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Les Comores et Mayotte, entre anticolonialisme et autodétermination

D 19 mai 2009     H 21:58     A     C 0 messages


La situation dans l’archipel des Comores suscite depuis longtemps, et avec encore plus d’acuité depuis le référendum du 29 mars dernier, nombre de débats, aux Comores, à Mayotte, dans les milieux militants et au sein même du NPA. Nous publions ici deux points de vue qui éclairent tous les deux cette question sous des aspects différents.


MAYOTTE : 101e département français ou partie intégrante des Comores ?

Mayotte est située à l’entrée du canal du Mozambique,
situé dans l’océan Indien et séparant Madagascar et le
Mozambique, en Afrique de l’est. C’est par ce canal
que transitent une grande partie des supertankers exportant le
pétrole du Moyen-Orient
vers l’Europe et l’Amérique,
et des porte-containers,
des minéraliers, navigant
entre l’Asie et le reste du
monde. C’est une des
quatre îles de l’archipel des
Comores.

Rapt,
déstabilisations et
géostratégie

Après avoir créé de
graves contradictions entre
mahorais et grands
comoriens en transférant la
capitale de Dzaoudzi
(Mayotte) à Moroni
(grande Comores), la
France organise en 1974
un référendum sur
l’indépendance. Seule Mayotte vote pour le maintien au sein de
la France. Le gouvernement français décide unilatéralement de
conserver Mayotte sous souveraineté française. Les 3 autres îles
proclament l’indépendance de l’archipel en 1975. L’Union des
Comores revendique Mayotte en refusant cette annexion qui
remet en cause l’intégrité territoriale et l’indivisibilité du peuple
comorien. L’Union africaine considère ce territoire comme
occupé par une puissance étrangère. Un second référendum a
lieu en 1976. Il confirme le choix de la population de Mayotte
de rester française. L’Assemblée générale des Nations unies
proclame la nullité de ce nouveau référendum et condamne
l’occupation française. Le « droit des peuples à disposer d’euxmêmes
 » est applicable au peuple comorien dans son
ensemble, et non à chacune de ses fractions ou minorités.
Selon le droit international, Mayotte fait partie de l’Union des
Comores.
Pendant la Guerre froide, il s’agit de déstabiliser l’Union des
Comores pour la diriger en sous-main. L’indépendance et le
pouvoir de revendication des Comores sont largement battus en
brèche par les interventions de la France et ses barbouzes
comme Bob Denard, la corruption de ses élites, la mise sous
tutelle économique et monétaire grâce au « franc comorien »
arrimé au franc hexagonal. A Mayotte, la présence française
monte en puissance. Une compagnie de la Légion étrangère y
est basée. Les ports accueillent divers navires en mission de
contrôle du canal. Les fonctionnaires fournissent la moitié des
emplois, pour la plupart occupés par des métropolitains. Une
carte des eaux territoriales et des zones économiques
maritimes exclusives dans le canal du Mozambique illustre le
rôle de Mayotte comme tête de pont de l’impérialisme français.
D’autres îles plus au sud, Europa la Grande Glorieuse et Juande-
Nova, permettent de dessiner une zone maritime quasi
continue sous son contrôle, par laquelle passe 90% du
commerce intercontinental. Mayotte est la sentinelle militaire
avancée qui permet à la
France de conserver sans
risque son influence dans
une région où les Etats
ont peu de moyens de
projection hors de leurs
côtes et peu de troupes
aguerries.

Mayotte
aujourd’hui

S’il ne représente que
le 1/6e du PIB par
habitant hexagonal, celui
de Mayotte est 9 fois plus
important que dans le
reste de l’archipel. Le
principal fournisseur et
client c’est l’Hexagone.
Les transferts de l’État
vers l’économie de l’île
s’élèvent à 635 millions d’euros en 2009, soient 3400€ par
habitant. Mayotte est ainsi tenue à bout de bras par la France
pour jouer son rôle militaire et géostratégique dans l’Océan
Indien. L’île n’a quasiment plus de relations économiques avec
les pays qui l’entourent. Le commerce avec Madagascar, les
Comores, la Réunion, les Seychelles et Maurice, demeure très
faible. Les flux commerciaux avec la Communauté des États de
l’Afrique de l’Est sont infimes.
Ce tête à tête avec la France s’accompagne d’une politique
anti-immigration. Les mesures de lutte contre l’ « immigration
clandestine » et l’absence de visa empêchent toute visite
familiale, alors que les Comoriens sont chez eux à Mayotte. Les
différences de niveau de vie entraînent des Comoriens à
s’établir à Mayotte. La France a mis en place une politique
d’éloignement des sans-papiers particulièrement indigne. 140
policiers traquent les barques (kwasa kwasa) quitte parfois à
laisser des centaines d’arrivants se noyer dans la nuit. Un
centre de rétention entasse, pêle-mêle, adultes, femmes et
enfants, soumis à des procédures expéditives. On estime à
60000 le nombre de Comoriens sans-papiers. Ils sont taillables
et corvéables à merci. Ils servent de variable d’ajustement,
laissés dans les campagnes et agressés en cas de révolte
comme en 2005. De l’autre côté, la France a mis en place une
politique de peuplement. Les M’zoungou (blancs) occupent les
meilleurs postes dans l’Administration, les services publics…
D’autres se préparent sur place à la départementalisation dans
les domaines des infrastructures, du logement et du tourisme.
Car les métropolitains et les politiques attendent la manne de la
mise à niveau du territoire et de son classement en Région
ultrapériphérique (RUP) de l’Europe à partir de 2011.
La consolidation de l’influence de la France dans le canal du
Mozambique n’a pas été l’enjeu explicite de la campagne pour
le référendum de départementalisation. Les débats ont plutôt
porté sur les minima sociaux qui seraient mis en place en 2012.
Les politiques locaux ont passé sous silence que les Mahorais
seront redevables du droit fiscal commun (impôts et taxes) dès
2014, et qu’ils devront se défaire progressivement du droit
coutumier et de leur statut personnel. Aussi, l’issue du
référendum ne faisait pas de doute. Il faut cependant rectifier
les proclamations sarkoziennes. Le OUI aurait obtenu 95,25% !
Ce résultat « soviétique » aurait dû intriguer la presse. Toutes
sortes de pressions et menaces ont été exercées sur les
électeurs. Par ailleurs, le taux d’abstention est élevé et par
rapport aux inscrits, le OUI n’obtient que 57,63% (les inscrits
ne sont que 71 420 sur 186 452 habitants). La partition forcée
du peuple comorien est une violence coloniale que l’assistanat
promis par la France ne masquera pas longtemps. Comment
s’appellera le LKP de Mayotte ?

Bernard - Salim


Pour un droit à l’autodétermination des Mahorais

Depuis plusieurs semaines, Mayotte est au coeur de tous
les débats. Le 29 mars dernier, l’île de l’océan Indien
devait se prononcer au sujet de sa
départementalisation. Ainsi, les Mahorais se sont déplacés pour
affirmer massivement (à 95,2%) qu’ils
étaient favorables à la
départementalisation de Mayotte. Et ce
n’était pas leur premier référendum. Le
22 décembre 1974, lors du premier
référendum d’autodétermination des
populations des Comores, le résultat pris
globalement est de 94,94% pour
l’indépendance, mais à Mayotte 65,30%
de la population se prononcent pour le
maintien au sein de la République
française. Au point qu’un deuxième
référendum est organisé à Mayotte le 8 février 1976 : la
population mahoraise se prononce à 99,42% pour « le maintien
de Mayotte au sein de la République française » et refuse « 
qu’elle fasse partie de l’Etat Comorien ». Lorsque le 11 avril
1976, par un troisième référendum, les Mahorais sont consultés
pour le maintien ou l’abandon du statut de TOM, la majorité des
électeurs a préféré déposer dans les urnes les bulletins
imprimés par le Mouvement Pour Mayotte (MPM) qui réclame le
Département d’Outre-mer. D’élections en élections, les Mahorais
réaffirment leur volonté de demeurer Français. Certes, le mode
de scrutin référendaire qui a été opté dans les années 70 fut
sans doute une usurpation. Mais admettons que l’on ait pris les
résultats des voix exprimées dans le référendum dans leur
globalité et que le « oui » l’emporte seulement à Mayotte : les
Mahorais se seraient vus résignés à faire partie de l’Union des
Comores malgré eux. Moralement et démocratiquement on ne
peut pas obliger un peuple tout entier avec un espace
géographiquement défini et indépendant des autres îles de
vivre avec des gens en qui il ne se reconnaît plus.
Et pourtant, par le biais d’un mémorandum, les Comoriens
interpellent la communauté internationale pour que celle-ci
fasse pression sur la France. Au lieu de consacrer leur énergie à
la réflexion sur la prospérité comorienne, soutenue par des
métropolitains, des intellectuels Comoriens se battent corps et
âme pour que Mayotte soit intégrée dans le giron comorien. Le
choix des Mahorais à rester français est ainsi sans cesse remis
en cause et nié par des Comoriens au nom du principe de
« l’intangibilité des frontières ». En effet, la résolution n° 1514-
XV du 14 décembre 1960 (des Nations Unies) a imposé le
respect des frontières coloniales au cours de l’accession à
l’indépendance des pays colonisés. Le droit international fondé
sur « l’intangibilité des frontières » coloniales se heurte ainsi au
droit international fondé sur la liberté « des peuples à disposer
d’eux-mêmes » (article 2 de la charte des Nations Unies du 25
juin 1945). Ce principe de la libre détermination des peuples est
un héritage des philosophes des Lumières, de la Révolution
française, émane de la souveraineté nationale, est défini dans la
Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (26 août
1789) et est prévu par le droit national français (Constitution du
4 octobre 1958). La revendication française et
départementaliste de l’île de Mayotte repose juridiquement sur
la dernière disposition de l’article 53 de la Constitution de la
Vème République française : « nulle cession, nul échange, nulle
adjonction de territoire n’est valable
sans le consentement des populations
intéressées. »
Derrière le terme d’ « unité » de
l’archipel prononcé régulièrement par
les Comoriens, il n’y a pas de réel projet
pour les îles. Mais pourquoi un tel
acharnement des Comores à voir
Mayotte devenir une des leurs ? Le
retour de Mayotte dans l’archipel est un
leitmotiv sans avenir. S’indigner de la
position mahoraise, c’est avant tout esquiver le débat comorien
et faire l’économie de vraies questions. Les Mahorais ne sont
pas prêts à rejoindre le destin des Comores qui ressemble à de
nombreux régimes véreux communs à l’Afrique : misère
(niveau de vie 9 fois inférieur à celui de Mayotte), corruption et
instabilité politique (18 coups d’Etat en 34 ans d’indépendance).
C’est vouloir l’unité pour l’unité ou simplement freiner l’essor de
Mayotte et plonger l’ensemble du peuple mahorais dans cette
même misère que les Comoriens tentent de fuir chaque jour en
essayant d’atteindre les rives mahoraises. Ne serait-il pas plus
utile de mettre en place une réelle coopération entre les îles
permettant de ne plus voir ces milliers de corps sans vie sur les
plages de la côte mahoraise ? Ne serait-il pas plus intéressant
de profiter du développement de Mayotte pour établir des
liens coopératifs entre les îles ? Ces îles sont soeurs mais leurs
autonomies doivent être respectées et reconnues. D’ailleurs,
cette unité comorienne n’a jamais formellement existé avant la
colonisation. Avant que ces îles ne forment une union des îles,
elles étaient autonomes et indépendantes, et entretenaient
entre elles seulement des relations commerciales, et dans le
pire des cas, se faisaient la guerre sous l’égide des sultans.
Donc, comment parler de « retour » de Mayotte dans l’archipel
des Comores s’il n’a pas été avéré que Mayotte puisse en avoir
fait partie par le passé ? Les arguments comoriens s’effritent
comme leur idée de « nation comorienne ».
Pris dans cette contradiction, entre anticolonialisme et
autodétermination des peuples, il est bien difficile de se
positionner de manière neutre. La seule solution existante est
encore d’exiger que la question de Mayotte soit tranchée
définitivement par la communauté internationale en organisant
une consultation sous sa responsabilité, sur trois options :
l’intégration de l’ile dans l’Etat comorien, l’indépendance de l’ile
et le rattachement de l’ile à la France. Laissons le peuple
mahorais s’exprimer en toute transparence. Les Mahorais et
Mahoraises désirent simplement être reconnus comme Hommes
par les autres Hommes, ne nions pas leurs choix. Leur souhait
est celui d’être LIBRE, accepter l’indépendance de Mayotte par
rapport à l’archipel serait là une vraie décolonisation.

Coralie W.