Cameroun : Expulsions massives de réfugiés nigérians
1er octobre 2017 04:12 0 messages
L’armée a refoulé 100 000 demandeurs d’asile – Torture et mauvais traitements dans des régions frontalières reculées
L’armée du Cameroun a procédé à l’expulsion massive de 100 000 demandeurs d’asile nigérians afin de freiner l’expansion de Boko Haram, a révélé Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui. Ces retours involontaires enfreignent la requête de l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) de ne pas renvoyer de personnes vers le nord-est du Nigeria « jusqu’à ce que la situation en matière de sécurité et de droits humains ne se soit considérablement améliorée », et plongent les personnes refoulées dans un cercle vicieux marqué par la violence, les déplacements forcés et la pauvreté.
Selon le rapport de 60 pages, intitulé « Forcés à monter dans des camions comme des animaux : Expulsions massives et abus par le Cameroun à l’encontre de réfugiés nigérians » (également disponible en anglais), depuis le début de l’année 2015, des militaires camerounais ont torturé, agressé et exploité sexuellement des demandeurs d’asile nigérians dans des régions frontalières reculées ; ils les ont aussi empêchés d’entrer en contact avec l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés et ont renvoyé sommairement, souvent avec violence, des dizaines de milliers d’entre eux vers le Nigeria. Le rapport fait également état de brutalités, de mauvaises conditions et de restrictions illégales à la liberté de mouvement dans le seul camp officiel de réfugiés nigérians au Cameroun, ainsi que d’une situation critique pour les personnes récemment renvoyées au Nigeria.
« La torture et les mauvais traitements infligés par l’armée camerounaise aux réfugiés et demandeurs d’asile nigérians semblent être motivés par une décision arbitraire visant à les punir pour les attaques menées par Boko Haram au Cameroun, et à décourager les Nigérians de demander l’asile », a déclaré Gerry Simpson, chercheur senior auprès du programme Droits des réfugiés de Human Rights Watch.
« Le Cameroun devrait tenir compte de la demande de protection formulée par les Nations Unies à l’égard de l’ensemble des États pour les réfugiés fuyant le carnage du nord-est du Nigeria, et non les renvoyer dans cette région. »
À la fin du mois de juin et en juillet 2017, Human Rights Watch a interrogé au Nigéria 61 demandeurs d’asile et réfugiés au sujet des mauvais traitements qu’ils avaient subis au Cameroun. Les personnes questionnées ont expliqué que des militaires les avaient accusées d’appartenir à Boko Haram, un groupe armé islamiste originaire du Nigeria, ou d’être « des épouses de membres de Boko Haram », et les avaient torturées ou agressées, elles et des dizaines d’autres migrants, à leur arrivée, pendant leur séjour dans des zones frontalières isolées ou au cours de renvois massifs. Le HCR déclare avoir recueilli des témoignages similaires auprès de Nigérians vivant dans des régions proches de la frontière avec le Cameroun.
Certains d’entre eux ont raconté que leurs enfants, affaiblis après des mois ou des années passés dans les zones frontalières sans nourriture ni soins médicaux suffisants, étaient morts pendant ou immédiatement après le renvoi forcé. D’autres ont expliqué que des enfants avaient été séparés de leurs parents.
Un demandeur d’asile renvoyé depuis Mora en mars 2017 a raconté comment des militaires camerounais ont, sans prévenir, rassemblé 40 demandeurs d’asile puis « nous ont sauvagement battus et forcés à monter sur un bus. Ils en ont frappé certains tellement fort qu’ils saignaient beaucoup. Lorsque nous sommes arrivés à la frontière nigériane, ils ont crié :"Partez et mourez au Nigeria !" »
Les réfugiés ayant atteint le seul camp officiel du Cameroun, à Minawao, ont aussi subi des violences de la part de l’armée camerounaise. Alors que leur statut de réfugié leur confère une certaine protection, les quelque 70 000 personnes qui s’y trouvent ont un accès limité à la nourriture et à l’eau, et leurs déplacements sont restreints de manière abusive. En avril et mai, 13 000 réfugiés ont quitté Minawao pour le camp de déplacés de Banki, situé juste après la frontière nigériane. Certains d’entre eux ont été tués début septembre lors de l’attaque du camp par Boko Haram.
Même si le HCR ne bénéficie pas d’un accès garanti à la plupart des zones frontalières entre le Cameroun et le Nigeria, l’agence a déclaré début juin que, selon les chiffres transmis par ses partenaires chargés de la surveillance, quasiment 100 000 Nigérians ont été renvoyés de force dans leur pays depuis janvier 2015. À la fin du mois de juin, les autorités nigérianes ont répondu à la pression exercée par le Cameroun en envoyant des véhicules militaires de l’autre côté de la frontière, afin d’aider ce pays à refouler près de 1 000 demandeurs d’asile. Cette action a rendu le Nigeria complice du retour forcé et illégal de ses propres citoyens.
Des dizaines de milliers de personnes renvoyées du Cameroun se retrouvent dans des camps ou des villages pour personnes déplacées dans l’État de Borno. Dans ces endroits dangereux et militarisés, les conditions sont très mauvaises, et les femmes et les jeunes filles sont victimes d’exploitation sexuelle. Aux alentours, le conflit entre l’armée nigériane et Boko Haram, dont on estime à la mi-septembre qu’il a entraîné le déplacement de près de 2 millions d’autres civils nigérians, fait rage.
Les retours forcés opérés par le Cameroun violent le principe de non-refoulement, qui interdit le renvoi de réfugiés et de demandeurs d’asile vers des lieux où ils peuvent être persécutés et, en vertu des normes régionales africaines, vers des situations de violence généralisée, telles que celle prévalant actuellement dans le nord-est du Nigeria.
Depuis 2014, l’armée camerounaise a effectué des opérations contre Boko Haram dans la région de l’Extrême-Nord. Le Cameroun a le droit de réglementer la présence de ressortissants étrangers sur son territoire, notamment ceux qui constituent une menace pour sa sécurité. Les autorités doivent également mener des enquêtes approfondies sur les attaques perpétrées sur leur sol par des personnes suspectées d’appartenir à Boko Haram. Toutefois, elles ne doivent pas empêcher les réfugiés de demander l’asile ni les refouler sommairement.
Après deux ans de silence sur la question, le HCR a publiquement critiqué les autorités à la fin du mois de mars pour leurs renvois forcés et massifs de réfugiés. Le Cameroun avait alors procédé à des refoulements, malgré la signature plus tôt ce mois-là d’un accord avec le Nigeria et le HCR, dans lequel le pays s’engageait à ce que tous les retours de réfugiés soient volontaires.
À la mi-septembre, les autorités camerounaises n’avaient autorisé le HCR qu’à préenregistrer les demandes d’asile dans certaines communautés frontalières. Les personnes préenregistrées et des dizaines de milliers d’autres demandeurs d’asile se retrouvaient ainsi non protégées et exposées à un risque de renvoi forcé.
Les autorités camerounaises démentent tout renvoi forcé ou mauvais traitement à l’encontre de demandeurs d’asile nigérians. Sollicitées par Human Rights Watch pour s’exprimer sur les informations mentionnées dans le rapport, elles n’ont pas répondu. Depuis le début des années 1970, le Cameroun était considéré comme un pays hospitalier envers les réfugiés, accueillis dès lors par dizaines, puis par centaines de milliers.
« Confronté à des preuves irréfutables de mauvais traitements à l’égard des réfugiés et critiqué par les Nations Unies, le Cameroun adopte la politique de l’autruche », a déclaré Gerry Simpson. « Mais renvoyer des dizaines de milliers de Nigérians vers la violence et le dénuement ne fera que ternir sa bonne réputation en matière d’accueil. »
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