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Mandela, l’incarnation d’une conscience historique universelle

Par Khadim Sylla, Docteur en sciences

D 9 décembre 2013     H 17:17     A Khadim Sylla     C 0 messages


Les superlatifs se succèdent, plus élogieux les uns que les autres pour porter au pinacle le père fondateur de la république démocratique sud-africaine aujourd’hui disparu. Rarement dans l’histoire contemporaine de l’humanité une personnalité aura autant marqué de son empreinte la conscience universelle.
Nelson Mandela suscite une admiration sans réserve et fait l’objet d’une vénération partout dans le monde. De l’Afrique à l’Europe, de l’Asie aux Amériques, des contrées les plus lointaines aux mégalopoles les plus connues, l’écho de son nom résonne comme une rédemption, le chant épique de la libération. Cet engouement général s’explique sans doute par un parcours singulier, digne des fictions les plus audacieuses sur la sublimation du courage et de la bonté, de la lucidité et de la justice, de l’équité et de la vérité.
L’homme avait l’allure gracieuse et avenante. Il était fait d’un alliage particulier de principes rares. Il incarnait le courage qu’il portât au plus haut degré de l’abnégation et du sacrifice. Il était l’icône de l’espérance à l’image des prophètes des temps anciens, polarisant la foi et la dévotion en un devenir à conquérir. Il était dévoué à la cause universelle de l’égalité des Hommes. Sa posture laisse transparaître une influence certaine de la sagesse zulu de l’Ubuntu, où les principes sublimés de l’altérité et de l’empathie constituent la quintessence philosophico-religieuse. Dans un monde de plus en plus ouvert, mais aussi traversé par des velléités identitaires et la tentation du repli sur soi, Mandela a administré la preuve du dépassement possible de l’éthos communautaire vers des identités inclusives et universelles.
L’Apartheid, par sa logique concentrationnaire et discriminatoire, avait confiné les Noirs sud-africains au rang de citoyens de seconde zone. Ce système odieux tire en vérité sa filiation historique d’une longue tragédie nourrie et légitimée par les théories racialistes issues de la Philosophie (Hegel, Hume), du Droit (Montesquieu), des Sciences (Cuvier) et de la théologie. Il s’agit de l’esclavage, de la colonisation, du racisme, de la ségrégation raciale institutionnalisée. La dialectique hégélienne excluait le Noir du champ de l’humanité en décrétant son infériorité congénitale, au moment où des scientifiques rivalisaient d’ingéniosité, le scalpel en main, pour « révéler » les supposés indices anthropologiques de l’infériorité du Noir. Au plan théologique, l’interprétation tendancieuse de la malédiction de Cham allait finir par légitimer l’esclavage des Noirs comme l’atteste l’infâme controverse qui opposa Bartolomé de Las Casas au théologien Juan Giné de Sepulveda à Valladolid. Malgré la conscience de ces tragédies de l’histoire et les atrocités personnellement subies au bagne de Robben Island, le prisonnier au matricule 46664 fit le choix délibéré et résolu de la réconciliation nationale, de la nation arc-en-ciel pour un destin collectif plus radieux.
Si l’Apartheid a perduré durant des décennies, c’est surtout pour des raisons économiques, d’abord par l’accaparement et la monopolisation des ressources nationales au seul profit de la minorité dominante ; ensuite par les dividendes que procuraient les richesses colossales du pays aux multinationales et Etats peu soucieux des injustices qui prévalaient alors, dans un contexte de tension et de bipolarisation Est-Ouest à l’échelle mondiale. Les disparités sociales et économiques encore vivaces dans le pays sont les conséquences directes de la politique dite de « développement séparé ». L’avènement de la démocratie n’a pas encore permis de résorber ces inégalités. La question de la réforme agraire différée, de la répartition des richesses, de la lutte contre la criminalité galopante sont plus que jamais d’actualité. La politique économique de black empowerment, même si elle a permis l’émergence d’une classe moyenne noire, n’a pas pour autant réussi à promouvoir la grande masse des déshérités, le lumpenprolétariat des townships, ces immenses faubourgs indigènes des grandes métropoles sud-africaines. Les faibles perspectives de croissance du pays (1,9% en 2013) ne laissent pas entrevoir une amélioration significative des déséquilibres sociaux. La banque centrale du pays estime à 6% le taux de croissance nécessaire pour enrayer dans la durée la montée du chômage qui entrave tous les efforts de lutte contre la pauvreté.
La revigoration de l’économie sud-africaine passera nécessairement par des réformes structurelles internes des secteurs agricoles, miniers, énergétiques, des télécoms et autres, mais aussi par une revitalisation des échanges au sein de la SADC et avec l’ensemble du continent africain, pour lequel elle a la vocation d’être la locomotive. Comment développer un partenariat dynamique, fondé sur des intérêts mutuels et capable de sortir les économies africaines empêtrées dans des politiques sous contrôle et gangrenées par la mal-gouvernance ? Comment s’extraire de la doxa ultralibérale propagée par les institutions financières et érigée en dogme absolu, qui enferme les économies nationales dans les sentiers du développement impossible, le regard obsessionnellement rivé sur des indices macroéconomiques, et à la recherche d’un improbable équilibre budgétaire ? Comment développer des environnements propices à la créativité et à l’esprit d’innovation ? Face à ces défis continentaux, l’Afrique du Sud pourra jouer un rôle déterminant et donner une impulsion décisive. A cet égard, la meilleure façon de rendre hommage à Mandela est de rallumer la flamme de la Renaissance africaine, cette vision stratégique d’un développement endogène, soutenue par Thabo Mbeki, aujourd’hui fortement édulcorée par un NEPAD aux contours encore incertains.
Le raffermissement de la cohésion sociale et le développement socio-économique du pays supposent également de profondes réformes et des investissements plus importants dans le secteur éducatif, en raison de son impact supérieur sur les processus de transformation sociale. Le dernier rapport du Conseil de l’Enseignement Supérieur du pays souligne avec insistance l’inefficacité du système éducatif et la persistance des inégalités de réussite ; toute chose susceptible d’ébranler les équilibres encore fragiles de la concorde nationale.
Les défis sont nombreux, mais l’espoir est permis grâce aux fondations posées par le père de la nation démocratique sud-africaine.
Nelson Mandela a rejoint le panthéon des hommes et femmes illustres qui ont illuminé de leur sagesse, tels des astres, la longue marche de l’humanité. Le monde entier lui rend aujourd’hui hommage avec toute la révérence qui sied à l’Homme de Classe Exceptionnelle qu’il fut.
Khadim Sylla
Docteur en science
k_sylla@hotmail.com