Zambie : Déplacements forcés d’habitants de communautés rurales
L’ insuffisance de la supervision des entreprises par le gouvernement aggrave le problème des expulsions forcées
3 novembre 2017 18:00 0 messages
Le gouvernement zambien manque à son devoir de protéger les droits des habitants de zones rurales qui sont déplacés par l’installation de vastes exploitations agricoles commerciales dans le district de Serenje, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui. Certaines exploitations agricoles commerciales ont fait l’acquisition de milliers d’hectares de terres en ne tenant aucun compte des dispositions juridiques existantes qui visent à protéger l’environnement et à assurer que les communautés locales soient indemnisées si leurs terres sont saisies. Certaines fermes commerciales ont expulsé de force des habitants dont les familles exploitaient ces terres depuis des générations.
Ce rapport de 101 pages, intitulé « Forced to Leave : Commercial Farming and Displacement in Zambia » (« Forcés de partir : Exploitations agricoles commerciales et déplacements d’habitants en Zambie »), examine l’impact des fermes commerciales sur les droits des habitants à la santé, au logement, à un moyen d’existence, à la sécurité alimentaire et à l’accès à l’eau, ainsi qu’à l’éducation. Le rapport examine comment les femmes sont affectées de manière disproportionnée, et sont souvent exclues des négociations avec les exploitants agricoles commerciaux. Basé sur plus de 130 entretiens avec des habitants de zones rurales affectés par l’agriculture commerciale, le rapport examine aussi le bilan en matière de droits humains de six exploitations agricoles commerciales qui sont symptomatiques de manquements beaucoup plus graves en matière de protection des droits humains et de gouvernance. Il repose aussi sur des entretiens avec des responsables gouvernementaux, des responsables d’exploitations agricoles commerciales, des personnes chargées d’activités de plaidoyer et des avocats.
« Des familles qui vivaient depuis des générations et exploitaient des terres qui ont été attribuées à des exploitations commerciales sont déplacées sans que la régularité des procédures ne soit respectée et sans indemnités », a déclaré Juliana Nnoko-Mewanu, chercheuse sur les quêtions de droits fonciers auprès de la division Droits des femmes Human Rights Watch et auteur du rapport. « Certaines familles se retrouvent maintenant sans nourriture et sans domicile. »
Le gouvernement zambien encourage les investissements de grande ampleur dans l’agriculture afin de diversifier l’économie et de réduire la pauvreté dans les zones rurales. Mais il a été tellement négligent dans l’application des lois régissant les acquisitions de terres et règlementant ce type d’entreprise que certaines communautés rurales ont subi de graves préjudices, a affirmé Human Rights Watch.
De nombreuses exploitations agricoles commerciales sont installées dans des « blocs agricoles », vastes parcelles de terre où le gouvernement a promis de construire des routes et d’apporter l’irrigation et d’autres infrastructures pour desservir des exploitations multiples. Des lois et des principes règlementent les moyens par lesquels des terres peuvent être converties et passer du statut de terre « traditionnelle » à celui de terre « d’État », ou être acquises d’autre manière pour constituer des blocs agricoles ou d’autres projets de développement économique. Les terres traditionnelles sont administrées par des chefs coutumiers et les terres d’État sont placées sous l’autorité du gouvernement. Les responsables gouvernementaux affirment que toutes les terres formant des blocs agricoles dans le district de Serenje avaient été depuis longtemps converties et étaient passées du contrôle coutumier au contrôle d’État. Certaines personnes chargées du plaidoyer et des membres des autorités traditionnelles affirment que ces processus ont été tellement défectueux que toutes ces conversions devraient être considérées comme nulles et non avenues.
Les exploitations commerciales qui ont été installées dans le district de Serenje ont des tailles allant de 150 à plus de 5 000 hectares de terre. Ces entreprises sont dirigées par des investisseurs très divers, allant de la grosse société à la petite entreprise familiale dont les propriétaires vivent et travaillent directement sur la terre.
La loi zambienne confère aux responsables gouvernementaux et aux investisseurs des responsabilités particulières concernant ces investissements. Les exploitations commerciales sont tenues de consulter les communautés affectées, de fournir des indemnités d’un montant approprié, d’adhérer à certaines normes en matière de réinstallation, d’évaluer l’impact de leurs activités sur l’environnement et de se conformer aux lois applicables. Les chefs traditionnels doivent eux aussi consulter les communautés affectées avant d’approuver des transferts de terres. Les responsables du gouvernement devraient s’assurer que les projets d’investissement soient conformes à la loi.
Mais des habitants de zones rurales du district de Serenje ont déclaré à Human Rights Watch que la réalité était tout autre. Beaucoup ont affirmé que personne ne les avait informés de l’arrivée des nouvelles exploitations commerciales, ni fait le moindre effort pour protéger leurs droits. Certains d’entre eux ont indiqué que c’était par l’arrivée de nouveaux agriculteurs venus inspecter et mesurer la terre qu’ils avaient été informés de l’installation prochaine d’exploitation agricoles commerciales dans leurs communautés. D’autres, en revanche, avaient reçu notification à l’avance et, dans certains cas, avaient été consultés et dédommagés dans une certaine mesure.
Des habitants déplacés par des exploitations commerciales ont affirmé avoir perdu leurs accès à la nourriture, à l’eau, à un toit et aux écoles. De nombreuses familles ont dû se réinstaller dans des zones dont les sols sont de qualité médiocre, où elles n’étaient plus en mesure de récolter suffisamment de nourriture. Elles ont été refoulées à de plus grandes distances des sources d’eau, ce qui constitue une épreuve en particulier pour les femmes et les filles, obligées de passer beaucoup plus de temps à aller chercher de l’eau à des sources éloignées. De nombreux enfants ont dû cesser d’aller à l’école parce que leurs nouvelles résidences étaient trop éloignées de l’ancienne école et que leur nouvelle zone d’habitation ne disposait pas d’établissement scolaire.
Le gouvernement zambien a été très défaillant dans le domaine de la supervision et de la mise en application des obligations légales des exploitations agricoles commerciales. Il a manqué à sa responsabilité de faire appliquer les lois et les règlementations qui imposent à ces exploitations d’évaluer et de minimiser l’impact social et environnemental de leurs activités, et il ne vérifie pas si ces entreprises commerciales respectent la loi.
Des dizaines d’habitants expulsés de force par une entreprise agricole commerciale en 2013 ont passé quatre ans dans des tentes ou dans des logements de mauvaise qualité, dans une zone forestière où leur accès à l’eau était limité, et ils affirment avoir reçu l’ordre de ne pas s’adonner à l’agriculture. Des responsables gouvernementaux leur ont fourni les tentes, ainsi qu’une maigre assistance alimentaire pendant la première année, mais ont essentiellement ignoré cette communauté depuis lors. Ces habitants ont affirmé qu’ils étaient actuellement laissés à eux-mêmes et perdaient l’espoir que le gouvernement les réinstallera sur de nouvelles terres.
« Les habitants des zones rurales dans le district de Serenje ont été pris de court par l’agriculture commerciale », a déclaré Patrick Musole, directeur des programmes à la Zambia Land Alliance, un groupe d’organisations qui militent en faveur de politiques foncières équitables et de lois qui prennent en compte les intérêts des pauvres. « Les responsables gouvernementaux et de nombreuses entreprises agricoles commerciales se sont précipités pour installer de vastes exploitations agricoles sur des terres qui étaient occupées, sans aucun respect pour les droits humains des habitants. »
Les impacts négatifs de ces décisions ont été subis de manière particulière et disproportionnée par les femmes des communautés déplacées, en raison de leur rôle et de leurs statuts sociaux, et alors qu’elles avaient moins que les hommes la possibilité de négocier et d’affirmer leurs droits. Des femmes ont décrit les épreuves considérables auxquelles elles ont dû faire face pour faire vivre leurs familles après avoir perdu l’accès à de l’eau potable et propre aux usages ménagers, à des terres fertiles favorables aux récoltes alimentaires et à des terrains de chasse ou de cueillette. Certaines se sont plaintes d’un manque de repas nutritifs du fait qu’elles ne pouvaient plus faire pousser assez de nourriture.
Les Principes directeurs de l’ONU relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme stipulent que les entreprises commerciales, y compris les exploitations agricoles commerciales, ont la responsabilité d’identifier, d’empêcher, d’atténuer et de remédier aux violations des droits humains liées à leurs activités. La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples protège le droit à un environnement sain. Le droit international et régional en matière de droits humains interdit également les expulsions forcées et reconnaît les droits à la nourriture, à l’eau, à l’éducation et à la santé.
La Zambie a ratifié les traités sur les droits humains et a adopté des lois et des principes qui devraient protéger les habitants des zones rurales et guider les processus de réinstallation et d’indemnisation. Mais les exploitations agricoles commerciales du district de Serenje ont affirmé à Human Rights Watch qu’elles recevaient des informations contradictoires de la part des autorités concernant leurs obligations juridiques envers les résidents, et des responsables gouvernementaux ont reconnu que la situation dans le district de Serenje avait été mal gérée.
Une exploitation agricole commerciale examinée par Human Rights Watch a choisi une approche différente, relogeant une famille et décidant de mettre en œuvre un « plan d’amélioration des moyens d’existence » destiné à des dizaines d’autres familles qui sont restées sur les terres mais sont néanmoins affectées par les activités de l’exploitation agricole commerciale. Son bilan en termes de consultations et d’efforts pour remédier aux problèmes des habitants était meilleur. Mais même cette exploitation-là bénéficierait d’une meilleure supervision de la part du gouvernement.
Human Rights Watch a appelé le gouvernement zambien à garantir les droits de ses compatriotes ruraux vivant dans les zones consacrées à l’agriculture commerciale et à faire respecter rigoureusement toutes les lois et politiques pertinentes, y compris en matière de réinstallation et d’indemnisation. L’organisation a également appelé les agences gouvernementales à se doter adéquatement en ressources et en personnel, notamment en matière de formation, afin d’appliquer les lois et de contrôler les activités des exploitations agricoles commerciales, et d’améliorer la transparence. Human Rights Watch a recommandé que le gouvernement adopte un texte de loi attendu depuis longtemps sur l’administration des terres traditionnelles et mette à jour la politique foncière nationale.
« Le gouvernement devrait agir énergiquement et rapidement pour améliorer l’application de ses propres lois et règlementations », a affirmé Juliana Nnoko-Mewanu. « Il devrait faire cesser les évictions forcées et s’assurer que les familles déplacées soient en mesure d’obtenir réparation pour les violations de leurs droits. »
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