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Burundi : La condamnation d’une journaliste viole le droit à la liberté d’expression Les autorités devraient libérer Floriane Irangabiye et mettre fin aux procès politisés

D 12 février 2023     H 07:00     A Human Rights Watch     C 0 messages


La condamnation de la journaliste burundaise Floriane Irangabiye pour « atteinte à l’intégrité du territoire national », le 2 janvier 2023, viole ses droits à la liberté d’expression et à un procès équitable, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. La Haute Cour de Mukaza l’a condamnée à 10 ans de prison et à une amende de 1 000 000 francs burundais (480 USD). Les avocats de Floriane Irangabiye ont interjeté appel le 23 janvier.

D’après le verdict du tribunal, sa condamnation fait suite à une émission diffusée sur Radio Igicaniro qu’elle a animée en août 2022, au cours de laquelle elle a interviewé un défenseur des droits humains et un journaliste en exil, qui ont tous deux critiqué le bilan du Burundi en matière de droits humains.

« La condamnation de Floriane Irangabiye met en lumière la manipulation du système judiciaire par les autorités burundaises pour faire taire les voix critiques », a déclaré Clémentine de Montjoye, chercheuse au sein de la division Afrique de Human Rights Watch. « Si les autorités burundaises sont sincères quant à leur volonté d’introduire des réformes, elles devraient mettre fin à leur vendetta contre les personnes qu’elles perçoivent comme des opposants au gouvernement, y compris les dizaines de journalistes et de défenseurs des droits humains qui ont fui après la crise politique du pays en 2015. »

Lors du procès de Floriane Irangabiye le 16 décembre, le parquet a fondé ses accusations sur son travail de chroniqueuse et d’animatrice sur Radio Igicaniro, un média en ligne qui diffuse des contenus critiques ainsi que des débats sur la politique et la culture burundaises. Le journaliste qu’elle a interviewé, Bob Rugurika, est le directeur de Radio publique africaine. Il a été reconnu coupable par contumace d’atteinte à la sûreté de l’État, tout comme 11 autres journalistes et défenseurs des droits humains à l’issue d’un procès inéquitable en 2020.

D’après le verdict rendu à l’issue du procès de Floriane Irangabiye, le parquet s’est fondé sur ses voyages réguliers entre le Rwanda, où elle était basée, et le Burundi, et l’a accusée de critiquer le gouvernement burundais et d’inciter les jeunes à renverser le gouvernement, notamment du fait de sa participation à des rencontres avec des jeunes Burundais en exil au Rwanda. Le parquet a également cité des photos sur lesquelles elle apparaît avec le président rwandais Paul Kagame et l’ancien président burundais Pierre Buyoya, qui a été jugé coupable par contumace de l’assassinat en 1993 de son successeur, Melchior Ndadaye, et condamné à la prison à vie en novembre 2020.

Le verdict du tribunal et la longue peine d’emprisonnement semblent être motivés par le travail de Floriane Irangabiye qui, en tant que journaliste, interviewe des invités critiques à l’égard du gouvernement dans le cadre d’une émission de radio. Le tribunal a rejeté les arguments fondés sur le droit à la liberté d’expression garanti par la Constitution du Burundi. Cependant, la condamnation et la peine infligées par le tribunal à Floriane Irangabiye reposent sur un crime vague qui est susceptible d’être utilisé arbitrairement dans le but de poursuivre des personnes exprimant des critiques et des avis de manière pacifique. Il s’agit donc d’une violation de la liberté d’expression.

Floriane Irangabiye a été placée en détention le 30 août 2022, après avoir été interceptée par des agents des services nationaux de renseignement alors qu’elle se rendait aux funérailles d’un parent à Matana, dans le sud du Burundi, selon un membre de la famille. Elle avait voyagé du Rwanda au Burundi dans le courant du mois d’août. Après son arrestation, une source proche d’elle a dit qu’elle avait été transférée au siège du service national de renseignement à Bujumbura, où elle a été interrogée sans avocat. Elle y a été détenue jusqu’au 8 septembre.

D’après le verdict, au cours de son procès, l’équipe chargée de la défense de Floriane Irangabiye a affirmé que le tribunal ne devrait pas tenir compte des réponses qu’elle a données lors de ces interrogatoires, mais le tribunal a rejeté la demande.

Floriane Irangabiye a été détenue sans qu’aucun chef d’accusation ne soit retenu contre elle jusqu’au 27 octobre, en violation du Code de procédure pénale burundais, ainsi que des normes africaines et internationales en matière de droits humains, qui garantissent le droit de toute personne placée en détention préventive à être rapidement inculpée ou libérée. Lors d’une comparution devant une chambre de conseil, le procureur aurait demandé plus de temps pour recueillir des preuves. La journaliste a été transférée à la prison centrale de Mpimba, à Bujumbura, le 8 septembre, puis à la fin du mois de septembre, des agents des services de renseignement l’ont emmenée à la prison de Muyinga, dans le nord-est du Burundi.

La détention de Floriane Irangabiye pendant des mois sans chef d’accusation, ainsi que l’incapacité du procureur à présenter des preuves crédibles pour un crime, constituent des violations flagrantes de plusieurs principes d’un procès équitable entérinés par la loi burundaise et le droit international, a déclaré Human Rights Watch.

Sylvestre Nyandwi, le procureur général du Burundi, a indiqué au Comité pour la protection des journalistes (Committee to Protect Journalists, CPJ) dans une déclaration que le cas de Floriane Irangabiye était conforme aux procédures et aux lois burundaises, et que sa condamnation n’était pas motivée par des considérations politiques.

De nombreux défenseurs des droits humains et journalistes burundais ont fui la répression qui a suivi les manifestations de 2015, menées contre la décision de l’ancien président de briguer un troisième mandat controversé. Ils sont toujours en exil en raison des menaces persistantes dont ils font l’objet de la part des autorités burundaises, a déclaré Human Rights Watch.

La condamnation de Floriane Irangabiye a été prononcée peu de temps après l’acquittement et la libération de Tony Germain Nkina, l’avocat et ancien défenseur des droits humains qui avait été injustement emprisonné pendant plus de deux ans. Il avait été reconnu coupable de collaboration avec un groupe rebelle et condamné à cinq ans de prison à l’issue d’un procès inéquitable, au cours duquel le parquet n’avait présenté aucune preuve crédible. Le 6 décembre 2022, la Cour suprême a annulé sa condamnation, et la Cour d’appel de Ngozi l’a acquitté le 20 décembre après un nouveau procès.

L’hostilité du gouvernement envers la société civile et les médias autrefois florissants du Burundi persiste malgré l’élection d’un nouveau président en mai 2020. Douze défenseurs des droits humains et journalistes en exil ont été condamnés en juin 2020 pour avoir prétendument participé à une tentative de coup d’État en mai 2015. Le verdict, qui n’a été rendu public qu’en février 2021, a été prononcé à l’issue d’un procès entaché de graves irrégularités, au cours duquel les accusés étaient absents et n’étaient pas représentés légalement, bafouant les principes les plus fondamentaux d’une procédure régulière. Le groupe a été reconnu coupable d’« attentat à l’autorité de l’État », d’« assassinats » et de « destructions ».

« La condamnation de Floriane Irangabiye montre que la répression à l’encontre des personnes qui critiquent le gouvernement est loin d’être terminée », a conclu Clémentine de Montjoye. « Les autorités burundaises devraient mettre en œuvre des réformes de fond pour remédier au manque d’indépendance de la justice, mettre fin aux procès politisés et assurer que justice soit rendue pour les abus commis depuis 2015. »