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20 mars au Congo Brazzaville : un vote sans espoir ?

D 18 mars 2016     H 05:52     A Collectif de Solidarité avec les Luttes Sociales et Politique en Afrique     C 0 messages


Les élections se succèdent dans une partie des pays africains sans progrès dans leurs processus de démocratisation. A moins d’improbables surprises, au moins 8 dictateurs organiseront en 2016 des scrutins sans valeur démocratique[1]. A ces occasions, de nouveaux faits alourdissent les bilans criminels de chefs d’Etat qui cherchent à échapper à la justice. Le processus électoral de la présidentielle du 20 mars au Congo-Brazzaville se présente comme l’un des plus violent et des plus éloignés d’une qualité normale des processus électoraux.

Denis Sassou Nguesso a pu se maintenir au pouvoir 32 ans en refusant la vérité des urnes. Après sa guerre de reconquête de pouvoir, mettant fin à la période démocratique, les électeurs congolais n’avaient plus de raisons de se déplacer pour voter. Une opposition désorganisée par le pouvoir était poussée au boycott, appliqué à la présidentielle de 2009 et aux législatives de 2012. En 2015, l’opposition a été renforcée par des personnalités récemment sorties du clan présidentiel. La population a repris espoir en raison des limitations du nombre de mandats présidentiels dans les constitutions en République démocratique du Congo, au Rwanda, au Burundi, comme en République du Congo. En outre, après la révolution au Burkina Faso, une nouvelle génération de congolais ne supporte plus le statu quo.

En octobre 2015, le président a fait sauter le verrou constitutionnel de la limitation du nombre de mandats en bafouant la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance de l’Union africaine[2]. Le référendum a provoqué les premières manifestations depuis la guerre en 1997. Le pouvoir a montré qu’il n’acceptait pas le droit de manifester. Un bilan partiel minimal des victimes des forces de l’ordre pendant la période autour du référendum, en particulier les 20 et 21 octobre, est de 46 personnes décédées dont 43 identifiées, 69 personnes blessées identifiées, entre 4 et 20 personnes disparues[3]. Denis Sassou Nguesso a réprimé les partis politiques et la société civile, a fait couper internet et SMS et exercé une surveillance des communications pour empêcher que ce bilan ne soit dressé. Les arrestations se sont multipliées[4].

En passant en force le 25 octobre 2015 par un référendum anticonstitutionnel massivement boycotté, le président congolais a clairement montré qu’il imposerait pour la présidentielle un processus électoral bâclé, déterminé par la répression. Sa volonté de gagner au premier tour reflète la préparation de la fraude.

A la demande des autorités congolaises, une mission d’évaluation technique avait été envoyée en décembre 2013 par l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), pour proposer des améliorations dans la perspective des élections locales de 2014 et de la présidentielle 2016. Cette mission a constaté que la gestion du processus électoral est essentiellement faite par le Ministère de l’intérieur. L’OIF a jugé nécessaire « la refondation de l’état civil » comme base de recensement électoral, et une « vérification paritaire du dénombrement » pour les circonscriptions avec anomalie statistique, et a préconisé, de « maintenir une concertation permanente », de « veiller à l’indépendance de l’audiovisuel public », d’« introduire la biométrie » et de « réformer et transformer la commission nationale d’organisation des élections en une structure indépendante, dotée de pouvoirs réels »[5]. Suite au référendum d’octobre 2015, il n’était plus question de ces recommandations. En République du Congo, depuis le bain de sang des 20 et 21 octobre 2015, les concessions que pourrait accorder le président sur le processus électoral ne pouvaient être que très secondaires.

Sans report pour améliorer le processus électoral, les conditions ne sont pas réunies pour un scrutin aux normes internationales. La Commission nationale électorale indépendante (CNEI) est aux ordres du pouvoir, composée de 20 membres du Parti Congolais du Travail (PCT) et de 3 personnes de la ‘société civile’. L’opposition n’a eu aucune possibilité d’influer sur l’organisation. Les candidats d’opposition Okombi Salissa, Kolélas, Mokoko, Munari et Tsaty Mabiala ont créé une Commission technique électorale (CTE) pour « compiler l’ensemble des procès-verbaux et annoncer ses propres résultats »[6].

Le fichier électoral ne permet pas une élection crédible. Selon le recensement à la base du fichier électoral de 2014, les départements du Nord sont devenus plus peuplés que ceux du Sud. Selon la Fédération des Congolais de la Diaspora (en France), « les départements septentrionaux ont vu en 7 ans leurs populations augmenter de plus de 143 299 et celles des départements méridionaux baisser de plus de 102 279 »[7] et « le nombre d’électeurs a baissé dans tous les départements de la partie Sud du Congo et a augmenté dans tous les départements du Nord, fiefs électoraux de Denis Sassou. Dans la même période, le département de la Likouala, l’un des plus enclavés et le moins peuplé est devenu celui qui a le plus grand nombre d’électeurs ». Une révision des listes électorales a eu lieu entre le 25 janvier et le 15 février 2016 n’a pas permis un enrôlement correct et le fichier contient « des électeurs fictifs, décédés, expatriés ou n’ayant pas l’âge de voter »[8].

Les conditions de la campagne sont chaotiques. Le manque d’équité est patent. Le président sortant peut faire campagne avec une débauche de moyen alors qu’une partie des meetings des opposants sont annulés. Les media d’Etat, télévision et radio ne parlent quasiment pas de l’opposition. La population s’attend à une coupure générale d’internet et des SMS comme autour du référendum. Il est peu probable que Denis Sassou Nguesso permette qu’un second tour soit possible alors qu’il se retrouverait face à une opposition qui pourrait s’unir. Il a décrété un calendrier électoral accéléré, avançant la présidentielle de juillet au 20 mars, la date d’un éventuel second tour étant fixé par la constitution au 10 avril[9]. Les législatives de 2017 pourraient aussi être avancées.

Fin 2015, l’Union européenne (Ue), a tenté[10] « un dialogue politique structuré, dans le cadre de l’Accord de Cotonou, … qui aborde les domaines politiques, de la justice et du respect des droits de l’homme ... les questions électorales (calendrier, cartes, listes, et prochaines échéances électorales) et la concertation nationale. » Le 19 février 2016, l’Ue a abandonné l’idée d’une mission d’observation électorale car[11] : « les réformes introduites par la loi électorale du 23 janvier … ne prennent pas suffisamment en compte les recommandations de la Mission d’observation électorale de l’Ue de 2002… ne semblent pas de nature à rassurer sur le caractère démocratique, inclusif et transparent de l’élection présidentielle anticipée au 20 mars 2016. … l’anticipation du scrutin de 3 mois ne permettra pas une amélioration substantielle du fichier électoral, dont la qualité insuffisante risque d’affecter la crédibilité des résultats du vote. .. »

Denis Sassou Nguesso n’a tenu compte ni de l’avis des Nations-Unies, ni de celui de l’Ue. François Hollande avait osé, pendant le coup d’Etat constitutionnel d’octobre 2015, un « Denis Sassou N’Guesso peut consulter son peuple »[12], et le Parti Socialiste demande maintenant le report du scrutin[13]. L’OIF envoie comme observateur sur quelques jours, l’ancien président de transition burkinabé, Michel Kafando, qui doit collaborer avec l’envoyé spécial de l’ONU en Afrique Centrale, Abdoulaye Bathily[14]. Le Conseil des droits de l’homme des Nations-Unies n’a pas répondu à la demande d’enquête sur les violations des droits humains lors du processus électoral[15]. L’Ue aura à juger de la qualité du processus électoral si elle souhaite continuer la coopération européenne[16] en respectant l’accord de Cotonou et son article 96.

Laisser la République du Congo sombrer entre les mains de Denis Sassou Nguesso n’aide pas la démocratisation de la RDC voisine. La crise des Grands lacs sur le respect des constitutions reflète la faiblesse de la diplomatie internationale concernant la démocratie en Afrique. La dictature congolaise en profite mais la population, elle, en a « ras-le-bol ».

10 signataires : Fédération des Congolais de la Diaspora (FCD, Congo Brazzaville), Alliance Nationale pour le Changement Ile-de-France (ANC-IDF, Togo), Union pour le salut national (USN, Djibouti, coalition de l’opposition), Ca suffit comme cà ! (Gabon), Réagir (Gabon), Forces vives tchadiennes en exil, Rassemblement National Républicain (RNR, Tchad), Amicale panafricaine, Parti de Gauche, Europe Ecologie les Verts (EELV).

Concernant les huit pays non démocratiques qui, en Afrique, connaîtront une élection présidentielle en 2016, le Collectif de Solidarité avec les Luttes Sociales et Politiques en Afrique demande que soient satisfaites les conditions préalables indispensables à un processus électoral :
 absence de répression de l’opposition,
 état de droit préalable minimum : liberté de la presse, liberté de manifester, liberté de s’organiser pour la société civile et les partis politiques,
 dialogue inclusif avec l’opposition,
 consensus sur la composition d’une Commission électorale indépendante neutre,
 consensus sur la méthode de fabrication du fichier électoral,
 possibilité de contestation légale auprès d’une Cours indépendante incontestable.

 [1] Cf tableau annexe + 8.3.16, https://electionsafrique.wordpress.com/2016/03/08/congo-b-djibouti-tchad-lettre-a-ue-politique-europeenne-et-processus-electoraux-sans-democratie-en-afrique-en-2016/
 [2] le Congo Brazzaville est signataire de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance de l’Union africaine : http://www.achpr.org/fr/instruments/au-constitutive-act/ratification/
 [3] estimation supplémentaire « 46 à 65 personnes décédées, 69 à 100 blessées, 4 à 20 disparues. » Collectif Solidarité avec Luttes Sociales et Politiques en Afrique, https://electionsafrique.wordpress.com/2015/12/17/congo-b-bilan-du-coup-detat-constitutionnel-doctobre-2015-en-republique-du-congo-et-demande-dune-mission-denquete-internationale/
 [4] Certains sont toujours emprisonnés : Paulin Makaya ou Modeste Boukadia, entre autres.
 [5] Rapport de la Mission francophone d’information et d’évaluation dans la perspective des élections de 2014 et 2016 au Congo, document non public disponible sur demande auprès de l’OIF.
 [6] explications de Charles Zacharie Bowao, coordonnateur de l’IDC-FROCAD, 9.3.16, http://mwinda.org/fr/actualites/actualites-a-la-une/actualites/380-campagne-et-programmes-electoraux-ds-candidats-a-l-election-presidentielle
 [7] 1.3.16, http://www.fcd-diaspora.org/spip.php?article586
 [8] Général Mokoko, 4 mars 2016, http://mwinda.org/fr/actualites/actualites-a-la-une/actualites/377-general-mokoko-je-lance-un-appel-a-n-accorder-aucun-credit-a-ce-scrutin-deja-pipe
 [9] 21 jours après, 2015 : article 27, http://www.ambacongo-us.org/Portals/6/pdfs/Projet_Constitution._10-10-2015.pdf, 2002 : article 59, http://democratie.francophonie.org/IMG/pdf/Congo.pdf
 [10] par la voix du Chef de division Afrique Centrale du SEAE, https://electionsafrique.wordpress.com/2015/10/15/congo-brazzaville-coup-detat-constitutionnel-lettre-ouverte-a-lue/
 [11] 19/02/2016 http://eeas.europa.eu/statements-eeas/2016/160219_01_fr.htm
 [12] http://www.elysee.fr/communiques-de-presse/article/evenements-en-republique-du-congo/, http://tournonslapage.com/republique-du-congo-communique-de-la-campagne-tournons-la-page/
 [13] 7.3.16, http://www.parti-socialiste.fr/republique-congo-parti-socialiste-souhaite-report-de-lelection-presidentielle/
 [14] 13.3.16 Michaelle Jean, http://www.rfi.fr/emission/20160313-francophonie-michaelle-jean-secretaire-generale-oif
 [15] à l’instar de ce qui a été envisagé pour le Burundi le 14 décembre 2015 : 17.12.15, https://electionsafrique.wordpress.com/2015/12/17/congo-b-bilan-du-coup-detat-constitutionnel-doctobre-2015-en-republique-du-congo-et-demande-dune-mission-denquete-internationale/, http://www.africa1.com/spip.php?article61618, http://www.ohchr.org/FR/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=16878&LangID=F,
 [16] 11e FED 105 millions d’Euros sur 5 ans, en priorité pour ‘Eau et assainissement ; sécurité alimentaire et nutritionnelle’ : http://lentrepreneuriat.net/business-newslue-va-accorder-46-milliards-deuros-15-pays-africains-entre-2014-et-2020-d-tail-par, http://www.eeas.europa.eu/delegations/djibouti/index_fr.htm