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République centrafricaine : Rétrécissement de l’espace civique

Les journalistes, la société civile et les partis d’opposition subissent du harcèlement et des restrictions

D 24 avril 2023     H 05:30     A Human Rights Watch     C 0 messages


Le gouvernement de la République centrafricaine réprime la société civile, les médias et les partis politiques d’opposition à l’approche d’élections locales et nationales prévues en 2023.
Le spectre d’un État à parti unique de facto devrait susciter de graves préoccupations au sujet des risques en termes de violations des droits humains et de réduction de l’espace démocratique et de la liberté d’expression.
Les diplomates et les organisations régionales devraient plaider en faveur de l’établissement d’institutions fortes pour protéger les droits humains, mais c’est au président du pays qu’incombe la plus grande responsabilité.

Le gouvernement de la République centrafricaine réprime la société civile, les médias et les partis politiques d’opposition à l’approche d’élections locales et nationales prévues pour plus tard en 2023, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.

Les institutions gouvernementales, y compris la police, ont menacé des activistes de la société civile, les accusant de collaborer avec les groupes armés, et ont empêché des partis d’opposition d’organiser des manifestations politiques. Le gouvernement devrait mettre fin à ces violations et renforcer les entités gouvernementales – notamment en garantissant l’indépendance de la justice – pour s’assurer que les responsables qui attaquent les détracteurs du gouvernement soient amenés à rendre des comptes.

« Alors que des élections se profilent à l’horizon, le président de la République centrafricaine, Faustin-Archange Touadéra, devrait répondre aux personnes qui expriment des critiques et chercher un moyen de travailler avec elles, plutôt que les attaquer », a déclaré Lewis Mudge, directeur pour l’Afrique centrale à Human Rights Watch. « Au lieu de cela, les responsables du gouvernement harcèlent la société civile, les journalistes et les membres des partis d’opposition, anéantissant les espoirs qu’un État respectueux des droits apparaîtrait après la ratification en 2016 de la nouvelle constitution. »

Les pressions exercées et les menaces proférées à l’encontre d’opposants politiques et de membres de la société civile surviennent alors que les élections législatives, initialement prévues pour septembre 2022, doivent se tenir en juillet 2023. Le gouvernement et ses alliés du parti au pouvoir, le Mouvement Cœurs Unis (MCU), font aussi pression pour la tenue d’un référendum afin d’amender la constitution, et de permettre au président Touadéra de briguer un troisième mandat en 2025.

Alors que le débat sur le référendum constitutionnel s’intensifiait, le gouvernement a empêché les partis d’opposition de manifester publiquement leur hostilité au changement proposé, tout en autorisant les partisans du camp pro-référendum à organiser des rassemblements, parfois sous protection policière. Il s’agit-là d’une violation du droit de manifester pacifiquement, qui est protégé à la fois par la Constitution centrafricaine et par le droit international, a déclaré Human Rights Watch.

En janvier et février 2023, Human Rights Watch a mené des entretiens avec 30 journalistes, activistes de la société civile, opposants politiques et responsables diplomatiques et gouvernementaux à Bangui, la capitale.

Les journalistes et les activistes ont déclaré qu’ils étaient réticents à critiquer le gouvernement afin d’éviter d’être désignés comme des opposants politiques et menacés. Deux associations pro-MCU qui mobilisent des jeunes, les Requins et Galaxie Nationale, font campagne en faveur du référendum et harcèlent les opposants, aussi bien en ligne que dans les rues.

En mars 2022, le gouvernement s’est servi d’un dialogue, instauré afin de créer une feuille de route en vue d’une réconciliation avec l’opposition après les élections de 2020, pour promouvoir un changement constitutionnel qui rendrait possible un troisième mandat présidentiel. Les opposants au changement constitutionnel ont condamné cette manœuvre, et certains ont même boycotté le dialogue.

Malgré ces protestations et des déclarations d’inquiétude de la part de certains membres de la communauté internationale, le président Touadéra et son parti ont continué de plaider en faveur d’un amendement de la constitution, proposant qu’un comité technique recommande des changements. La Cour constitutionnelle a statué qu’un tel comité serait inconstitutionnel. En réaction, Touadéra a révoqué la présidente de cette Cour, déclenchant une crise juridique qui continue de menacer la légitimité de la Cour.

L’ancienne présidente de la Cour, Danièle Darlan, a déclaré à Human Rights Watch que le 7 mars 2022, des responsables de l’ambassade de Russie lui avaient rendu visite et demandé conseil sur la procédure à suivre afin de modifier la constitution et permettre à Touadéra de rester au pouvoir. « Il n’était pas normal pour un diplomate d’approcher la présidence de la Cour pour examiner comment maintenir le président au pouvoir », a déclaré Danièle Darlan.

Des forces du groupe Wagner, une société privée russe de sécurité militaire apparemment liée au gouvernement russe, sont actives dans le pays depuis 2018, opérant aux termes d’obscurs accords de formation militaire passés avec le gouvernement centrafricain. Human Rights Watch a documenté que des forces russes, vraisemblablement liées au groupe Wagner, ont passé à tabac, torturé et sommairement exécuté des civils depuis 2019. Les groupes de jeunes pro-MCU, en particulier Galaxie Nationale, ont également organisé des manifestations en soutien d’une intervention russe en République centrafricaine et ailleurs dans le monde. Des informations issues de la presse indiquent que Wagner a fourni un appui financier à Galaxie Nationale.

Des responsables gouvernementaux centrafricains ont menacé et harcelé des personnes qui ne sont pas favorables au référendum. Trois opposants politiques ont déclaré à Human Rights Watch que des procureurs, des fonctionnaires de justice ou des policiers les avaient récemment convoqués pour répondre à de fausses allégations selon lesquelles ils étaient liés à des groupes armés.

Au moins une fois, en octobre, des Russes, membres présumés du groupe Wagner, étaient présents lorsque la police a convoqué un dirigeant de l’opposition. « C’est conçu comme une menace et comme de l’intimidation », a déclaré cet opposant à Human Rights Watch. Ces opposants politiques ont été menacés d’arrestation et sont de plus en plus souvent désignés par Touadéra comme des ennemis du pays, des criminels et des terroristes.

Ces déclarations du président sont répétées en ligne par les associations de jeunesse pro-gouvernementales dont les membres menacent ouvertement des personnes perçues comme des opposants, ce qui semble faire partie d’une stratégie plus large visant à semer la peur, restreindre la participation politique et ainsi étouffer toute dissidence, a déclaré Human Rights Watch.

Le 22 novembre 2022, l’expert indépendant des Nations Unies sur la situation des droits humains en République centrafricaine, Yao Agbetse, a averti que la situation politique risquait d’éroder le processus de paix et de réconciliation. « Les spéculations et les arguments interprétant la loi, y compris sur les réseaux sociaux … sont susceptibles de créer un climat de méfiance à l’égard des politiciens et de semer la confusion ».

Des défenseurs des droits humains ont déclaré que les organisations pro-gouvernementales créaient un climat de peur. « Les victimes ne veulent plus nous parler maintenant », a affirmé un activiste. « Les médecins ne veulent plus partager leurs informations avec nous, ils ne veulent même pas nous donner les certificats médicaux des victimes d’attaques et de violations des droits humains, parce qu’ils ont peur. C’est difficile pour nous de faire notre travail. »

Les tensions politiques au sujet du référendum surviennent dans un contexte de regain d’activité des groupes armés dans le nord et dans le sud-est.

Des diplomates à Bangui ont déclaré qu’ils encourageaient les responsables centrafricains à respecter les droits des opposants politiques, des journalistes et des activistes. Les institutions régionales, comme la Communauté économique des États d’Afrique centrale (CEEAC) et la Conférence internationale sur la région des Grands lacs (CIRGL), pourraient encourager le pays à honorer ses engagements à bâtir des mécanismes institutionnels plus solides pour protéger les droits humains. Toutefois, la responsabilité d’enrayer réellement les discours de haine et le recours à la rhétorique menaçante incombe à Touadéra personnellement, a déclaré Human Rights Watch.

Le Bloc Républicain pour la Défense de la Constitution (BRDC), une coalition de partis d’opposition, a annoncé qu’il boycotterait les prochaines élections locales.

« La perspective d’un État-parti unique de facto devrait susciter de graves préoccupations au sujet du potentiel que cela représente en termes de violations des droits humains et de réduction de l’espace démocratique et de la libre expression », a affirmé Lewis Mudge. « Les partenaires internationaux, notamment les organismes régionaux, devraient dénoncer publiquement les abus du parti au pouvoir en République centrafricaine et l’exhorter à travailler avec les personnes qui expriment des avis critiques, plutôt que les réduire au silence. »

Pour prendre connaissance de détails complémentaires, veuillez lire ci-dessous.

La République centrafricaine est en crise depuis fin 2012, lorsque les rebelles majoritairement musulmans de la Seleka ont lancé une campagne militaire contre le gouvernement du président d’alors, François Bozizé.

En août 2018, les autorités centrafricaines et russes ont signé un accord aux termes duquel des « spécialistes » venus de Russie, « essentiellement d’anciens militaires », assureraient la formation des forces nationales centrafricaines. Certains dirigeants de la société civile et des opposants politiques sont convaincus que la présence russe a joué un rôle important dans le mouvement vers la suppression des limites aux mandats présidentiels et vers le retour dans le pays d’un régime autoritaire.

Le Rwanda a déployé des troupes en République centrafricaine, d’une part en tant que membres de la mission de maintien de la paix des Nations Unies – connue sous son acronyme français MINUSCA – et d’autre part en vertu d’un accord bilatéral avec le gouvernement centrafricain. Des médias ont affirmé fin 2022 que les troupes présentes aux termes de cet accord bilatéral sont officiellement censées être basées à Bangui, mais elles ont été vues également en dehors de la capitale.

Attaques contre des opposants et des médias

Le recours aux discours de haine contre les citoyens qui s’opposent au parti au pouvoir, ou même contre les journalistes qui informent sur les positions de l’opposition, accroît les risques de violences à motivation politique.

Un journaliste de renom a déclaré : « On continue de nous imposer des lignes rouges que nous ne pouvons pas franchir. Nos rédacteurs-en-chef craignent pour notre sécurité, par conséquent ils ne veulent pas que nous critiquions les Russes ou les Rwandais. Ils ne veulent pas que nous parlions de l’augmentation de l’insécurité. Ils ne veulent pas que nous parlions du référendum ».

Un autre journaliste a déclaré : « Il y a des sujets qu’il devient difficile d’aborder : les rebelles tchadiens qui sont soutenus par les Russes, Ndassima [une mine d’or dans la province centrale de Ouaka contrôlée par les forces de Wagner] sont des sujets presque impossibles à discuter…. Les rédacteurs-en-chef à la radio ont décidé qu’il y avait des choses à propos desquelles nous devions faire attention. Si les Russes tuent leurs compatriotes si facilement, ils n’hésiteront pas à tuer des Centrafricains ». Il faisait allusion à trois journalistes russes qui ont été tués dans une embuscade au nord de Bangui en 2018. Ces journalistes enquêtaient sur le rôle croissant du groupe Wagner dans le pays et des informations de sources indépendantes indiquent que des Russes étaient impliqués dans leur assassinat.

Les membres de la société civile se sentent également menacés. Le jeune fils d’un activiste s’est vu remettre une note devant son école maternelle. « C’est pour ton [père] », lui a dit un homme à moto. La note disait « Tais-toi ». Plusieurs jours plus tard, de jeunes hommes se sont approchés du domicile de l’activiste. « Nous voulons juste voir le traître », ont-ils dit.

« Ils ont dit cela parce que j’avais soulevé des questions au sujet des intentions du gouvernement avec ce référendum et demandé pourquoi Wagner et les Rwandais sont ici », a déclaré cet activiste.

Les Requins, l’un des groupes de jeunesse qui militent en faveur du référendum, a été créé en 2019 par Héritier Doneng, chef de cabinet au ministère de la Promotion de la jeunesse et des sports. Galaxie Nationale, l’autre groupe, est une association, ou plateforme, farouchement pro-gouvernementale, dirigée par Didacien Kossimatchi.

En janvier, Doneng a affirmé que Gervais Lakosso, une figure en vue de la société civile, n’était pas centrafricain mais congolais, qu’il travaillait pour l’opposition politique et qu’il devrait être expulsé du pays. « C’est une menace indirecte », a déclaré Lakosso à Human Rights Watch. « Le véritable objectif est de réduire au silence tous ceux qui critique le référendum, donc ils veulent me discréditer et dire que je ne suis pas un Centrafricain ».

Didacien Kossimatchi et son organisation, Galaxie Nationale, sont parmi les plus hostiles à l’encontre des opposants politiques. En juillet 2022, cette organisation a publié un communiqué annonçant l’opération Barberousse et recommandant que ses partisans utilisent des machettes, des gourdins et des couteaux pour capturer vivants des individus ciblés. Les cibles de l’opération Barberousse comprenaient des dirigeants de groupes armés et des politiciens d’opposition. Parmi ces cibles figurent Emile Bizon, le président de l’Association des magistrats centrafricains ; Olivier Manguéréka, l’avocat de Martin Ziguélé, une personnalité de l’opposition politique, et Ben Wilson Ngassan, un journaliste.

En septembre 2022, Galaxie Nationale a publié une déclaration dans laquelle elle appelait à l’arrestation de plusieurs opposants politiques, en fournissant l’adresse de leur domicile.

Galaxie Nationale a été suspendue officiellement par un décret du gouvernement, mais elle continue de publier régulièrement des communiqués, dont certains contiennent des menaces à l’encontre d’organisations ou d’individus, sur sa page Facebook.

Touadéra a souvent déclaré la nécessité de réduire les discours de haine et a créé un mécanisme à cette fin, mais cela apparaît comme étant une demi-mesure. Un diplomate étranger a déclaré à Human Rights Watch : « Touadéra appelle à punir quiconque a participé à la diffusion de discours de haine, mais il reste silencieux au sujet de Galaxie. C’est frappant et il est clair que ce groupe jouit d’une impunité totale et qu’il ne subira aucune sanction. Les communiqués de Galaxie se font l’écho de ses messages ».

Le 1er décembre 2022, jour de la fête nationale du pays, Touadéra a prononcé un discours dans lequel il a accusé les dirigeants de la coalition d’opposition BRDC de violer les lois du pays et de provoquer la haine de celui-ci. Il a affirmé que le Bloc était proche de groupes rebelles et l’a qualifié d’organisation criminelle. Lors de ce discours, le président a également appelé ses « compatriotes à… être vigilants et à continuer de dénoncer… tous les plans des ennemis de la République ». Il a ensuite condamné « les discours incitant à la haine et à la violence qui se sont rapidement répandus sur les réseaux sociaux », sans reconnaître que ses partisans ont été liés à des actes d’incitation à la haine.

Un opposant politique de renom a déclaré à Human Rights Watch : « Touadéra a ses propres milices, les Requins et Galaxie. Ils disent ouvertement que nous devrions être éliminés. Ils disent que nous avons des liens avec la CPC [Coalition des patriotes pour le changement, un groupe armé]. Nous n’avons rien à voir avec la CPC. Nous sommes dans un combat politique, mais ils nous accusent d’être des terroristes. »

Un activiste de la société civile a déclaré : « Être étiqueté CPC, c’est être menacé, c’est une menace de mort. Héritier [le chef des Requins] a dit que j’étais de la CPC. Maintenant, je ne sors plus le soir. »

La Constitution et le dialogue républicain

Les principes directeurs de la Constitution centrafricaine, adoptée en 2016, ont été initialement présentés comme des recommandations du Forum de Bangui de 2015, une série de consultations nationales destinées à élaborer une transition politique après les violences généralisées de 2013 et 2014. Parmi les recommandations clés, figuraient la nécessité de réduire l’impunité, le tribalisme et la corruption, d’éviter les coups d’État et de mettre fin à la tendance des chefs de l’État à se maintenir au pouvoir indéfiniment. L’article 35 de la Constitution limite strictement les présidents à deux mandats consécutifs de cinq ans. Touadéra a été élu pour la première fois en 2016 et a été réélu en 2020 dans le contexte d’une offensive menée par des groupes d’opposition armés qui ont brièvement menacé Bangui. La prochaine élection présidentielle est prévue pour 2025.

Un dialogue républicain s’est tenu en mars 2022 dans le cadre d’une déclaration de cessez-le-feu faite par Touadéra. Il a affirmé que ce dialogue était un élément essentiel d’une feuille de route vers la paix, connue sous le nom de Feuille de route de Luanda, négociée en 2021 par les chefs d’État et de gouvernement de la Conférence internationale sur la région des Grands lacs (CIRGL), sous l’égide de l’Angola et du Rwanda.

Lors de ce dialogue, les membres du parti de Touadéra ont proposé d’amender la constitution pour permettre au président de briguer un troisième mandat en 2025. Cette proposition a suscité des protestations verbales de la part de l’opposition et de la société civile. Un participant au dialogue républicain a déclaré à Human Rights Watch : « Nous y sommes allés [au dialogue] de bonne foi car nous souhaitions parler de réconciliation et de paix, et de la manière dont nous pourrions aboutir à un compromis politique, mais [le MCU] voulait seulement que nous parlions d’un autre sujet : le changement de la constitution ».

Les Requins et Galaxie Nationale

En 2019, les Requins sont apparus comme étant un groupe aligné sur le parti au pouvoir. Ce groupe a attaqué et menacé l’opposition politique en ligne et a répandu de fausses informations à son sujet.

De là à 2020, selon l’ONU, les Requins ont élargi leur rôle, devenant une force impliquée dans des opérations de sécurité extrajudiciaires. Ils sont apparus comme un groupe impliqué dans des enlèvements et qui collabore avec certains éléments des forces de sécurité, en particulier la garde présidentielle, et opère en toute impunité. Doneng, qui n’a pas répondu aux nombreuses tentatives de Human Rights Watch de le contacter, est également reconnu comme le porte-parole du Front Républicain, une organisation pro-gouvernementale. Des membres de la société civile ont affirmé que le Front Républicain et les Requins opéraient ensemble et étaient souvent considérés comme n’étant qu’une seule et même organisation.

Comme les Requins, Galaxie Nationale s’attaque fréquemment à l’opposition politique. Galaxie Nationale a également menacé de violences les forces de la MINUSCA, la France et quiconque est considéré comme étant opposé au parti au pouvoir.

En septembre 2022, le ministère de l’Administration du territoire, de la décentralisation et du développement local a suspendu les activités de Galaxie Nationale, invoquant ses incitations à la haine, à la division et aux troubles à l’ordre public. Mais la plateforme a continué de produire des communiqués de presse, signés par Kossimatchi, qui ont été largement diffusés sur Facebook. Le Groupe d’experts de l’ONU a affirmé que le 23 novembre, le président Touadéra avait décerné un titre cérémoniel à Kossimatchi à l’approche de la fête nationale du pays.

Des informations parues dans des médias ont également suggéré que Kossimatchi était soutenu en partie par le groupe Wagner.

Human Rights Watch s’est entretenu avec trois hommes, âgés de 26 et 27 ans, qui ont affirmé que des représentants de Doneng les avaient payés pour participer à Bangui à des manifestations de soutien au référendum constitutionnel. Ces trois hommes ont tous, séparément, insisté sur le danger que pose le fait de s’exprimer ouvertement sur les Requins et Galaxie Nationale. L’un d’eux a déclaré :

Si les Requins et la Galaxie savaient que je vous parle, ils pourraient me tuer. Vous apprenez des secrets bien cachés. Si quelqu’un me voit parler à un étranger, même brièvement, les Requins me retrouveront plus tard et me demanderont de quoi nous parlions. S’ils apprennent que nous parlions de leurs opérations, ils diront que je préparais un coup d’État… Actuellement, les Requins font des rondes de nuit dans le cadre de leur « Opération Hibou ». C’est comme cela qu’ils viennent dans les quartiers la nuit et qu’ils emmènent des gens. Cela continue encore aujourd’hui.

Human Rights Watch s’est entretenu avec quatre personnes qui ont participé le 20 janvier à une réunion avec Marcel Djimassé, le ministre des Services publics et de la réforme administrative. Cette réunion s’est tenue en réponse à une lettre rédigée conjointement par des membres de l’opposition politique et des organisations de la société civile. Cette lettre avait attiré l’attention sur la hausse des prix du carburant à travers le pays et évoqué la possibilité d’une action populaire. En réponse, selon des participants à la réunion, Djimassé aurait dit : « Vous nous menacez mais nous avons nos propres gens. Nous avons nos Requins et notre Galaxie et nous pouvons les faire sortir dans la rue ». Human Rights Watch a envoyé une liste détaillée de questions à Djimassé, sans toutefois obtenir de réponse a ce jour.

Plusieurs sources, dont des journalistes, des membres de la société civile, des opposants politiques, d’anciens membres de groupes rebelles armés, des diplomates étrangers et des membres du personnel de l’ONU, ont exprimé à Human Rights Watch leur préoccupation devant la possibilité que les membres des Requins et de Galaxie Nationale puissent être transformés en une milice quasi-officielle.

Pression pour la tenue d’un référendum constitutionnel

En mai 2022, malgré les protestations de l’opposition politique et de la société civile, le parti au pouvoir a annoncé la création d’un comité parlementaire chargé de proposer des changements constitutionnels qui supprimeraient les limites au nombre de mandats présidentiels possibles. En août, Touadéra a annoncé la tenue d’un référendum constitutionnel pour amender la constitution. Plus tard le même mois, il a créé officiellement un comité chargé de rédiger une nouvelle constitution. En réponse, l’expert indépendant de l’ONU sur la situation des droits humains en République centrafricaine et le Rapporteur spécial de l’ONU sur les droits aux libertés de réunion pacifique et d’association ont déclaré que le gouvernement devrait « s’assurer que la rédaction d’une nouvelle constitution ne compromette pas les efforts en vue de parvenir à la paix et à la réconciliation dans le pays ».

En septembre, la Cour constitutionnelle – la plus haute instance juridique du pays en matière de différend électoral et d’autres questions constitutionnelles – a déclaré invalide la manœuvre du président. « Les décrets présidentiels créant le comité chargé de rédiger la nouvelle constitution et désignant les membres de ce comité sont inconstitutionnel et sont annulés », a déclaré la présidente de la Cour, Danielle Darlan, dans son jugement.

Des médias ont cité Héritier Doneng, le chef des Requins, déclarant que cette décision constituait une « trahison allant à l’encontre de la volonté du peuple ».

Le 29 septembre, une manifestation bien orchestrée s’est déroulée devant le siège de la Cour constitutionnelle pour rejeter la décision et exiger la révocation de Danielle Darlan. Interrogés, des manifestants ont affirmé que Doneng et Kossimatchi, qui étaient signalés comme étant présents, avaient payé certains des manifestants.

Un participant à la manifestation a déclaré :

On nous a promis 5 000 francs (environ 8 dollars). Ils avaient un bus et nous sommes allés au point de rendez-vous le lendemain à 8h00. … Ils avaient préparé des banderoles et des pancartes. Certaines étaient faites de manière très professionnelle, d’autres juste avec du carton et écrites au charbon de bois. Sur les banderoles, étaient écrits des slogans comme « Nous voulons que madame Darlan soit révoquée ». Sur les pancartes en carton, c’étaient des choses plus méchantes, avec des insultes. Sur celle qu’on nous a donnée, il y avait une tête de mort.

Quand nous sommes arrivés, les chefs nous ont dit « On vous dira ce qu’il faut faire ». Héritier [Doneng] et Kossimatchi étaient tous deux présents quand nous sommes arrivés… Tout cela devant le siège de la Cour, c’était juste pour montrer à la population qu’il y a des gens qui sont pour le référendum. Mais c’est surtout de jeunes hommes. Des femmes sont venues plus tard. Tout le monde n’avait pas été payé et il y a de vrais membres du MCU qui soutiennent le parti, mais la plupart des jeunes hommes avaient été payés…

Quand nous sommes arrivés, c’était comme à l’école ; ils ont choisi le plus petit pour être devant avec la banderole et ont mis les autres derrière. C’était pour les photos. Puis ils nous ont dit de crier : « Madame Darlan doit partir ! » La police était là pour assurer que nous n’ayons aucun problème. Elle était tout autour de nous. La manifestation a duré jusque vers midi. Ils nous ont donné de l’eau et nous ont ramenés chez nous en bus. À la fin, ils nous ont donné l’argent très discrètement à un centre de liaison. Nous n’avons reçu que 1 500 francs (environ 2,40 dollars). Certains ont reçu encore moins et ont déchiré les billets tellement ils étaient en colère.

Le 10 octobre, le ministère des Services publics a émis un décret déclarant que Darlan, entre autres, était mise à la retraite d’office comme professeure de droit à l’Université de Bangui. Le 24 octobre, elle a été révoquée de la Cour constitutionnelle par un décret présidentiel, qui affirmait que son départ à la retraite en tant que professeure était un obstacle à la poursuite de son mandat à la tête de la Cour.

Le 3 janvier 2023, la Cour constitutionnelle, maintenant dotée d’un nouveau président – Jean-Pierre Waboué – a déclaré inconstitutionnelle la décision de révoquer Danielle Darlan de la Cour. Cependant, la Cour a estimé qu’il n’y avait plus rien à faire car Mme Darlan avait déjà annoncé, lors d’une émission de radio, qu’elle tournait la page et n’avait pas l’intention de revenir y siéger.

Le président et ses partisans ont continué d’affirmer qu’un référendum sur la question permettra de connaître la volonté du peuple. Le 22 février, Touadéra a réitéré, dans un entretien télévisé, qu’un référendum répondait à « un besoin du peuple » et à « un désir du peuple ». Un manifestant payé a contesté cette affirmation, déclarant à Human Rights Watch : « Le président du pays affirme que ce référendum est la volonté du peuple mais c’est faux ou, en tout cas, moi j’étais un faux manifestant ».

Le 20 janvier, la Cour constitutionnelle a déclaré qu’un plan visant à organiser le référendum était légal, ouvrant la voie à la réforme constitutionnelle. Un référendum, quel qu’il soit, devra faire l’objet d’un débat au parlement, mais il sera vraisemblablement approuvé car le MCU est le parti majoritaire. Un membre important de l’opposition a déclaré à Human Rights Watch : « Maintenant nous attendons le référendum. Nous en débattrons au parlement, mais nous n’avons pas le nombre de voix (pour y faire échec) ».

Obstacles au droit de manifester

Alors que les tensions politiques perdurent, les dirigeants de l’opposition et les membres de la société civile se heurtent à des difficultés croissantes pour organiser des manifestations pacifiques dans les rues. Bien que le MCU et le président Touadéra aient utilisé des rassemblements de rue pour soutenir le référendum, les responsables gouvernementaux n’ont pas toujours octroyé le même droit aux groupes qui y sont opposés. Les manifestations publiques, qui sont protégées par la droit international, sont un important moyen d’exprimer son mécontentement à travers le monde, et elles permettent aux populations d’exprimer librement leur soutien ou leur opposition aux politiques des gouvernements.

Les membres de l’opposition ont cité au moins trois cas spécifiques, au cours des six derniers mois, dans lesquels ils ont demandé l’autorisation de manifester contre la tenue du référendum, mais ne l’ont pas obtenue, le gouvernement invoquant des raisons de sécurité. En même temps, les rassemblements en faveur du référendum – dirigés par les Requins et par Galaxie Nationale – sont autorisés et se voient parfois accorder une protection policière.

Un dirigeant de l’opposition a déclaré : « Il est illégal pour nous de défiler dans les rues, alors que c’est une chose que nous faisions dans le passé. Nous appelions le peuple à nous rejoindre, à montrer sa force. Mais maintenant, le gouvernement dit que nous ne pouvons pas car cela perturbe l’ordre public… Mais le camp pro-référendum, lui, fait des manifestations. Leur stratégie est de dire que “c’est le people qui insiste.” »