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République centrafricaine : La justice est essentielle à la paix

De nouveaux meurtres ont eu lieu pendant les pourparlers ; les rebelles demandent l’amnistie

D 12 mars 2019     H 05:25     A Human Rights Watch     C 0 messages


L’accord de paix entre le gouvernement de la République centrafricaine et les groupes armés qui a été signé le 6 février 2019 ne doit pas affaiblir ou déplacer les efforts visant à rendre la justice pour les crimes les plus graves commis pendant le conflit, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.

L’accord visant à mettre fin à un conflit qui a coûté la vie à des milliers de personnes a été négocié par l’Union africaine pendant 18 mois de pourparlers avec les groupes armés, alors que ceux-ci continuaient à mener des attaques brutales contre des civils. Les violences dans les régions du nord et de l’est du pays se sont intensifiées au cours des derniers mois, avec notamment plusieurs attaques contre des camps de personnes déplacées internes. Environ 1,2 million de personnes ont été déplacées du fait des combats dans le pays.

« Avec les multiples crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis pendant ce conflit, et plus d’un million de personnes déplacées, nombreux sont ceux qui, en République centrafricaine, veulent désespérément voir la fin de ces combats », a expliqué Lewis Mudge, directeur pour la République centrafricaine à Human Rights Watch. « Mais les efforts pour traduire en justice les responsables des pires crimes doivent faire partie intégrante de la solution, et une amnistie générale ne devrait en aucun cas être envisagée. »

L’accord a été conclu à Khartoum, au Soudan, mais il a été signé par 14 groupes armés en République centrafricaine. Des membres de certains des groupes sont suspectés d’avoir commis de nombreux abus graves contre des civils, y compris meurtres, viols, esclavage sexuel, actes de torture, pillages, persécutions et destruction de bâtiments religieux. Les personnes responsables de ces actes peuvent être poursuivies en justice pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité.

L’accord est vague sur les mesures nécessaires pour garantir la justice après le conflit et ne mentionne pas de processus judiciaires spécifiques ni les efforts récents pour promouvoir la justice dans le pays, même s’il reconnaît le rôle que l’impunité a joué dans la pérennisation des violences. Parmi les récents efforts dans le pays, on note la création de la Cour pénale spéciale, un nouveau tribunal dans le système national mandaté pour juger les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité. La Cour a formellement débuté ses activités à la fin de l’année 2018, avec une participation et un soutien internationaux.

De plus, à la demande du gouvernement de transition de l’époque, en mai 2014, le procureur de la Cour pénale internationale a ouvert des enquêtes sur les crimes commis depuis août 2012. La Cour a arrêté deux leaders de milices anti-balaka qui étaient parties au conflit, Alfred Yékatom et Patrice Edouard Ngaïssona, à la fin de l’année 2018.

Le gouvernement et ses partenaires internationaux devraient continuer à soutenir les enquêtes et les poursuites de crimes graves du système judiciaire national, de la Cour pénale spéciale et de la Cour pénale internationale, a déclaré Human Rights Watch.

Un exemple de violences récentes est le meurtre d’au moins 19 hommes et d’un garçon de 14 ans le 20 janvier à Zaorossoungou, dans la province de Mambéré-Kadéï, dans la région sud-ouest du pays. Plus tôt, le 12 janvier, des assaillants inconnus ont tué au moins trois bergers peuls, dont deux femmes, à l’extérieur de Zaorossoungou.

« Je me suis cachée dans la brousse lorsque l’attaque a commencé », a raconté à Human Rights Watch une femme de 45 ans qui a survécu à l’attaque du 20 janvier. « Quand ça a été terminé, je suis sortie et il y avait des cadavres partout. J’ai vu le corps de mon fils, Jean-Claude [âgé de 20 ans]. Il avait été tué d’une balle dans le dos. »

Des victimes, des activistes et des professionnels du secteur judiciaire centrafricains continuent à réaffirmer la nécessité urgente et non équivoque de justice pour les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité dans le pays depuis que la crise a commencé. Ce sentiment a été exprimé le 10 décembre 2018, quand les survivantes de violences sexuelles ont pris la parole au parlement à l’occasion de la journée des Droits de l’homme. « La lenteur de la justice est un crime supplémentaire pour les victimes de violences sexuelles liées au conflit », a déclaré Bernadette Sayo, une activiste, lors de ce rassemblement.

Des consultations nationales entre le 4 et le 11 mai 2015, connues sous le nom de Forum de Bangui, ont donné la priorité à la justice sur l’amnistie et ont soutenu qu’« aucune amnistie » ne serait tolérée pour les responsables de crimes internationaux et ceux qui ont agi comme complices. Le forum a réuni plus de 800 représentants d’organisations communautaires et d’autres organisations non gouvernementales, de partis politiques et de groupes armés de tout le pays. Il a reconnu que l’absence de justice en République centrafricaine depuis 2003 était l’une des principales causes des crises successives.

Cependant, un point d’achoppement clé dans les pourparlers de Khartoum était la question de l’amnistie, demandée par presque tous les groupes armés. Le 29 janvier, pendant les pourparlers, Abakar Saboun, le porte-parole de l’un des groupes armés, le Front Populaire pour la Renaissance de la Centrafrique (FPRC), a indiqué aux journalistes : « Si nous voulons la paix, nous devons accorder l’amnistie à certaines personnes... Je demande aux Centrafricains... d’accepter une excuse de la part de ceux qui ont commis les crimes, une excuse sincère. Nous devons obtenir l’amnistie pour avoir la paix. »

Le FPRC, qui contrôle de vastes territoires dans le nord-est du pays, a commis de nombreux abus graves depuis 2014.

Le Forum de Bangui reste le seul effort officiel pour affirmer la volonté des Centrafricains et sa position claire concernant l’impunité devrait être respectée, a déclaré Human Rights Watch. Toute tentative d’amnistie, comme de nombreux groupes armés le demandent maintenant, ferait fi des engagements internationaux que la République centrafricaine a pris pour garantir des enquêtes et des poursuites concernant les crimes graves.

« La Cour pénale spéciale est un effort sans précédent pour contribuer à rendre la justice et elle a plus que jamais besoin de soutien », a précisé Lewis Mudge. « La Cour reste l’une des meilleures chances de garantir la justice et de mettre un terme aux cycles de violence qui minent la République centrafricaine depuis des décennies. »