Cameroun : aux sources de la ’crise anglophone’
16 octobre 2017 08:29 0 messages
La question anglophone est le fruit de la négation des aspirations de la population qui plonge ses racines dans l’histoire colonial du pays et va être exacerbée par la politique du pouvoir en place.
Défaite lors de la première guerre mondiale, l’Allemagne va perdre ses colonies africaines notamment le Cameroun. La gestion de ce pays est confiée à la France et la Grande Bretagne. Chacun va mener sa politique en imposant son type de gestion coloniale, sa langue, ses règles juridiques etc créant ainsi ; au bout de plusieurs décennies, deux entités différentes. Lors du processus de décolonisation, la partie francophone va accéder à l’indépendance et du coté anglophone, la demande d’indépendance est refusée par l’ONU qui ne donne aux populations que le choix entre l’intégration au Nigeria ou le rattachement au Cameroun indépendant.
Les régions nord-ouest et sud-ouest lors du référendum de 1961 vont choisir de lier leur destin au Cameroun mais dans un cadre fédéral promis lors de la conférence de Foumban, sans que cela soit notifié par écrit.
La trahison
Forte d’une tradition démocratique, la partie anglophone exerce de fait un contre-pouvoir qui fait obstacle à la mainmise totale du pays par Ahmadou Ahidjo mis en place par le régime gaulliste. Il va imposer une constitution puis proclamer la République unie du Cameroun qui tourne le dos à une authentique politique fédérale et installe une dictature avec l’assentiment de la France.
Paul Biya qui a pris le pouvoir par un coup d’Etat en 1982 va accentuer la politique de centralisation du pays, marginalisant totalement les populations anglophones qui représentent environ 20%.
La crise a commencé avec la protestation des avocats contre la nomination par le gouvernement de juges ne parlant pas l’anglais et ne connaissant pas le Common Law (les règles juridiques issues du droit anglais), puis a rapidement été rejointe par les enseignants et les élèves pour s’étendre à toute la population. A son habitude le gouvernement a riposté par la répression et utilisé la loi antiterroriste adoptée dans la lutte contre Boko Haram (un groupe djihadiste nigérian qui sévit aussi sur le territoire camerounais), contre les militants anglophones, ceux emprisonnés risquent désormais la peine de mort.
Les quelques mesures d’apaisement n’ont été prises que sous la pression internationale. Quant à la France, dans les coulisses de la diplomatie, elle a empêché une prise de position plus ferme de l’Europe face à la brutalité du régime camerounais. En effet les derniers bilans de la répression font état de 32 morts et plus de deux cents blessés avec de nombreuses arrestations sans pour cela réussir à endiguer la mobilisation.
Ecueils et espoirs
Le camp anglophone reste divisé sur les objectifs, avec des positions couvrant toute la palette allant de l’indépendance à la décentralisation en passant par le fédéralisme. Divisé aussi sur les moyens d’actions, de la médiation internationale, aux actions violentes, voire de luttes armées. Déjà certains groupes pour l’instant très minoritaires, n’hésitent plus à s’en prendre aux francophones risquant de faire prendre à cette lutte un tournant dangereux et la mener vers une impasse.
En effet si les populations anglophones mettent en avant des revendications spécifiques, les protestations visent aussi l’état du pays, le délabrement des services publics, l’absence d’infrastructures, la misère qui sévit et plus globalement le pouvoir en place. Une situation largement partagée par les populations francophones qui rend possible une lutte commune. Il revient aux organisations syndicales et politiques de construire cette unité en développant une plus grande solidarité avec les populations anglophones et ouvrir ainsi la perspective d’une remise en cause de ce régime.
Paul Martial
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