qu’il soit soviétique ou chinois est une référence pour les cadres du parti de Mandela. Mais les Chinois déconseillent fortement aux dirigeants de l’ANC de s’aventurer dans une politique économique socialisante, les dissuadant même de procéder aux nationalisations des grandes entreprises et banques du pays : « À la fin des années 1990, le parti [SACP] considérait le Parti communiste chinois comme un nouveau modèle potentiel, mais le parti chinois lui-même subit une réinvention spectaculaire en tant que parti « communiste » supervisant une économie de marché. Ces dernières années ont vu une série de « missions d’enquête » menées par de hauts dirigeants du SACP en Chine pour « tirer les leçons » du miracle chinois en cours, et de subtils encouragements chinois ont aidé le SACP à adopter des partenariats entre le secteur privé et le secteur public. [1] »

Aussi surprenant que cela puisse paraître, l’adoption d’une politique économique néolibérale correspondant aux standards des institutions financières internationales s’est faite de manière autonome par l’ANC.

La Banque Mondiale elle-même au moment de la transition promouvait une politique de répartition de la valeur plus généreuse pour les populations pauvres que celle de l’ANC : « la Banque mondiale était bien informée de la situation sud-africaine et était prête à tolérer, voire à approuver, une réforme radicale : c’est auprès des consultants de la Banque mondiale que l’ANC a acquis l’idée du transfert racial d’une quantité substantielle de terres (30 % des terres possédées par la population blanche) et un rapport de la Banque mondiale a suggéré qu’un déficit budgétaire de 10 % pourrait être souhaitable dans un premier temps dans le feu du changement[2] »

Encore faut-il être plus précis quand on parle de l’ANC, car la politique économique n’a pas été largement débattue en son sein et sa gestion était principalement prise en charge par le Trésor autour de l’équipe nommée par Thabo Mbeki. Alec Erwin, ancien dirigeant du COSATU est nommé au Department of Trade Industry (ministère de du commerce et de l’industrie), Trevor Manuel, lui aussi ancien syndicaliste et dirigeant du Front démocratique uni (UDF), est à la tête du ministère des Finances, enfin Tito Mboweni, organisateur de l’ANC est gouverneur de la Banque de réserve sud-africaine (SARB).

Ces dirigeants, du fait de leur parcours militant, pouvaient être considérés comme à gauche de l’échiquier politique interne de l’ANC. Leur changement rapide et radicale d’une option économique que l’on pourrait qualifier de keynésienne vers le néolibéralisme s’explique grandement par la fréquentation des dirigeants des grandes entreprises et des experts économiques des différentes institutions du monde économique. Certes il y a eu au sein de l’ANC des structures comme le Macro-Economic Research Group (MERG) qui ont travaillé et tenté de proposer en vain une alternative économique au néolibéralisme : « Le MERG était une voix relativement isolée plaidant pour de réels changements structurels et institutionnels de l’économie, rejetée finalement par l’ANC à la demande du monde des affaires [3] ».

Cette orientation économique prise dès le début et symbolisée par le Growth, Employment and Redistribution (GEAR) ne variera guère. Si plusieurs plans ont été adoptés ils n’ont guère impacté la constance de l’orientation économique. Cette politique va avoir des conséquences néfastes pour la classe ouvrière et plus généralement pour les populations pauvres. En effet elle empêchera la promotion d’une authentique politique de redistribution des richesses mais aussi de diversification de l’économie.

L’essentiel de l’économie sud-africaine est basé sur l’industrie des mines. Les tentatives de diversification ont échoué. En effet les changements économiques ont été d’une part une financiarisation de l’espace économique et d’autre part une désindustrialisation qui a eu des conséquences sur les secteurs du textile, de l’habillement et en partie de l’industrie automobile faisant chuter la production de voitures de moitié entre 1995 et 2013, passant de 600 000 à 300 000 unités par an. Cette libéralisation de l’économie a permis une fuite des capitaux vers les pays occidentaux qui a été d’ailleurs analysée comme le signe d’une économie florissante autour de l’idée que l’Afrique du Sud était désormais capable d’investir en Europe. Cette fuite des actifs peut être symbolisée par le transfert du siège social du conglomérat minier Anglo American appartenant à la famille Oppenheimer de Johannesburg à Londres.

L’émergence d’une bourgeoisie noire

Le but pour les capitalistes blancs était évidemment d’intégrer la direction de l’ANC à la bourgeoisie, meilleur moyen d’assurer sa pérennité en dépit de ses actions passées pendant des décennies de défense de l’apartheid. C’est ainsi qu’une frange de l’ANC, à partir des postes de direction occupés dans les grandes industries, a accumulé le capital nécessaire pour rejoindre les rangs des grands capitalistes.

Si on prend l’exemple du président actuel Cyril Ramaphosa, de responsable syndical du NUM affilié à la COSATU, il est devenu un des hommes les plus riches du pays. Propriétaire de la société New African Investment limited cotée à la bourse de Johannesburg. Dans son portefeuille il y a des actions de sociétés comme Mac Donald Afrique du sud. Il a occupé la présidence de l’entreprise de télécommunication MTN, et est actionnaire de la société minière Lonmin. C’est certainement à ce titre qu’il a dans un email exhorté la direction de l’entreprise à ne rien céder aux mineurs en grève qu’il qualifiait de criminels. La grève s’est terminée dans un bain de sang où 34 grévistes furent assassinés par les forces de sécurité sud-africaines.

Cette bourgeoisie noire liée à l’ANC est fortement présente dans les sociétés de négoce. En utilisant ses relations politiques les importations de produits passés par les administrations et des entreprises publiques sont obligées de transiter par leurs fourches caudines. A cela s’ajoute la qualité du travail d’intermédiaire qui est rarement au rendez-vous. Ainsi les produits importés ne correspondent pas à la commande initiale, plongeant les administrations et les entreprises publiques dans des problèmes insolubles.
Ces problèmes de qualification se retrouvent au niveau des directions des entreprises ou des ministères comme le soulignait Gwen Mahlangu-Nkabinde, à l’époque ministre des Travaux publics : « des contrats sont attribués à des gens qui n’ont aucune idée de ce qu’ils sont censés faire [4] ».

Souvent la solution est de faire appel à des consultants qui mènent les projets que les hauts cadres sont censés diriger, ce qui multiplie par deux des coûts salariaux particulièrement élevés et qui favorise des visions en silo dans les entreprises ou les administrations.

Ainsi la société d’électricité ESKOM est devenue le symbole de ce qui ne fonctionne pas en Afrique du sud en cumulant les problèmes de compétence, de corruption avec un coût estimé par l’ancien PDG Andre de Ruyter à 55 millions de dollars par mois [5] mais aussi d’orientation économique. En effet, en étant partie prenante d’une politique libérale, l’Afrique du sud s’est empêchée de développer les infrastructures nécessaires à sa croissance économique au profit d’une financiarisation de son économie. « le fait que l’Afrique du Sud ait adhéré à la libéralisation économique a contribué à la déstabilisation de la relation ancienne entre les firmes minières, qui étaient liées par des contrats à long terme avec Eskom moyennant des tarifs électriques très avantageux, et l’opérateur public. »[6]

Une situation sociale et économique toujours dégradée

Les conséquences de cette politique sont d’abord un niveau de chômage particulièrement élevé. Il est de 32% touchant six fois plus les populations. Pour les jeunes de 15-24 ans il s’élève à 59.4%. La majorité de la population arrive à survivre avec les aides sociales qui sont partagées au sein de la famille.

Le recul de 36 places dans l’indice de développement humain entre 1990 et 2021 documenté par le PNUD reflète un très fort appauvrissement de la population. Les townships sont très densément peuplées avec des infrastructures limitées. Ainsi à Motsoaledi dans la ville de Soweto, il y a 48 points d’eau pour 40 000 habitants.
L’Afrique du sud est présentée, à juste titre, comme un des pays les plus inégalitaires au monde. 10% de la population possède plus de 80% des richesses. 75% des familles noires vivent en dessous du seuil de pauvreté.

Dans un rapport l’organisation de défense des droits humains alerte sur la situation des personnes âgées : « Human Rights Watch a constaté que le ministère du Développement social (Department of Social Development) n’a pas alloué suffisamment de ressources aux services de soins et de soutien communautaires et à domicile, ni aux organisations à but non lucratif chargées de fournir de tels services. En outre, les objectifs actuels du gouvernement en matière de prestation de services continuent de laisser des centaines de milliers de personnes âgées sans accès à ces ressources. [7] »

Une corruption endémique

La corruption a été une question centrale dans les élections et est l’un des principaux reproches formulés à l’ANC. Avec le pouvoir de Jacob Zuma la corruption a pris un tour exponentiel et particulièrement inquiétant. Le rapport du juge Zondo, qui fait près de 5 000 pages, fruit de quatre années de travail, dévoile le système mis en place par la fratrie Gupta, hommes d’affaires peu scrupuleux, pour piller les entreprises nationales grâce à des systèmes de commandes publiques frauduleuses. Les Gupta, pour assurer la longévité de leur système ont méthodiquement écarté les fonctionnaires honnêtes pour les remplacer par d’autres sans scrupules et peu efficaces. Ces procédés n’ont pu se faire qu’avec la complicité de Zuma présenté par le rapport comme une marionnette aux mains de ces prédateurs économiques. A leur apogée, leur pouvoir était tel qu’ils ont pu faire remplacer le ministre de l’économie par un homme à leur service. Ce qui déclencha une tempête politique obligeant Zuma de nouveau à procéder à un remaniement ministériel. Lorsque Zuma était à la vice-présidence, il fut impliqué dans un détournement de fonds lié à un contrat d’achat d’armement avec la société française Thalès. Une autre affaire a éclaté pendant sa présidence avec les travaux de sa maison dans sa région natale pris en charge par le budget de la nation.

Mais Zuma n’est pas un élément isolé dans l’ANC. Cette organisation s’est toujours refusée à lutter contre la corruption qui frappe leurs dirigeants parce que précisément ce sont ses dirigeants. Même impliqués dans les affaires que la presse met sur la place publique, les hauts cadres de l’ANC restent à leur poste. Le dernier exemple en date, celui de Nosiviwe Mapisa-Nqakula est révélateur. Elle a touché de 2016 à 2019 des pots de vin à l’époque où elle occupait le poste de ministre de la défense. Malgré une alerte émise en 2021, elle deviendra présidente de l’Assemblée nationale avant d’être arrêtée quelques jours avant les élections.

Quelques enseignements des résultats des élections de 2024

Les premières élections libres en Afrique du sud en 1994 donnaient 62% des voix à l’ANC. Ce parti renforcera sa position aux élections suivantes, celles de 2004 avec 69% des voix, puis en 2014, de nouveau 62%. Le premier avertissement aura lieu lors des élections municipales de 2016 où le parti de Mandela ne recueille que 54% des voix avec une perte de 8% par rapport à 2011.

Les principaux autres partis sont dans une relative stabilité. L’opposition de droite Democratic Alliance (DA) progresse d’un point à 21.81% idem pour les populistes de gauche les Economic Freedom Fighters (EFF) avec 9,52%. Ainsi ni l’opposition de droite ni celle de gauche ne bénéficie de la chute de popularité de l’ANC. La grande surprise de ce scrutin est le succès remporté par le parti de Jacob Zuma Umkhonto we Sizwe (MK) (qui était le nom de la branche militaire de l’ANC) avec 14,58%, le plaçant en troisième position.
Rappelons que Jacob Zuma a été le président de la république après avoir réussi à destituer Thabo Mbeki sur la base d’une ligne politique plus à gauche dans l’ANC. Une fois président, difficile de trouver des mesures significatives en faveur des plus pauvres. On retiendra seulement son nom pour des affaires de corruption mentionnées plus haut.
C’est un des paradoxes de cette élection. La volonté d’en finir avec la corruption d’un côté, et de l’autre les bons scores électoraux d’un parti qui créé à peine plus de cinq mois a à sa tête, un politicien soudoyé.

Jacob Zuma surfe sur son image d’homme du peuple en butte avec l’intelligentsia et l’élite sud-africaine. Son programme est vague, il emprunte des mesures sociales aux EFF et en parallèle va défendre des politiques conservatrices en matière sociétale pour gagner les faveurs de chefs coutumiers. Il flatte le nationalisme en évoquant le fondateur de la nation zoulou le roi Shaka et débauche ainsi les électeurs traditionnels de l’Inkatha Freedom Party traditionnellement bien enracinés dans la région du KwaZulu-Natal.

La corruption en Afrique du sud n’est pas perceptible directement par les populations les plus pauvres comme dans certains autres pays africains où des policiers, pour n’importe quel prétexte vont exiger de l’argent, tout comme les fonctionnaires pour effectuer des formalités administratives dévolues à leur fonction. Comme la corruption se situe dans les sphères supérieures les conséquences de cette dernière sur la vie de tous les jours des populations si elles sont bien réelles n’en restent pas moins difficiles pour établir le lien entre un politicien particulier et son action de corruption. Cela explique que Jacob Zuma peut bénéficier d’une telle popularité alors qu’il est responsable des détériorations des services publics qui impactent grandement les populations les plus pauvres. Les riches peuvent toujours pallier au manque d’électricité en utilisant des groupes électrogènes et se soigner et envoyer leurs enfants dans des institutions privées.

La constitution d’une alliance gouvernementale

L’ANC appelle à une large coalition gouvernementale. Cyril Ramaphosa lors de la proclamation des résultats déclarait : "Ce que cette élection a montré clairement, c’est que le peuple sud-africain attend de ses dirigeants qu’ils travaillent ensemble pour répondre à leurs besoins » et précise clairement son objectif : « Ils attendent des partis pour lesquels ils ont voté qu’ils trouvent un terrain d’entente, qu’ils surmontent leurs divergences, qu’ils agissent et travaillent ensemble pour le bien de tous. »

Entre DA et EFF il y a un jeu, chacun diabolise l’autre au niveau des discours. La réalité est différente à l’issue des élections municipales de 2021 EFF n’a pas hésité à apporter ses voix à DA pour « punir l’ANC » et DA ne les a pas refusées dans certaines municipalités comme Johannesburg, Ekurhuleni, Mogale City, Thabazimbi et bien d’autres.
La question des alliances porte aussi sur la personnalité de Ramaphosa. Certains comme Umkhonto we Sizwe souhaitent le voir démissionner alors que pour l’ANC, au moins officiellement, cela n’était pas négociable.

Un gouvernement d’unité nationale s’est donc formé regroupant 273 sièges sur les 400 de l’Assemblée nationale, soit 68%. Il est composé de ANC (159 sièges) de DA (87 sièges) de l’IFP (17 sièges), de PA (9 sièges) et enfin du parti GOOD avec 1 siège.
C’était le choix des responsables d’entreprises. Désormais ils pousseront pour que ce nouveau gouvernement continue et accentue son offensive anti ouvrière avec notamment l’exigence de libérer le marché du travail et démanteler toutes les lois sociales.

La difficile émergence d’une gauche démocratique et radicale

La construction d’une force à la gauche de l’ANC et du SACP a été ponctuée par deux tentatives marquantes.

La première est l’apparition des EFF regroupant une partie de l’organisation de jeunesse de l’ANC ANC Youth League conduite par Julius Malema. Fondée juste après la grève de Marikana en août 2012 qui a connu la répression anti ouvrière la plus féroce depuis la chute de l’apartheid.

Du fait de sa genèse, un bloc qui s’est détaché de l’ANC, les EFF ont gardé tous les travers et les défauts de leur organisation d’origine. Son dirigeant Julius Malema, outre ses démêlés avec le fisc, est impliqué dans une affaire de corruption liée aux marchés publics dans la région de Limpopo. Les EFF mènent une pratique militante peu démocratique avec les différents acteurs des luttes. Les travers bureaucratiques tant en interne qu’à l’extérieur et leur ligne ethno-nationaliste ne permettent pas à cette organisation d’offrir une traduction politique aux multiples luttes qui se mènent dans le pays. Leurs habitus machistes voire militaristes sont aussi un obstacle à la prise en compte des luttes féministes et LGBT. Malgré leur référence à Fanon et à Thomas Sankara dans leur praxis politique ils en sont très éloignés, refusant tout processus d’auto-organisation des luttes et de leur contrôle démocratique par les acteurs eux-mêmes. Par contre, si on doit leur reconnaître une qualité, c’est celle de ne pas céder aux vagues xénophobes qui se manifestent avec de plus en plus d’intensité, fruits d’un désespoir social parmi les populations les plus pauvres.
La seconde tentative est celle lancée par le syndicat NUMSA. Elle précède une recomposition syndicale où plusieurs grandes fédérations syndicales vont quitter la COSATU pour fonder une nouvelle confédération la South African Federation of Trade Unions (SAFTU) sur une base d’indépendance des syndicats vis-à-vis du pouvoir géré conjointement par l’ANC la COSATU et SACP. L’idée de la création d’un parti capable de traduire dans le champ politique les revendications et les aspirations des travailleurs va voir le jour. Cependant la manière dont ce parti a été lancé a été problématique. D’une certaine manière comme pour les EFF ce parti n’a pas su se réinventer. Une large part de l’encadrement de cette nouvelle organisation était liée au SACP. Ils n’ont pas rompu avec leur pratique politique d’antan et ont imprimé très rapidement un fonctionnement bureaucratique. L’idéologie de cette organisation reprenait celle du SACP avec une logique campiste au niveau international.

En plus, le rythme et la façon de procéder pour le lancement de ce parti a été contesté par beaucoup. Si au départ l’ambition était de réunir l’ensemble des militants syndicalistes associatifs et politiques intéressés par la construction d’un authentique parti de gauche, ils n’ont pas eu leur mot à dire sur le processus de lancement et de construction de cette nouvelle organisation. Non seulement il s’est fait dans la précipitation sans tenir compte des rythmes de maturation qui prend nécessairement du temps pour construire sur des bases solides, mais il s’est fait aussi de manière antidémocratique avec des influences financières extérieures absolument pas maitrisées par l’ensemble des parties prenantes.
Le résultat est que ce nouveau parti le Socialist Revolutionary Workers Party (SRWP) lors de la première échéance électorale en 2019 n’a récolté que 24 000 voix pourtant porté par le syndicat NUSMA fort de 300 000 membres adhérents. Après cette défaite électorale cette organisation s’étiolera rapidement.

Les efforts continus pour construire une alternative de gauche en Afrique du Sud commencent à porter ses fruits. En effet plusieurs secteurs militants se sont réunis pour travailler ensemble. Le résultat est le lancement d’une structure Zabalaza for Socialism (ZASO) avec comme objectif premier de faire émerger un pôle ouvert pour un socialisme démocratique féministe et internationaliste. Cette construction ne va pas évidemment sans débat et c’est tant mieux. Les divergences portent entre autres sur les étapes dans la construction et sur la nécessité de plus et mieux s’ancrer dans le mouvement ouvrier et les organisations de masse.

La tâche est cependant ardue dans une situation économique des plus difficiles qui affaiblit les capacités de défense des travailleurs et provoque un recul de la conscience politique dans le pays.

Paul Martial


[1] William Mervin Gumede Thabo Mbeki and the Battle for the Soul of the ANC Zed Books p.349
[2] William Freund. Swimming against the tide : The Macro-Economic Research Group in the South African transition 1991–94. Review of African Political Economy. 2013. Vol. 40(138) p.527
[3] Idem p.519
[4] https://mg.co.za/article/2011-10-11-municipal-dysfunction-can-be-cured/
[5] https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/04/27/en-afrique-du-sud-la-corruption-coute-55-millions-de-dollars-par-mois-a-l-energeticien-eskom_6171209_3212.html
[6] « Sylvy Jaglin et Alain Dubresson, Eskom. Électricité et pouvoir en Afrique du Sud », Annales de géographie, 2017/3 (N° 715), p. 361. DOI : 10.3917/ag.715.0356.
[7] https://www.hrw.org/fr/news/2023/06/27/afrique-du-sud-les-personnes-agees-manquent-de-soins-et-de-soutien-de-base