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MALAWI : Projet de port intérieur - Le rêve s’estompe

D 7 juin 2012     H 05:42     A IRIN     C 0 messages


NSANJE - En arrivant à Nsanje, capitale assoupie du district le plus méridional du Malawi, les visiteurs sont accueillis par un grand panneau aux couleurs fanées : « Le rêve devient réalité. Le port de Nsanje ouvre en octobre 2010. » Mais quand on se rend au port, on n’y trouve guère qu’un quai de béton flanqué d’une dizaine de poteaux d’amarrage, et quelques pêcheurs circulant dans des pirogues rudimentaires dans les eaux boueuses du fleure Shire.

L’ancien président Bingu wa Mutharika voyait dans la construction d’un port intérieur un moyen de relier le Malawi qui n’a pas de frontières maritimes et le port de Chinde sur l’Océan Indien, situé au Mozambique voisin, à 238 kilomètres de distance ; c’était le but du projet de voie de navigation Shire-Zambèze. L’objectif était de réduire les frais d’importation et d’exportation des produits acheminés par la route via la capitale commerciale malawite, Blantyre et la cité portuaire mozambicaine de Béria, soit un trajet aller-retour de quelque 1200 kilomètres.

Mais le projet n’avait pas soulevé le même enthousiasme chez l’homologue mozambicain de M. Mutharica. Au cours de la cérémonie officielle d’ouverture du port en octobre 2010, M. Mutharica, accompagné de l’ancien président zambien Rupiah Banda et du président du Zimbabwe, M. Mugabe, fut forcé d’admettre devant la foule assemblée à cette occasion pour accueillir la première barge que le gouvernement mozambicain avait demandé des études de faisabilité et d’impact environnemental, avant d’autoriser des barges à emprunter la section du Zambèze traversant son territoire.

Depuis, le port est inutilisé ; vis et boulons sont récupérés peu à peu par des vandales. Le port suscite de plus en plus de ressentiment dans la population locale à qui on avait promis emplois et développement. Pour Rose Samuel, une habitante de Nsanje de 32 ans, l’empierrement des 50 kilomètres de route entre Nsanje et Bangula, la ville suivante, est la seule amélioration qu’ait connue la ville. Une grande partie des 130 kilomètres restants qui séparent Nsanje de Blantyre ne sont toujours pas goudronnés.

« Il n’y a aucune preuve que Nsanje sera un jour une grande ville portuaire, » a dit Mme Samuel. « Nous avons entendu dire que plus en aval, le fleuve devient trop étroit pour permettre le passage des bateaux. Nous ne pensons donc pas que [le port] puisse être utilisé dans un futur proche. »

Accaparement des terres

L’amertume de Mme Samuel est largement justifiée : Elle fait partie des 300 familles qui cultivaient les terres actuellement occupées par le port. Au début de 2010, le gouvernement a fait savoir par l’intermédiaire de l’Autorité traditionnelle locale [le chef] que ces terres étaient requises pour y construire le port et que les familles seraient indemnisées en fonction de la taille de leur lopin de terre.

« Les familles concernées ont dû arracher le maïs qui était déjà planté, » a expliqué Mme Samuel. « Parmi elles, il y avait des vieux qui sont partis en pleurant ; c’était leur seule source de revenus. »

La famille de Mme Samuel n’a reçu que 5 000 kwacha (20 dollars) pour un hectare de terres ancestrales, dont elle ne possédait pas le titre de propriété. Sa famille survit désormais en faisant du travail à la pièce et en louant un petit terrain pour y faire des cultures alimentaires. « Ici, le temps est toujours mauvais et la plupart du temps nous vivons de pommes de terres. Près du fleuve, c’était plus humide et la terre était meilleure, » a t-elle indiqué.
Beaucoup d’autres familles n’ont toujours rien reçu. « Les gens sont inquiets : si [les accapareurs]peuvent s’emparer des terres sans payer, qu’est ce qui va les empêcher d’expulser les gens ? »

Ses craintes sont justifiées. L’Autorité traditionnelle a interdit aux gens de la ville de construire de nouvelles maisons, car la zone est réservée pour le développement et le Commissaire du district de Nsanje, Rodney Simwaka, a dit à IRIN que son bureau avait reçu 4 000 demandes de terrain de la part de développeurs qui sont convaincus que le port finira par devenir opérationnel.

Selon M. Simwaka, les demandes n’ont pas encore été traitées, mais le chef de village Black Richman Khembo a dit à IRIN : « Une grande partie des terres ont été achetées par des riches qui espèrent en tirer profit. Pour l’instant, ils laissent les gens sur leurs terres, mais un de ces jours, ils vont probablement les en chasser. »

Un projet mis au placard

M. Simwaka s’est abstenu de tout commentaire sur les déclarations faites récemment par Jerry Jana, Directeur des Affaires économiques pour le Parti du Peuple, le parti arrivé nouvellement au pouvoir après la mort brutale de M. Mathurika en avril 2012. Selon Mme Jana, les projets à long terme comme celui du port de Nsanje doivent être mis de côté pour le moment, tandis que le gouvernement se concentre sur des questions d’intérêt immédiat, comme les pénuries de carburant et de devises qui handicapent énormément le pays.

« Nous avons besoin d’un franc soutien des autorités mozambicaines pour progresser, » a dit à IRIN Mme Jana, en ajoutant que les études d’impact environnemental de et de faisabilité n’avaient pas encore démarré.

La Banque africaine de développement (BAD) a accepté de financer l’étude de faisabilité qui fait partir du protocole d’accord (MoU) sur le projet de voie navigable Shire-Zambèze signé en avril 2007 par le Malawi, le Mozambique et la Zambie.

Répondant par mail aux questions d’IRIN, le représentant résidant de la DAB au Malawi, Andrew Mwaba, a indiqué que la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), l’agence exécutrice du projet, s’efforce « actuellement de remplir les conditions préalables au premier versement [du financement de l’étude de faisabilité] » et que l’étude est en cours. « Le projet sert les intérêts des trois gouvernements et [l’]abandonner serait contraire au protocole d’accord qu’ont signé les trois pays. »

Le chef de village M. Khembo fait partie de ceux qui ont perdu leurs terres lors de la construction du port, mais contrairement à Mme Samuel, il s’accroche à l’espoir que le port finira par ouvrir et fournir des opportunités et des emplois ; « si ce n’est pour moi, au moins pour mes enfants, » dit-il. La pénurie d’emplois a déjà forcé deux de ses enfants à quitter Nsanje ; l’un est parti en Afrique du Sud et l’autre au Mozambique.

« Si le port commence à fonctionner, la situation à Nsanje s’améliorera, » a t-il déclaré. « Et dans ce cas, ça me sera égal d’avoir perdu ma terre. »

Source : http://www.irinnews.org