AUTOSUFFISANCE ALIMENTAIRE : QUELLES SOLUTIONS POUR MADAGASCAR ?
18 juillet 2011 05:21 0 messages
1 – L’autosuffisance alimentaire concerne chaque famille (1)
Les agriculteurs malgaches constituent les trois-quarts de la population du pays. Malgré leurs efforts et acharnement au travail, leur production ne suffit souvent pas à nourrir leur famille toute l’année. Nombreux sont ceux qui vendent une partie de leur riz au moment des récoltes pour pouvoir disposer des liquidités nécessaires à l’achat d’autres produits de première nécessité et satisfaire les autres besoins indispensables. Puis au moment de la période de soudure, ils doivent acheter du riz dont le montant élevé ne s’explique pas seulement par les coûts de stockage et de transport mais intègre également les actions des spéculateurs de toutes sortes (1). Par ailleurs en février 2011, l’arrivée sur les marchés malgaches de riz importé vendu à un prix plus bas que le riz produit localement a renforcé les difficultés des agriculteurs pour la vente des récoltes. Plus tard, le prix de vente très élevé du riz à Madagascar a étonné les observateurs (2) à un moment où le cours mondial du riz était en baisse (3). Pour équilibrer ses comptes et profiter des fruits de son travail agricole, chaque famille de paysan a donc intérêt à assurer son autosuffisance alimentaire – au moins en riz – pour ne pas subir les aléas du marché.
La production agricole nationale doit prévoir l’approvisionnement des agglomérations urbaines. Et depuis la fin 2010, les longs mois de sécheresse suivis souvent par des inondations ont aggravé la famine et la malnutrition dans plusieurs zones de l’île (4). Des dirigeants du pays évoquent alors l’autosuffisance alimentaire parmi les objectifs à atteindre. Mais au lieu d’une politique agricole en faveur de l’agriculture familiale pour augmenter la production vivrière, la solution annoncée est une collaboration avec des Etats étrangers ou leurs entreprises (5). Quelle est donc la véritable priorité ?
2 – L’octroi de terres aux investisseurs étrangers ne constitue pas une solution pour atteindre l’autosuffisance alimentaire
Tout d’abord, comme le Collectif TANY l’a toujours affirmé, la vente de terres doit être exclue de toute négociation avec un Etat ou une société étrangère. En effet, toute vente de la terre de nos ancêtres est inacceptable et doit être condamnée car cela compromet notre souveraineté nationale, l’inaliénabilité du territoire et l’avenir des générations futures. Concernant les locations de terres et les baux emphytéotiques, la Banque Mondiale – qui pourtant soutient les investissements sur les terres agricoles – a diffusé en septembre 2010 les résultats de ses recherches sur les projets d’accaparement de terres arables à grande échelle à travers le monde. Ces travaux montrent que lorsque la majorité de la population à nourrir vit de l’agriculture, comme à Madagascar, les locations de terres aux grandes entreprises aboutissent au déplacement et au chômage des paysans. Au contraire, pour réduire la pauvreté, il faut opter plutôt pour l’agriculture contractuelle (ou contrat de fermage, farming contract) qui permet aux paysans de rester sur leurs terres et de continuer à les travailler. Les investisseurs apportent eux leur appui en petits matériels et intrants pour améliorer la productivité et la commercialisation et les bénéfices sont partagés entre les investisseurs et les paysans-producteurs(6).
Cette étude remet également en cause l’argument avancé par les investisseurs dans l’agro-business qui prônent que les populations rurales bénéficient d’emplois créés. Mais la forte mécanisation du système de production agricole adopté par ces compagnies et les objectifs de réduction des coûts de production des investisseurs les amènent à limiter les charges salariales et les recrutements.
En fait, le seul contrat de fermage à Madagascar connu du grand public est celui conclu entre la société indienne Varun, représentée par le bureau d’études malgache Sodhai, et 13 associations paysannes malgaches créées pour la circonstance dans la région Sofia. Il a été suspendu en 2009. Heureusement, car il s’agissait bel et bien d’un contrat désavantageux, que l’on pourrait qualifier de « gagnant-perdant » (7)
Néanmoins, un chercheur (8) a considéré ce contrat Varun comme étant le plus favorable aux paysans parmi les contrats de six pays africains dont il a pu disposer et qu’il a comparés. En effet les clauses de ce contrat stipulent que 30% de la production de riz devaient être donnés par Varun aux paysans comme frais de location des terres mais les paysans devaient vendre 70% de cette quantité à la société Varun au prix fixé par la société.
Mais le résultat des calculs montre que la quantité de riz restante n’aurait pas suffi à nourrir pendant l’année une famille paysanne concernée et que le nombre d’emploi annoncé correspondait à un emploi pour 155 hectares (7). De ce point de vue, le risque est grand que les paysans deviennent des chômeurs destinés à la migration ou à l’exode vers les villes (6). La transparence des contrats avec tous les investisseurs est vraiment nécessaire pour une meilleure évaluation de leurs apports.
3- Pour une politique agricole nationale en faveur des paysans malgaches producteurs de l’agriculture familiale qui constituent la majorité de la population
Les sociétés étrangères qui louent des terres, même pour des cultures vivrières, visent en premier lieu leurs propres intérêts mais pas l’autosuffisance alimentaire de Madagascar. La population mondiale victime de la faim atteint désormais un milliard et les organismes internationaux ont annoncé une augmentation importante du prix des produits alimentaires dans les prochaines années (9). C’est pourquoi depuis 2008 de nombreux pays ne disposant pas de terres et d’eau en quantités suffisantes pour garantir leur sécurité alimentaire, comme l’Arabie Saoudite, la Corée du Sud ou l’île Maurice (10), ont demandé à leurs entreprises d’investir sur les terres agricoles dans les pays pauvres comme Madagascar. De plus, la recherche de profit maximal amène les grandes entreprises étrangères et nationales à favoriser l’exportation et à spéculer sur les prix. D’un autre côté, les compagnies européennes louent nos terres pour y cultiver plutôt du jatropha afin de satisfaire leurs besoins en agro-carburants (11 & 12).
Il nous appartient, à nous, Malgaches, d’assurer l’alimentation et l’autosuffisance alimentaire de notre population et nos paysans sont capables de le faire s’ils sont appuyés par une politique agricole en leur faveur, par des moyens adéquats en intrants, en petit matériel et techniques agricoles, dans la commercialisation et la sécurisation de leurs production. Défendons nos terres et soutenons nos paysans dans leur lutte quotidienne pour la protection de leurs droits et l’augmentation de leurs revenus.
La balle est ainsi dans le camp des dirigeants pour trouver et mettre en œuvre une politique agricole appropriée et visant à atteindre l’autosuffisance alimentaire des paysans et de la population malgache toute entière.
23 juin 2011
Pour le Collectif pour la Défense des Terres Malgaches – TANY
Mamy Rakotondrainibe
patrimoinemalgache@gmail.com
Fan page (Facebook) : http://www.facebook.com/pages/TANY/222797761078478
(1) http://www.lagazette-dgi.com/index.php?option=com_content&view=article&id=9307:marche-du-riz--expose-a-des-risques-lies-aux- esures http://www.cirad.mg/?pg1=fiches#horizon-etatiques&catid=45:newsflash&Itemid=58
(3) http://www.cirad.mg/?pg1=fiches#horizon
(5) http:// www.jeuneafrique.com%252F&siteurl=www.jeuneafrique.com%2FArticle%2FARTJAWEB20110509110045%2F#1061: Jeune Afrique n°2626 du 8 au 14 mai 2011 Texte intégral de l’interview de Andry Rajoelina, président de la HAT, en fichier attaché, voir page 49 :
« Vous vous êtes mis en quête de nouveaux partenaires économiques. Vous avez cité la Chine. Quels sont les autres partenaires qui peuvent intéresser Madagascar ?
Depuis l’indépendance, Madagascar s’est refermée sur elle-même. Aujourd’hui, nous sommes ouverts aux opérateurs ou aux pays qui veulent vraiment investir. Actuellement, nous avons de grands projets immobiliers et touristiques avec Emaar [société basée à Dubaï qui a construit la tour la plus haute du monde, Burj Khalifa, NDLR]. Nous allons organiser une foire internationale ciblant les investisseurs dans l’hôtellerie. Nous voulons faire de Madagascar la vitrine touristique de l’Océan Indien. Nous allons accompagner ces investisseurs et faciliter l’accès aux terrains constructibles. Nous voulons que des étrangers puissent acheter un pied-à-terre, un appartement ou une villa, et qu’ils puissent disposer de leur carte de résident pour faciliter leur entrée et leur sortie du territoire. Nous souhaitons travailler aussi avec d’autres pays, par exemple la Turquie, la Chine ou l’Inde. Avec cette dernière, nous travaillerons sur le secteur de l’agriculture. Notre but est l’autosuffisance alimentaire. Nous n’avons aucun a-priori sur tel ou tel partenaire tant que les intérêts de Madagascar sont préservés. »
(6) http://siteresources.worldbank.org/INTARD/Resources/ESW_Sept7_final_final.pdf: Rising global interest in farmland : can it yield sustainable and equitable benefits ?
(7) http://echogeo.revues.org/index11649.html
(8) http://pubs.iied.org/12568IIED.html
(9) http://www.ecoaustral.com/interieure.aspx?rid=292&srid=293&rubname=DOSSIER_R%C3%89GIONAL_OC%C3%89AN_INDIEN&EID=64 L’Eco austral, n°253 – Mai 2011, Dossier régional Océan Indien, en fichier attaché p.59 : Le retour de la crise alimentaire
(11) www.observatoire-foncier.mg/get-file.php?id=70 – notamment page 24 et suiv.
(12) http://www.guardian.co.uk/environment/2011/may/31/biofuel-plantations-africa-british-firms
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