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Les demandeurs d’asile exclus du système de santé en Afrique du Sud

D 27 novembre 2014     H 05:44     A     C 0 messages


JOHANNESBOURG - Lorsque la fille d’Élise M*, âgée de 18 ans, a tenté de se suicider en avalant des médicaments l’année dernière, l’ambulance qu’Élise a appelée les a emmenées au South Rand Hospital situé à proximité, à Rosettenville dans la banlieue de Johannesbourg. Mais, les infirmières ont refusé de l’hospitaliser.

« Elles m’ont montré une affiche au mur expliquant que les personnes qui n’étaient pas sud-africaines devaient payer 5 000 rands [457 dollars] », s’est souvenue Élise. « J’ai proposé de leur donner mon téléphone portable, mais elles m’ont répondu "non, ce n’est pas un mont-de-piété". »

Élise, une demandeuse d’asile originaire de la République démocratique du Congo (RDC), a dû supplier un voisin de déposer sa fille inconsciente dans un autre hôpital où elle a enfin pu être soignée.

Depuis un an, les histoires comme celle d’Élise sont légion au sein des communautés réfugiées du Gauteng. La province la plus prospère d’Afrique du Sud, qui comprend les villes de Johannesbourg et Pretoria, est celle qui concentre également le plus grand nombre de migrants, notamment de demandeurs d’asile et de réfugiés.

La politique nationale de santé garantit aux demandeurs d’asile, réfugiés et migrants sans papiers issus des autres pays de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC), les mêmes droits que les citoyens sud-africains quant à l’accès aux soins de santé du secteur public. Ils sont censés payer seulement ce qu’ils peuvent, en fonction de leurs revenus.

Cependant, en août dernier, le ministère de la Santé de la province du Gauteng a distribué un projet de lignes directrices sur la prise en charge des patients qui ne sont pas sud-africains. Ce document sèmerait la confusion chez les prestataires de soins de santé, ce qui a provoqué des situations où des patients comme la fille d’Élise se sont vu refuser des soins essentiels.

Cette confusion semble venir de la définition que donnent ces directives des patients étrangers, un terme qui englobe les réfugiés et les demandeurs d’asile. D’après le document, ces patients devraient payer la totalité des soins à l’avance. Plus loin dans le texte, il est stipulé que les réfugiés et les demandeurs d’asile (mais pas les citoyens de la SADC) font partie des catégories de patients étrangers qui devraient en fait payer selon des critères d’évaluation de leurs revenus.

Accès aux soins gratuit

Si les directives indiquent qu’il ne faut pas priver de soins d’urgence les patients étrangers, qu’ils soient ou non en situation irrégulière, il n’est pas fait mention des femmes enceintes ou des enfants de moins de six ans. Ces derniers ont le droit d’être soignés gratuitement, quelle que soit leur nationalité, d’après le guide de classement des patients du ministère national de la Santé.

« Les directives du Gauteng n’ont pas de fondement juridique et risquent d’avoir de très graves conséquences ; nous constatons que des personnes ne sont pas classées correctement et sont tenues de payer », a déclaré Jo Vearey, directrice de recherche auprès du Centre africain pour la migration et la société (African Centre for Migration and Society, ACMS) à l’Université du Witwatersrand. Elle est aussi membre du Forum sur la santé des migrants de Johannesbourg (Johannesburg Migrant Health Forum), qui milite pour l’accès des migrants aux services de santé.

Mme Vearey a également mentionné un passage du document qui encourage le personnel hospitalier à signaler au ministère provincial de l’Intérieur la présence de « tout étranger sans papiers ou de toute personne qui n’a pas pu prouver son statut ou sa nationalité ».

« Suggérer que les prestataires de soins qui sont en première ligne agissent comme des fonctionnaires du ministère de l’Intérieur peut porter préjudice à la santé publique », a-t-elle déclaré.

Face à des frais médicaux qu’ils ne peuvent pas acquitter, la plupart des migrants quittent simplement les lieux et tentent leur chance dans un autre hôpital, a expliqué Kaajal Ramjathan-Keogh, de l’organisation Lawyers for Human Rights (LHR) qui défend les droits des demandeurs d’asile, des réfugiés et des migrants en Afrique du Sud.

L’organisation fait également partie du Forum sur la santé des migrants. « Ils ne savent pas quels sont leurs droits et ils ont peur de poser des questions », a-t-elle dit à IRIN.
La barrière de la langue ne fait qu’aggraver le problème. Anna*, 40 ans, une autre demandeuse d’asile originaire de la RDC, ne parle ni anglais ni zoulou. Un médecin lui a dit qu’elle devait payer un interprète. « Alors, je suis allée en chercher un », a-t-elle dit à IRIN par l’intermédiaire d’un interprète. « Mais à ce moment-là, je n’avais plus de médicaments pour mon fils. Ils m’ont crié dessus et m’ont accusée d’avoir vendu les médicaments. »

Attitudes xénophobes

Jusqu’à récemment, le problème le plus souvent signalé par les migrants et les demandeurs d’asile qui tentent d’accéder aux soins de santé concernait les attitudes xénophobes de certains membres du personnel dans les hôpitaux et les cliniques de la province.

« Ils ne vous soignent pas », a dit Anna. « La seule question qu’ils posent est "quand allez-vous rentrer chez vous ?" »

Elle et ses deux enfants sont des survivants de violences sexuelles qui suivent un traitement antirétroviral contre le VIH. Certes, on ne lui a jamais refusé de médicaments et on ne l’a jamais obligée à les payer. Mais, elle a été victime de xénophobie : le personnel soignant l’a traitée de « kwerekwere » (un terme sud-africain péjoratif pour désigner les migrants africains) et l’a ouvertement accusée de se procurer des antirétroviraux afin de les revendre dans son pays d’origine.

Thembalani*, une migrante zimbabwéenne qui a accouché à l’hôpital de Tembisa en août, a été transférée dans l’unité de soins prénataux intensifs de l’hôpital, car elle souffrait d’une pression artérielle élevée durant sa grossesse. « Quand ils m’ont demandé d’où je venais, je leur ai dit que j’étais du Zimbabwe et c’est là que les problèmes ont commencé. Ils se sont mis à m’insulter en me disant que nous étions une charge de travail supplémentaire pour eux et que nous aimions tomber enceintes », a-t-elle confié à IRIN.

« Chaque semaine, quand j’allais me faire soigner, j’étais victime d’attaques verbales où l’on me disait que nous étions un poids pour la prestation du service et, même si j’arrivais tôt, je me retrouvais en dernier dans la file d’attente, comme mes compatriotes zimbabwéennes. »

D’autres migrantes ont raconté à IRIN qu’elles avaient dû accoucher sur le sol d’une salle de travail ou sur les bancs de la salle d’attente, parce que les infirmières refusaient de s’occuper d’elles.

Mme Ramjathan-Keogh a déclaré que les directives du Gauteng servaient d’excuse aux travailleurs sanitaires qui ont des attitudes xénophobes pour rejeter les patients étrangers qui n’ont pas les moyens de payer les frais médicaux.

En juillet, LHR a mené une bataille juridique pour permettre à une jeune Somalienne de 12 ans de subir une opération cardiaque vitale. L’hôpital universitaire Steve Biko de Pretoria avait refusé de la prendre en charge, car son frère n’avait apparemment pas pu verser un acompte de 250 000 rands (22 856 dollars).

Certes la xénophobie ne se limite pas aux travailleurs sanitaires de la province du Gauteng. Mais, les organisations qui défendent les droits des réfugiés dans d’autres provinces, notamment le Limpopo, le KwaZulu-Natal et le Cap-Occidental, ont dit à IRIN qu’elles n’avaient jamais entendu parler de cas où les réfugiés et les demandeurs d’asile devaient payer à l’avance les soins hospitaliers.

Même au sein des hôpitaux du Gauteng, « il n’y a pas de cohérence d’un hôpital à l’autre et cela dépend de la personne à qui vous avez affaire ce jour-là », a déclaré Thifulufheli Sinthumule, de l’organisation Consortium pour les réfugiés et les migrants en Afrique du Sud (Consortium for Refugees and Migrants in South Africa, CoRMSA).

Le ministère de la Santé du Gauteng n’a pas répondu aux questions d’IRIN et n’a pas encore rencontré le Forum sur la santé des migrants, malgré des sollicitations répétées de ce dernier, et malgré la promesse du ministère national de la Santé d’intervenir pour faciliter la rencontre.

Le forum a publié une brochure pour aider les réfugiés et les demandeurs d’asile à s’y retrouver dans le système de santé publique.

« Les gens s’adressent souvent au mauvais échelon [du système de santé] », a déclaré Mme Ramjathan-Keogh. « Au lieu de se rendre dans [les centres de soins] primaires, ils vont dans [les hôpitaux de soins] tertiaires et se font renvoyer sans être orientés. »

Au niveau des soins de santé primaires, tous les services sont gratuits et peu de patients étrangers ont indiqué avoir rencontré des difficultés.