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La Namibie et les Accords de partenariat économique

D 6 octobre 2013     H 05:29     A Henning Melber     C 0 messages


Les Accords de partenariat économique (Ape) sont en négociation depuis plus d’une décennie entre l’Union européenne et les pays Acp sans résultats satisfaisants. La plupart des pays Acp ont refusé d’entrer dans cet accord ou de le mettre en œuvre. A l’avant-garde la résistance africaine, il y a la Namibie. En dépit de risques économiques considérables, le gouvernement namibien s’est défendu disant que le format actuel ne servait pas les meilleurs intérêts de la Namibie. Cet article présente en détail les discussions entre Bruxelles et Windhoek, ainsi que la position namibienne.

Les négociations sur les Ape se déroulent depuis plus d’une décennie, sans aboutir à des conclusions. Initiées en septembre 2002, ils devaient originellement entrer en vigueur le 1er janvier 2008. L’article 36 (5) de l’accord de Cotonou a introduit l’approche de la façon suivante : "Les négociations pour un accord de partenariat économique seront entreprises avec les pays Acp qui se considèrent en position de le faire, au niveau qu’ils estiment appropriés et en accord avec les procédures agréées par le groupe Acp, prenant en compte le degré d’intégration régionale au sein des Acp" (1)

Ce qui semble une stratégie raisonnable est bientôt devenu l’objet d’un des plus graves contentieux qui affecte négativement les relations entre l’Europe et l’Afrique depuis la fin de l’ère coloniale. La réputation et l’image de l’Europe ont sans aucun doute souffert de dommages importants aux yeux de la plupart des Etats africains. L’offensive européenne bat clairement en brèche sa prétention de haute moralité de "soft power", puisque l’Union européenne cherche à utiliser les négociations des Ape pour faire passer des accords dans nombre de domaines sensibles (comme les politiques d’investissement, d’approvisionnement et de compétition) rejetés par les pays du Tiers monde au cours des négociations à l’Omc en 2003.

Selon sa propre compréhension, "l’approche de l’Union européenne est basée sur les accords de Cotonou et les directives de négociations du 12 juin 2002. Celles-ci comprennent des arrangements régionaux complets y compris le commerce de biens et de services ainsi que les investissements, des normes sanitaires et phytosanitaires, la protection de la propriété intellectuelle, le commerce et l’environnement et des normes pour les travailleurs". (2)

Ceci confirme que les Ape concernent davantage que la réciprocité dans le cadre étroitement défini au niveau de l’Omc. L’Union européenne (Ue) a négocié des accords séparés avec les différentes régions et les pays avaient à se joindre à l’une de ces entités nouvellement créées. Ceci a affaibli les pays Acp qui se sont ainsi vus privés du droit d’un marchandage collectif. On a même assisté à une division des configurations économiques régionales établies. Nul n’est besoin d’être grand clerc pour voir qu’il y a un conflit intrinsèque entre le régionalisme tel qu’il existe et les négociations pour un nouveau processus multilatéral. Les pays diffèrent suivant les avantages liés aux bénéfices d’une protection continue dans le cadre des arrangements régionaux ou la création d’accès préférentiel individuel dans le sein d’autres accords commerciaux.

Les négociations sur les futurs Ape ont introduit de sérieux problèmes de mises en œuvre et un impact négatif sur le régionalisme du groupe Acp et ses Etats membres africains. Une complication additionnelle réside dans le fait que toutes ces configurations régionales reposent sur un mélange de pays moins développés et d’autres. Une des conséquences probables est de se retrouver avec d’avantage de fragmentations du processus d’intégration régionale et la division des Acp en groupes régionaux.

LA SITUATION POUR LES SADC ET LES SACU

Dans le cadre des négociations actuelles, les 15 Etats membres (Ndlr : de la Sadc et de la Sacu) se voient niés le droit d’être partenaire dans une entité mais sont représentés dans quatre configuration régionales différentes :

 l’Afrique centrale englobe la République démocratique du Congo,
 la Communauté de l’Afrique de l’Est (Eac) comprend la Tanzanie,
 le groupe de l’Afrique orientale et australe (Esa) inclut le Malawi, Maurice, Madagascar, les Seychelles, la Zambie et le Zimbabwe,
 Le groupe qui opère sous l’appellation de Sadc Epa comprend l’Angola, le Botswana, le Lesotho, le Mozambique, la Namibie, l’Afrique du Sud et le Swaziland (7 des 15 Etats membres de la Sadc)

Compte tenu du calendrier propre à la Sadc pour une zone de libre échange, qui prévoyait l’abolition des taxes en 2012, la dispersion des membres dans diverses configurations des Ape était tout sauf un acte qui renforçait les diverses intégrations régionales. Résumant le problème, une étude récente a conclu que " les processus régionaux d’intégration compliqués ainsi que la différentiation due aux négociations des Ape sont susceptibles d’avoir à créer d’énormes difficultés pour ces pays qui veulent simultanément établir le meilleur plan d’intégration et la stratégie de regroupement Ape la plus bénéfique". (3)

Au milieu de 2010 (une année et demie après que l’Ape aurait dû pleinement entrer en vigueur selon le calendrier), la situation reflétait les fortes différences d’opinion. Lesquelles, dans différents cas, ont bloqué les négociations. Lorsque le calendrier est devenu caduc, l’Ue a introduit la signature ad interim de l’Ape dans une tentative de sauvegarder le calendrier prévu avec l’argument que ceci garantirait la compatibilité avec l’Omc.

Au début juin 2010, l’Eac a signalé qu’elle n’était pas prête à signer un tel accord. Les négociations avec le groupe d’Afrique centrale sont aussi au point mort et n’ont produit aucun résultat concret. Madagascar, Maurice, les Seychelles et le Zimbabwe, du groupe Esa, ont signé les accords intérimaires le 29 août 2009 (avec les Seychelles qui ont ratifié l’accord), pendant que le Malawi et la Zambie n’ont pas signé. Dans le groupe de Sadc, le Botswana, le Lesotho et le Swaziland ont signé un accord intérimaire le 4 juin 2009, le Mozambique le 15 juin 2009. Toutefois ils n’ont pas initié une mise en œuvre significative. L’Angola, la Namibie et l’Afrique du Sud ont refusé de signer. Au total, près de la moitié des pays de la Sadc n’ont pas endossé les accords intérimaires même sur le papier.

The Southern Africa Customs Union (Sacu - Union douanière d’Afrique australe) est la plus ancienne union en son genre. Etablie en 1910, elle inclut le Botswana, le Lesotho, la Namibie, le Swaziland (les Etat dits du Bnls) et l’Afrique du Sud. Les pays du Bnls avaient précédemment posé leurs initiales sur les Accords intérimaires de la Sadc, bien que la Namibie ait plus tard insisté pour qu’elles soient retirées en raison de différends non résolus.

Dans une lettre datée du 11 février 2010 les ministres du Commerce des pays de la Sacu ont informé le Commissaire au commerce de l’Union européenne, Karel de Gucht, qu’ils n’avaient pas l’intention de signer, ou bien qu’ils avaient l’intention de faire une demande pour une participation provisoire aux accords intérimaires. Ils ont demandé à négocier et un accord complet avec tout le groupe "sans qu’un pays" s’en sorte plus mal ou qu’il soit contraint de signer un contrat qui ne serve pas ses meilleurs intérêts". Ils ont exprimé leur confiance de voir prochainement une occasion de se rencontrer et de guider conjointement une finalisation réussie des négociations pour les Ape". (4)

Dans sa réponse du 31 mars 2010, Karel de Gucht a exprimé qu’il comprenait que les signatures antécédentes de l’accord intérimaire par les quatre membres du groupe Ape de la Sadc "ont été apposées en bonne foi par des ministres attentifs et conscients des conséquences légales et pratiques et des obligations qui découlent d’une telle action". De plus, il a souligné que dans "le principe qui fonde le droit… les accords doivent être respectés" et rappelait aux ministres que "l’omission de signer, de notifier ou de mettre en œuvre a généré une grande incertitude concernant la légalité aussi bien du point de vue de la loi européenne qu’en terme de compatibilité avec l’Omc et la régulation des accès préférentiels au marché".

Ignorant la préoccupation des ministres de la Sacu, pour qui la priorité est à l’intégration régionale et la confiance exprimée pour une prochaine réunion, il a invité les pays concernés par les Ape au sein de la Sadc " de rapidement signer, notifier et mettre en œuvre les accords intérimaires" . (5)

Compte tenu de l’esprit et du ton de la réponse, il est difficile de faire taire les accusations de paternalisme et de tyrannie dans l’approche de l’Ue pour promouvoir les différences d’opinion. Ceci témoigne de l’esprit fermé qui prévaut dans les négociations autour des Ape, de la part du département du commerce de l’Ue, depuis l’époque du commissaire britannique Peter Mandelson. Il s’en est suivi que le directorat du département du commerce de l’Ue a conclu, à la mi-juin 2010, que les accords intérimaires avec les pays de la Sadc "ne peuvent être mis en œuvre avant d’avoir été signés par tous les partenaires". (6) Signifiant ainsi qu’ils ne peuvent actuellement pas être effectifs. La principale pierre d’achoppement pour une base commune est apparue avec le ferme refus de la Namibie de signer les Ape intérimaires.

LE CAS DE LA NAMIBIE

L’Angola et l’Afrique du Sud ont emprunté des voies similaires à la prise de position de principe de la Namibie. Toutefois, la Namibie, bien que voisine des deux autres, est la plus petite et la plus vulnérable des trois économies et a pris un grand risque. Son revenu annuel per capita la classe parmi les pays au revenu moyen supérieur et donc la disqualifie du statut de pays le moins développé. Cette association entièrement fictive est en contradiction avec l’un des coefficients Gini les plus élevés du monde et signifie que ce pays figure parmi ceux où la redistribution de la richesse comporte le plus de disparités et doit faire face à un problème écrasant de pauvreté parmi la majorité de la population.

Par contre, l’Angola, avec ses énormes revenus provenant de ses réserves de brut (surtout pour le bénéfice d’une petite oligarchie), entre dans la catégorie des pays les moins développés du monde. Ceci lui permet, grâce à l’initiative Everything but Arms (Eba - Tout sauf les armes), un accès préférentiel au marché de l’Union européenne. L’Angola a aussi un bien précieux à offrir pour lequel l’Ue est prête à faire montre d’une certaine flexibilité lorsqu’il s’agit de s’accommoder de quelque comportement déviant. Après tout, le pétrole est un bien internationalement attractif qui donne un pouvoir de marchandage. Ainsi, la domination autocratique du clan Dos Santos n’a jamais vraiment été une source de préoccupation pour les gouvernements occidentaux ou les a empêchés de chercher à faire des affaires ou d’en faire avec l’Angola.

L’Afrique du Sud a déjà un Trade, Development and Cooperation Agreement (Tdca) avec l’Ue. Cet accord est totalement compatible avec l’Omc et son Free Trade Agreement (Accord de libre échange), négocié au cours de la seconde moitié de 1990, en violation flagrante des dispositions du Sacu qui requiert le consentement préalable et l’implication des autres membres de l’union douanière. La conséquence est que la dernière étape de la mise en œuvre de la Tdca permet à l’Ue d’exporter des biens subventionnés dans les marchés d’autres pays membres de la Sacu (y compris la Namibie).

Ceci empêche toute protection des producteurs locaux au vu de cette compétition. De facto, l’Union européenne profite déjà du marché ouvert des membres de la Sacu au travers de son Tdca avec l’Afrique du Sud et n’a nul besoin de des dispositions des Ape intérimaires pour son incursion, aussi longtemps que la Sacu demeure intacte.

En raison de la Tdca et n’étant pas un pays Acp, l’Afrique du Sud ne participait pas initialement aux négociations sur les Ape. Seul un manque de logique évident de cette exclusion, compte tenu du rôle central de ce pays dans la sous-région et son économie intégrée au moyen de la Sacu, ainsi que sa position d’Etat membre de la Sadc, a mené à une correction tardive. Mais l’Afrique du Sud a des raisons d’estimer les clauses qui vont entrer en vigueur, selon les termes de la Tdca, suffisamment douteux et à son détriment pour adopter une position sceptique face aux accords entrain de se mettre en place.

Par contraste la Namibie a eu le courage de refuser de signer les Ape intérimaires, après avoir apposé ses initiales sur le projet d’accord à la fin 2007. Lors d’une réunion à Swakopmund, à la mi-mars 2009, certaines des objections clairement spécifiées étaient listées, exprimant les questions substantielles de la Namibie. Celles-ci, par la suite, n’ont pas été intégrées dans le document des Ape intérimaires qui devait être signé, mais selon l’Union européenne, devaient être considérés comme des éléments qu’on gérerait "en toute bonne foi".

Le ministre namibien du commerce et de l’industrie, Hage Geingob, a choisi de ne pas être d’accord. Il a par la suite accusé l’Ue d’avoir omis de mettre par écrit les assurances données. Son refus de signer le document qui n ‘avait pas intégré les changements agréés a provoqué des menaces à peines voilées. Comme de dire que la Namibie pourrait perdre son statut d’accès préférentiel au marché de l’Ue pour le poisson, le bœuf, le raisin de table (libre de taxes et de quota), marché d’une valeur estimée à N$ 3 milliards (le dollar namibien est une monnaie non convertible et liée au Rand sud africain) ce qui représente une part substantielle, sinon décisive, du revenu annuel pour les producteurs de viande, poissons et raisins namibiens.

Lors d’un discours vibrant au parlement namibien à l,a mi-mai 2010, le ministre du Commerce a expliqué son refus de céder aux pressions et de signer les Ape intérimaires. Parmi les sérieuses conséquences pour la Namibie, il a mentionné la nécessité "de renoncer à l’utilisation des taxes d’exportations sur les matières premières comme option politique pour encourager les produits à valeur ajoutée", l’abandon du système actuel de protection de l’industrie naissante ("nous devrons peut-être dire "au revoir" à nos industries laitières et de pâtes alimentaires") et la perte de "tous nos investissements dans le Programme vert, le marché de l’horticulture, de silos à grains, d’extension agricole et de produits alimentaires à valeur ajoutée". Ce qui "perturberait sérieusement les économies rurales et les moyens de subsistance de milliers de petits paysans" (7).

Un autre contentieux demeure la clause de Most Favoured nations (Mfn - la nation la plus favorisée), qui stipule que tous les accords commerciaux entre des parties qui détiennent plus de 1,5% du commerce global donneraient automatiquement à l’Ue les mêmes préférences. A la lumière des accords négociés en parallèle entre la Sadc et l’Inde, ceci a été considéré comme un obstacle au renforcement désiré des relations commerciales Sud/Sud.

Au cours de juin et juillet 2010, ces dures positions qui semblaient suggérer une impasse, semblent s’être subitement assouplies. Suite une session de négociations à haut niveau à Bruxelles au début mai 2010, les ministres du commerce d’Afrique australe ont noté dans le procès-verbal de la réunion de Gaborone le 17 juin, l’intention de conclure un APE inclusive d’ici la fin de l’année. Cette situation plus optimiste a été motivée par la concession du département du commerce de l’UE d’inclure les changements demandés et acceptés à Swakopmund dans le texte des APE intérimaires. Cependant que le commissaire européen du commerce, de Gicht, avant auparavant même refusé de rencontrer le groupe SADC EPA pour discuter leurs griefs, il a indiqué en juillet 2010 " que la question de la sécurité alimentaire, la protection de l’industrie naissante, la libre circulation de biens et des taxes d’exportations seront inclus dans le document final" (8) Il était aussi d’avis que vers la fin de l’année 2010 un APE complet avec la région de SADC EPA pourrait être en place. Toutefois, il restait encore des contentieux comme l’alignement sur l’accès aux marchés, les droits de douanes et la règle des origines du point de vue du SACU et de la SADC. Dès lors, il n’est pas surprenant que les négociations se soient enlisées.

Le 30 septembre 2011, l’Union européenne a adopté la recommandation du conseil de l’Union des ministres pour mettre un terme à l’accès Duty Free, Quota Free (Dfqf - libre de taxe et quota libre), d’ici au 1er janvier 2014, pour tous les pays Acp qui "n’ont pas pris les mesures nécessaires pour la ratification des Ape ni conclu des négociations régionales complètes". (9) Une évaluation des conséquences probables pour la Namibie estime que plus de la moitié (51%) de la totalité des exportations vers l’Ue seraient soumis à des taxes additionnels (10). Bien que ces taxes seraient en moyenne modérées, elles affecteraient l’exportation de bœuf et "résulterait de facto en une fermeture commerciale de facto des marchés européens aux exportations de bœufs namibiens".

Les pêcheries seront probablement moins affectées. Des effets négatifs pourraient aussi limiter l’exportation de raisin de table sans pépin vers le marché de l’Union européenne, qui a émergé au cours de ces dernières années comme matière d’exportation viable. Des recherches de l’Overseas Development Institute (Odi) prédisent que les taxes imposées sur le bœuf importé depuis la Namibie dépasseraient de plus de quatre fois les contributions du fond d’aide annuel. (11)

Pour des raisons évidentes, ceci fût mal accueilli en Namibie. Le ministre du commerce Geingob a réagi furieusement, compte tenu du fait que le commissaire de Gucht a rencontré les responsables namibiens à Windhoek au début de septembre 2011 sans aucunement faire mention de la menace liée à la date butoir et perçue comme frisant le chantage. La Chambre de commerce et de l’industrie namibienne a aussi critiqué la décision unilatérale. Un membre du parlement du parti gouvernemental de la Swapo a refusé, dans une déclaration, lors d’une assemblée parlementaire conjointe Acp/Ue, d’accepter le blâme pour le retard pris dans les négociations, compte tenu du fait qu’il faut entre six mois et une année aux responsables de l’Ue pour répondre aux préoccupations de la Namibie. (12)

En avril 2012, le Britannique David Martin, membre du parlement européen (Mpe) a mis sur la table un rapport en réponse à la proposition de l’Ue, au nom du Comité du Parlement européen pour la question du commerce international, lequel, entre autres choses, suggérait une extension du calendrier jusqu’au 1er janvier 2016. (13) Le président Pohamba a réitéré l’appel pour ignorer l’ultimatum lors de la visite officiel du roi du Swaziland, Mswati III, en juillet 2012, pendant que l’ambassade de Namibie à Bruxelles et le parlementaire namibien représentant le pays dans les comités Acp pour l’Economie ont commencé à faire du lobbying pour l’extension du calendrier. (14)

Le 13 septembre 2012, les Mpe ont voté l’adoption de l’extension du calendrier, ce qui a été salué avec enthousiasme aussi bien par le secrétariat des Acp que par les officiels namibiens à Bruxelles, qui ont tous confondu cela avec une victoire croyant que l’endossement par le parlement européen serait juste une formalité. (15) A leur grande déception, le Comité pour le commerce international du Parlement européen a accepté le 21 mars 2013 (qui ironiquement est aussi l’anniversaire de l’indépendance de la Namibie), le calendrier ajusté et la date du 1er octobre 2014. Le Parlement européen a officiellement entériné la date le 16 avril 2013, malgré les votes négatifs des parlementaires européens de la Gauche et des Verts.

Dans l’intervalle, une nouvelle dynamique interne a émergé en Namibie, avec la reconduction du ministre Geingob dans sa fonction de vice-président gouverneur de la Swapo, lors du congrès du parti tenu à la fin novembre 2012. Suite à une campagne intensive à l’intérieur du parti qui mettait en présence trois candidats, cette réélection consacrait en même temps sa nomination comme candidat à la prochaine élection présidentielle qui aura lieu en même temps que les élections parlementaires, probablement à la fin 2014.

Ceci fait de Geingob le successeur désigné de Pohamba dès mars 2015. L’actuel chef d’Etat l’a par la suite nommé Premier Ministre, avec effet immédiat, lors du remaniement de son cabinet (poste qu’il a déjà occupé entre 1990 et 2002). Son successeur comme ministre du Commerce est Calle Schlettwein, vice ministre des Finances et ancien secrétaire d’Etat qui avait déjà longuement servi au ministère des Finances. Paraissant côte à côte lors du 7ème sommet des chefs d’Etats et des pays Acp à Malabo, en Guinée équatoriale, à la mi-décembre 2012, ils ont réaffirmé la position de la Namibie, disant que les Ape ne doivent pas concerner seulement le commerce mais aussi le développement et qu’ils maintiendront leur position de principe.

Comme ministre du Commerce et de l’Industrie, Schlettwein a remis l’accent sur la nécessité de considérer l’industrialisation du pays comme faisant partie intégrante des stratégies de développement économiques. Dans un discours au début février 2013, il a mis l’accent sur le besoin de transformer l’économie coloniale en ajoutant de la valeur aux ressources primaires avant leur exportation, ceci dans la perspective de la protection d’une industrie naissante et la taxation des matières premières exportées. (16)

Schlettwein n’a pas trouvé drôle de voir la date butoir pour la fin des Dfqf déplacée au 1er octobre 2014, afin de contraindre à une acceptation des Ape. Il est catégorique sur le fait que le temps imparti est insuffisant pour résoudre les problèmes en suspens. (17) Annonçant une consultation nationale sur les Ape pour la fin avril, au parlement namibien, il a observé que cette imposition unilatérale n’est simplement pas dans l’esprit du partenariat, du fair play encore moins équitable. Il a aussi noté qu’en acceptant la Tdca, conclue entre l’Afrique du Sud et l’Union européenne, sans consultation ou endossement par les autres Etats membres de la Sacu, la Namibie a de facto déjà offert aux produits européen un accès préférentiel à son marché :

(…) Le principal bénéficiaire de cette reconnaissance du Tdca a néanmoins été l’Europe. Plus de 90% des biens européens entrent dans notre marché sans taxe sous le Tdca et via notre frontières Sacu. (18)

Lors de l’ouverture des deux jours de consultations sur les négociations Sadc-Epa à Windhoek, il a déclaré :

"L’approche de l’Union européenne va contre la lettre et l’esprit de ce qu’un partenariat devrait être et c’est regrettable. Potentiellement, elle met une pression indue sur le processus de négociation. Je réitère donc ma préoccupation concernant cette mesure unilatérale prise par nos partenaires de négociations… Nous, les pays en voie de développement, avons déclaré que nous voulions du commerce plutôt que de l’assistance de l’Europe, entre autre, et les Ape étaient supposés permettre, dans les conditions sûres et prévisibles requises, de procéder aux investissements nécessaires dans l’industrialisation afin de fabriquer des biens pour l’exportation. Nous avons aussi déclaré que nous ne voulons pas être des exportateurs de matières premières mais de bien de consommation finis pour le marché". (19)

Les consultations nationales examinaient le pour et le contre pour ce qui est de signer ou pas un Ape, dans les trois groupes de travail présidés par le ministre de l’Agriculture, le ministre des Pêcheries et par Schlettwein. Il est devenu évident que la crainte d’être puni pour une prise de position de principe et les conséquences en terme de pertes économiques sévères ainsi que la menace sur l’emploi (particulièrement avec l’exportation lucrative de raisins vers l’Ue), en cas de refus de soumission, a conduit à une approche prudente qui recommandait la poursuite des négociations. (20)

Aussi bien les fermiers commerciaux, qui produisent du bœuf de haute qualité, principalement pour l’exportation vers l’Afrique du Sud et le marché de l’Union européenne, organisés dans la Meat Corporation of Namibia Ltd (Meatco), que les vignerons le long de la frontière sud de Orange River, ont fait savoir leur désespoir face à la menace de punition qui pour eux représenterait des pertes majeures.

Le lobby de la production de bœuf a toujours accueilli favorablement les Ape, comme une occasion de garantir un marché sûr pour l’exportation de bœuf de haute qualité et, depuis la menace initiale en 2010, ont de plus en plus fait campagne pour une politique plus accommodante de la part du gouvernement. Les vignerons, dans une motion adoptée au cours des deux jours de consultation, ont mis en garde sur le fait que leurs entreprises, en l’absence d’une alternative viable pour la commercialisation de leurs produits dans des conditions favorables similaires, "mourraient de mort subite". S’ils étaient contraient de payer les taxes douanières pour l’exportation vers l’Europe, ceci mettrait en péril l’emploi de 3000 employés permanents et de 4500 saisonniers qui fournissent actuellement les moyens de subsistance à environ 45 000 personnes dans la région. (21) Le gouvernement n’aurait pas la tâche facile pour expliquer ses préoccupations légitimes concernant les conditions actuelles des Ape qui ne bénéficient pas à la politique économique globale et qui font obstacle à ses efforts en vue de faire progresser le pays, du rôle de fournisseur de matières premières à celui de pays exportateur de produits à valeur ajoutée.

Compte tenu de la relative vulnérabilité du pays, le courage de s’opposer à Bruxelles a été remarquable mais pourrait ne pas durer. Et ceci ne diminue en rien l’impact que cette prise de position a sur d’autres pays en train de négocier les Ape. On peut supposer que la prise de position de principe de la Namibie de plier devant la contrainte à signer un accord contraire à ses meilleurs intérêts, serve d’exemple à d’autres pays plus désireux, au départ de céder aux pressions.

Que les Ape restent un élément contesté, qui requiert d’avantage de manœuvres de la part de l’Ue que ce qui avait probablement été anticipé au début du spectacle, montre que même des économies relativement petites, ayant comparativement peu de poids, peuvent faire une différence significative au cours des négociations.

Dans le courant du mois de juin 2013, le chef de la division pour l’Afrique australe dans le service extérieur de l’Europe a fait une visite de cinq jours en Namibie pour renforcer les relations. Celle-ci a été suivie d’une visite d’un jour du commissaire européen de Gucht, à la mi juillet. Il semblerait que le Goliath de Bruxelles est très soucieux de trouver un moyen de mettre un terme à la lutte contre David sans recevoir trop de coup.

CONCLUSION

Pendant que d’aucuns pensent que les pays Acp n’ont rien à gagner avec les Apr, l’Union européenne a aussi plus à perdre qu’à gagner, du moins en terme de réputation et d’acceptation de sa politique africaine. En l’absence de suffisamment de capacité au sein des pays Acp pour des négociations efficaces des propositions de l’Europe, nombreux sont les négociateurs qui avaient le sentiment d’être forcés et contraints dans un processus auquel ils résistaient. Les négociations des Ape n’offraient ni preuves convaincantes que l’Union européenne ne ferait pas l’impasse sur les intérêts des pays Acp, pas plus qu’ils ne satisfaisaient aux critères de cohérence avec d’autres principes fondamentaux de politiques du développement d’Etats membres de l’Union européenne comme le soutien à l’intégration régionale. La politique européenne des Ape et la stratégie de mise en œuvre a clairement contribué à une perte de crédibilité parmi les pays Acp et en particulier sur le continent africain.

Toutefois l’Afrique du Sud est confrontée à un risque similaire dans le contexte de l’Afrique australe. Comme géant économique régionale elle a le choix entre deux options : agir comme un dirigeant hégémonique bienveillant ou être une puissance sub-impérialiste guidée par ses seuls petits intérêts. Un tel égoïsme s’exercerait au détriment de tout effort de renforcement de l’intégration régionale. L’Afrique du Sud estime sa contribution financière, calculée selon la formule du Sacu, aux autres Etats membres de l’union douanière comme déraisonnablement élevée et demande des ajustements drastiques. Ceci affecterait de façon importante les budgets annuels et les économies des partenaires Bnls, économiquement moindres, qui sont soumis aux exportations à partir et au travers de l’Afrique du Sud et qui doivent déjà accepter la Tdca que l’Afrique du Sud a adopté avec l’Europe.

Le résultat pourrait en être une division additionnelle de la Sadc. Surtout que ceci n’est pas principalement une question d’arithmétique économique mais une question politique : l’Afrique du Sud peut-elle se permettre de pousser les pays de la Sacu dans les bras de l’Union européenne ? L’Afrique du Sud peut-elle se permettre de laisser l’Europe diviser l’Afrique une fois encore ? Ce qui est requis est un leadership compréhensif de toutes les parties et d’habiles négociations qui ne sont pas basées sur des représailles ou des sanctions, mais sur une quête à long terme d’objectifs qui bénéficie à l’entière population de la région. (22)

NOTES

 1. Citation du South Centre, The Cotonou Partnership Agreement, the Economic Partnership Agreements and WTO Compatibility : Can Initialed Interim EPAs be Notified ? Analytical Note SC/TDP/AN/EPA/22. Geneva : South Centre, June 2009, p. 4.
 2. European Commission, EU-ACP Economic Partnership Agreements : State of Play at June 2010. Brussels : European Commission/Directorate-General for Trade, 15 June 2010, p. 3.
 3. Michael F. Jensen et Yu Wusheng, Regional Trade Integration in Africa : Status and Prospects. Policy study commissioned by the Ministry of Foreign Affairs of Denmark. September 2012, p. 50.
 4. Lettre du secretariat de la Sacu, 11 février 2010, Ref : 15/2/2, pages 2 et 3.
 5. Lettre de Karel de Gucht, 31 mars 2010, EP/cs/A 249 (10) D 216, pages 1 et 2.
6. Commission européenne, op. cit., p.
 6. & 7. Hage Geingob, declaration ministérielle devant l’Assemblée nationale namibienne ; 19 mai 2010.
 8. Jo-Maré Duddy, EU promises to back off on EPA. The Namibian, Windhoek, 23 July 2010.
 9. Commision européenne, Bruxelles, 30.9.2011, COM (2011) 598 final, 2011/0260 (COD), Proposal for a Regulation of the European Parliament and of the Council amending Annex I to Council Regulation (EC) No 1528/2007 as regards the exclusion of a number of countries from the list of
regions or states which have concluded negotiations, p. 2.
 10. Lorand Bartels and Paul Goodison, EU Proposal to End Preferences of 18 African and Pacific States : An Assessment. Commonwealth trade hot topics, issue 91, November 2011, p. 4.
 11. ODI project briefing : The End of Current EU Preferences for Namibia : Economic and Social Impacts, May 2007, available at http://www.odi.org.uk/iedg/Publications/Namibia_ Preferences_Project_Briefing.pdf
 12. Jo-Maré Duddy, Billions in balance if trade pact fails. The Namibian, 11 October 2011.
 13. European Parliament, Committee on International Trade, 2011/0260(COD), 13.4.2012, Draft Report, p. 7.
 14. Jo-Maré Duddy, Pohamba calls on EU to waive EPA deadline. The Namibian, 26 July 2012.
 15. Jo-Maré Duddy, EU backs down on EPA deadline. The Namibian, 18 September 2012.
 16. Clemens von Alten, Schlettwein will aufräumen. Allgemeine Zeitung, 5 February 2013.
 17. Jan Poolman, EPA deadline upsets Schlettwein. Informante, 27 March 2013.
 18. Citation d’Edgar Brandt, Call for national consultation on EPA. New Era, 8 April 2013.
 19. Citation d’Edgar Brandt, EU deadline for EPAs regrettable – Schlettwein. New Era, 25 April 2013.
 20. Eberhard Hofmann. Regierung schwankt bei EPA. Allgemeine Zeitung, 26 April 2013.
 21. Lukman Cloete, Grape farmers panic over EPA delay. The Namibian, 20 June 2013.
 22. Yash Tandon, Salvaging EPA negotiations with Europe : A turning point for Africa. Speech delivered at the Harold Wolpe Memorial Trust, Cape Town, March 9 2010, (http://www.pambazuka.org/en/category/comment /63120)


** Dr Henning Melber est conseiller et directeur émérite à la Dag Hammarskjöld Foundation à Upssala en Suède, professeur extraordinaire au département des sciences politiques à l’université de Pretoria et Professeur extraordinaire au Centre for Africa Studies à l’Université de Free State

Ce document est une version abrégée de celui présenté lors du Symposium "South Africa and the United Nations", le 9 juillet à l’université de Pretoria. Il fait partie d’un projet conjoint de recherche entre le département des sciences politiques de l’université de Pretoria et la London School of Economics on Africa foreign policy, sponsorisé par l’Open Society Foundation of South Africa -

Traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger

Source : http://www.pambazuka.org