Cameroun : Les restrictions de la liberté d’expression marquent un signal inquiétant du nouveau mandat du Président Biya
14 décembre 2018 05:59 0 messages
– • Au moins six journalistes arbitrairement arrêtés dans le cadre de leur travail
– • Disparition forcée d’un défenseur des droits humains
– • Huit ONG internationales interpellent les autorités
Le 7 octobre 2018, le Président Paul Biya, au pouvoir depuis 1982, a été réélu pour un septième mandat, dans un contexte de recrudescence des violations des droits humains et une forte dégradation de la situation sécuritaire, particulièrement dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest du pays.
Alors que plusieurs observateurs ont relevé une mobilisation citoyenne inédite à l’occasion de l’élection présidentielle, les attaques et la répression à l’encontre des défenseurs des droits humains et autres acteurs de la société civile redoublent.
« Le fait de porter une voix critique au sein des médias ou des réseaux sociaux, de manière professionnelle ou non, en particulier sur la situation des droits humains n’est pas un délit. Les attaques contre les défenseurs doivent cesser, » rappelle Alexandra Poméon, Responsable de l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’homme (FIDH/OMCT) pour la FIDH.
Pourtant au Cameroun, les membres d’organisations de la société civile indépendante font régulièrement l’objet d’actes d’intimidations et de harcèlement, y compris judiciaire. Ces derniers exercent leurs activités de défense des droits humains dans un contexte tendu et à risque.
L’inquiétude grandit parmi eux, particulièrement depuis que leur confrère Franklin Mowha, Président de l’association de défense des droits humains Frontline Fighters for Citizen Interest (FFCI), est porté disparu depuis le 6 août 2018 alors qu’il était en mission à Kumba, dans la région du Sud-Ouest, pour documenter des cas de violations des droits humains en lien avec la crise sociopolitique dans les régions anglophones. Sur ce cas, les autorités gardent le silence malgré une plainte déposée le 4 septembre 2018.
« A cause des arrestations, il devient de plus en plus difficile pour les journalistes indépendants et les membres de la société civile de jouer leur rôle en toute sécurité alors que dans le contexte actuel, l’information, le dialogue et la participation de toutes les composantes de la société sont indispensables, » affirme Emilie Leroux, Chargée de mission Cameroun (CCFD-Terre Solidaire).
Ainsi, au moins six journalistes ont été arrêtés à travers le pays ces dernières semaines essentiellement suite à la publication d’informations critiques à l’endroit des autorités camerounaises quant à la gestion de la crise anglophone. Plusieurs d’entre eux sont actuellement harcelés par la justice en raison de l’exercice légitime de leur profession, à l’instar de Michel Biem Tong, Directeur du site d’informations en ligne Hurinews et défenseur des droits humains.
Arbitrairement détenu depuis le 23 octobre 2018, Michel Biem Tong a été placé, le 15 novembre 2018, sous mandat de dépôt par le Tribunal militaire de Yaoundé pour « apologie du terrorisme, déclarations mensongères, outrage au Chef de l’État ».
« Compte tenu du manque d’indépendance et d’impartialité inhérent aux tribunaux militaires, au Cameroun comme ailleurs, ils ne devraient en aucun cas être compétents pour juger des civils, » déclare Samira Daoud, Directrice régionale adjointe pour l’Afrique de l’Ouest et centrale d’Amnesty International.
Les organisations signataires demandent la libération immédiate et sans conditions de Michel Biem Tong et l’abandon de toutes les charges retenues contre lui. Elles appellent également à l’ouverture d’une enquête indépendante et impartiale sur la disparition forcée de Franklin Mowha.
Les organisations signataires appellent la France et l’Union européenne, partenaires du Cameroun, à exhorter les autorités camerounaises à mettre un terme aux entraves aux libertés publiques et à garantir, en toutes circonstances, la protection des défenseurs des droits humains et des journalistes. La communauté internationale, et en particulier les Nations unies et l’Union africaine, devrait se saisir de la question.
Alors que le pays fait face depuis 2014 à de violentes attaques terroristes perpétrées dans la partie septentrionale par le groupe armé Boko Haram, le gouvernement du Cameroun fait un usage abusif de la loi n°2014/028 du 23 décembre 2014 portant répression des actes de terrorisme contre des voix considérées comme dissidentes, notamment à l’égard des journalistes et des organisations de la société civile.
En plus de définir de manière très large le terrorisme, cette loi ne précise pas ce qui constitue l’ « apologie ».
Dans les faits, des paroles ou des écrits publics pacifiques peuvent tomber sous le coup de la loi lorsqu’ils sont critiques à l’endroit des autorités et les personnes ciblées encourent des peines allant jusqu’à la peine de mort.
« Le fait que le Cameroun soit confronté à deux crises sécuritaires majeures ne doit pas être utilisé pour restreindre, sous couvert de la lutte contre le terrorisme, les libertés publiques dans le pays et plus particulièrement les libertés d’expression, » indique Clément Boursin, Responsable des programmes Afrique (ACAT).
La loi antiterroriste devrait être révisée afin de la rendre conforme au droit international, indiquent les organisations signataires. Les seules réponses sécuritaire et militaire ne viendront pas à bout des crises multiformes que traverse la société camerounaise. Leur résolution ne peut se faire que dans le respect des droits humains ; ce qui implique nécessairement des enquêtes indépendantes et impartiales pour faire toute la lumière sur les crimes commis et établir les responsabilités de leurs auteurs.
SIGNATAIRES
– • Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT-France)
– • Amnesty International
– • CCFD-Terre Solidaire
– • Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH), dans le cadre de l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme
– • Organisation Mondiale Contre la Torture (OMCT), dans le cadre de l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme
– • Réseau Foi et Justice Afrique Europe
– • Secours catholique – Caritas France
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