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Crise postélectorale en vue en RDC

D 5 novembre 2011     H 05:15     A Pierre Sidy     C 0 messages


Élections présidentielles et législatives, les premiers scrutins
d’une série (provinciales, sénatoriales, locales...) qui doit se
terminer à l’été 2013, le 28 novembre prochain en
République démocratique du Congo (RDC). En ce pays aux
dimensions d’un continent, près de 32 millions d’électeurs
attendus pour ces deux scrutins où sont prévus quelques 62 000
bureaux de vote. Pour les législatives, le même jour, 500 sièges
vont être disputés par quelques 19 000 candidats. Casse-tête
logistique : selon la CENI, la Commission électorale nationale
indépendante, les urnes viendraient d’Allemagne, les isoloirs du
Liban, les kits électoraux de Chine, les bulletins de vote d’Afrique
du Sud etc.

Listes manipulées

L’inscription des électeurs pour la présidentielle réserve quelques
surprises. En cinq ans, le nombre d’inscrits sur les listes
électorales est passé de 25,7 millions à 32 millions, soit une
hausse de 25% supérieure à la croissance démographique. Plus
surprenant, ce sont essentiellement les provinces réputées
favorables au président sortant, Joseph Kabila, qui connaissent
les plus fortes augmentations : Nord-Kivu (+ 22%), Sud-Kivu
(+ 21,5%, Maniema (+ 39%), Katanga (+ 31,5%), Province-
Orientale (+19,5%). La province de Kinshasa, considérée comme
hostile, est en progression de 11 % seulement.
À la dernière présidentielle de 2006, les Congolais avaient à
choisir au premier tour entre 33 candidats dont les programmes
étaient mal connus mais qui pouvaient, chacune et chacun, se
réclamer d’un « fief » correspondant à son lieu d’origine, la
compétition se réduisant à une course pour la délimitation des
espaces au lieu d’un combat d’idées. Cette fois-ci, seuls
11 candidats à la présidentielle, tous des hommes, ont finalement
été validés par la CENI. 10 challengers pour Joseph Kabila,
président de la RDC depuis 2001, qui se présente en tant
qu’indépendant à cette présidentielle pour un deuxième mandat.
Sur la route de Kabila, représentant unique de la majorité
présidentielle, se trouvent trois « poids lourds » de l’opposition :
le leader de l’Union pour la démocratie et le progrès social
(UDPS), Étienne Tshisekedi (78 ans), qui avait boycotté les
élections de 2006, Vital Kamerhe (51 ans), ex-président de
l’Assemblée nationale passé dans l’opposition en 2010 et
fondateur de l’Union pour la nation congolaise (UNC) et l’ancien
mobutiste Léon Kengo wa Dondo (76 ans), actuel président du
Sénat. Puis viennent quelques outsiders, récidivistes de la
présidentielle. Le Mouvement de Libération du Congo (MLC), dont
le leader Jean-Pierre Bemba, battu au second tour de 2006 par
Joseph Kabila, est détenu et jugé à la Cour pénale internationale
(CPI), ne présente pas de candidat.

La CENI a invité les
11 prétendants à s’associer aux autres acteurs politiques pour
procéder dans les meilleurs délais à la signature d’un code de
bonne conduite, un engagement solennel à contribuer à
l’organisation des élections libres, transparentes, démocratiques
et apaisées. Les principaux partis de la majorité et de l’opposition
l’ont signé début septembre, sauf l’UDPS de Tshisekedi qui
réclamait alors un audit du fichier électoral.

Le scénario de 2011 est, en fait, plus compliqué avec la révision
précipitée de la Constitution par une Assemblée nationale tout
acquise à Kabila. Selon les nouvelles dispositions, l’élection
présidentielle se fera désormais à un seul tour : peu importera le
score du vainqueur. Malgré le tollé suscité par ce tripatouillage
constitutionnel dans l’opposition et au sein de la société civile,
rien n’y a fait. L’irruption dans l’arène de deux opposants, dont
l’éventuelle alliance au second tour aurait pu inquiéter le
président en exercice, a certainement joué pour beaucoup dans
cette révision : d’un côté, Etienne Tshisekedi qui concourt cette
année après avoir boycotté le scrutin de 2006 ; de l’autre, le
bouillant Vital Kamerhe (51 ans), ancien secrétaire général du
parti présidentiel et ancien président de l’Assemblée nationale,
aujourd’hui à la tête d’un parti d’opposition, l’Union pour la
Nation Congolaise (UNC) et de la coalition Alternance et qui
chasse les voix sur les mêmes terres des Kivu où Joseph Kabila,
dont il a été le principal propagandiste, avait été plébiscité en
2006. Mais, au final, l’opposition part diminuée après avoir couru
sans succès derrière un consensus introuvable.

Un désastre social

La RD Congo dispose de ressources humaines, agricoles,
culturelles et hydro-minières extraordinaires. Mais pour diverses
raisons historiques, politiques et de gestion économique, il se
trouve être actuellement un pays misérable. Joseph Kabila met
évidemment en avant ses « réussites » dans sa campagne : un
taux de croissance économique entre 5 et 10 % depuis 2008, une
dette extérieure presque effacée avoir atteint le point
d’achèvement de l’initiative PPTE, un taux d’inflation relativement
faible (moins de 15% par an depuis 2008) ; son bilan social est
désastreux : un taux de chômage record de plus de 90%, un taux
de scolarisation de moins de 50% pour les enfants en âge
d’étudier avec une forte apparition du phénomène « enfants de
rue », une absence totale de système de santé pour la
population, une absence criante d’un système efficace de
transport public dans toutes les agglomérations etc.
Pendant le premier mandat
électif de Kabila, la liberté
d’expression a été mise à
mal à plusieurs occasions.
Particulièrement, dans la
présente campagne, des
journalistes ont reçu par
courriel des menaces de
mort après avoir été
accusés par le pouvoir de
prendre parti pour
l’opposition. Quatre
journalistes de la radio
onusienne Okapi ont été pris à partie par la police et passé à
tabac en marge d’une manifestation de l’Union pour la
démocratie et le progrès social (UDPS), à Kinshasa. Un
cameraman à la Radio télévision du Groupe L’Avenir, a été
agressé lors d’un meeting du Parti du peuple pour la
reconstruction et le développement (PPRD), parti au pouvoir, au
Stade des Martyrs à Kinshasa : il lui avait été reproché d’avoir
filmé des gradins vides !

Dans beaucoup de cas de maltraitance contre les journalistes, les agresseurs ne
se cachent pas d’être membres du PPRD. Un député, étoile
montante de la Majorité présidentielle, a violemment menacé et
insulté une journaliste qu’il a soupçonnée à tort de lui avoir
raccroché au nez. N’oublions pas que, en cinq ans, neuf
journalistes ont été tués en RDC. L’ensemble des représentants
de la société civile et des organisations internationales
s’inquiètent de ce climat ou la liberté de la presse n’est pas
respectée.

Kabila n’a pas beaucoup avancé dans la sécurisation des
populations. Dans les villes, l’insécurité bat son plein sur fond de
misère mais, souvent, aussi par le fait de gang mafieux. Dans les
campagnes, des pans de la population sont rackettés dans leurs
activités productives (agriculture, pêche, navigation fluviale etc.).
Dans le Nord Kivu, des villages entiers se vident de leurs
habitants suite à préavis d’attaque par les rebelles ougandais de
l’ADF-NALU. Dans bien d’endroits des coupeurs de routes se
livrent à toutes sortes d’exactions.

Enlisement dans l’Est

En fait, des groupes armés sont responsables de terribles
atrocités dans l’Est du Congo, notamment de violences
généralisées et systématiques. Certains sont assimilés aux FDLR
(Forces démocratiques de libération du Rwanda, une milice
formée d’extrémistes hutus qui ont fui le Rwanda après le
génocide de 1994, ainsi que de membres hutus de l’ancienne
armée rwandaise et d’autres Hutus rwandais déplacés), mais
sous ce label opèrent aussi des éléments de l’armée régulière –
très mal payés - et des jeunes désoeuvrés locaux en quête des
moyens de subsistance. Des zones entières au Kivu, et en
province Orientale notamment, se trouvent sous la coupe des
rebelles étrangers et échappent pratiquement à tout contrôle
gouvernemental. En fait, les factions armées continuent de
déstabiliser le pays et le conflit qui a déplacé des centaines de
milliers de civils n’en finit pas…

Rappelons que, en janvier 2008, 22 groupes armés des provinces
du Nord-Kivu et du Sud-Kivu ont signé un accord de paix à Goma
 : celui-ci comprenait un cessez-le-feu immédiat, l’intégration des
groupes armés dans les Forces armées de la République
démocratique du Congo (FARDC) et l’arrêt du soutien
gouvernemental aux milices militaires. Cet accord faisait suite à
un accord de 2007 entre le Rwanda et la RDC, destiné à
démobiliser les milices hutues qui terrorisaient la population
civile. Mais, actuellement, le nombre de citoyens déplacés dans
les deux Kivu reste très inquiétant. Selon le Bureau de la
Coordination Humanitaire des Nations Unies (OCHA), plus de
1,7 million de civils avaient été déplacés à la date du
31 mars 2011, suite aux attaques et aux affrontements armés. Le
Fonds des Nations Unies pour la population estime que, chaque
semaine, 60 femmes sont victimes de violences sexuelles.
D’autres incidents au cours desquels les groupes armés congolais
et étrangers collectent des taxes illégales, mettent à sac, brûlent
des villages et commettent toutes sortes d’atrocités, ne sont
même pas comptés. Pourtant, depuis le 1er juillet 2010, la
nouvelle Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la
stabilisation de la République démocratique du Congo (la
MONUSCO) a deux priorités, qui sont énoncées dans la résolution
1925 du Conseil de sécurité : la « protection des civils » et la
« stabilisation et le renforcement de la paix » en RDC.

L’intégration dans l’armée congolaise de groupes rebelles armés
comme le CNDP (Congrès national pour la défense du peuple)
n’est pas sans poser de problèmes au pouvoir congolais : certains
chefs « intégrés » dans les FARDC voire dans le gouvernement
sont impliqués pour crimes de guerre par la CPI, d’autres
poursuivent sans vergogne leur commerce de minéraux dans l’Est
du pays. En dépit des Opérations Amani ya Kweli (« Paix
durable ») I et II contre elles, les FDLR poursuivent leurs
exactions dans la province du Sud-Kivu. Sur le terrain, les
alliances complexes entre les FDLR (dont des franges résiduelles
refusent résolument de retourner au Rwanda par crainte de
représailles liées au génocide), divers groupes Maï-Maï et les
Tutsis au Burundi sont un vrai casse-tête pour campagne
électorale de Kabila dans l’Est de la RDC.

Le désastre social et l‘insécurité accrue devraient sanctionner
Joseph Kabila et son régime mais son opposition reste très loin
des préoccupations des populations congolaises et n’arrivera
visiblement pas à s’unir. D’autre part, les deux Kivu vont sans
aucun doute constituer aussi un problème électoral.

Malgré tout, des mouvements sociaux alternatifs à un
monde de brutes !

Alors, justement, en contre-pied des « politicailleries », comme ils
disent, des citoyens veulent « créer politiquement au Nord-
Kivu », « initier des lieux de rencontre, de concertation et
d’échange » sur les questions que pose le vivre-ensemble au
quotidien… Construire et faire fonctionner des « Parlements des
Populations »… Ainsi, « dans leur approche critique des élus de
2006, les parlementaires du Quartier Furu pointent du doigt un
élément important jouant en défaveur de la légitimation
populaire du pouvoir des élus de 2006 : leur appui aux
multinationales ; ces entreprises privées qui n’ont aucun compte
à rendre à nos populations ». « En effet, à partir du moment où
les acteurs politiques se transforment en « petites mains » du
capital, la légitimité issue des urnes peut jouer le rôle de leur
cooptation aux dépens du peuple. » « Supposons qu’au lieu
d’hypothéquer notre souveraineté en faisant le tour du monde
pour aller mendier de l’argent à mettre dans les électionsmarketing,
nous demandions aux Parlementaires de Butembo
d’aller en mission politique à travers tout le pays pour susciter
des Parlements (maîtrisant tant soit peu les questions locales) qui
désigneraient leurs représentants à envoyer à l’Hémicycle
National et Provincial ; et que ces représentants à les Hémicycles
Provinciaux désignent parmi eux les gouverneurs et que ceux de
l’Hémicycle National choisissent parmi eux le Président de la
République comme un primus inter pares ; la chose prendrait
beaucoup de temps, mais nous aurions gagné dans l’implication
des différentes couches de nos populations dans le processus de
désignation de leurs représentants, dans l’usage de nos propres
moyens matériels et intellectuels, etc. » (Abbé Jean-Pierre
Mbelu : La RD Congo en quête de modèle. Essai sur les
Parlements des Populations de la ville de Butembo

Pierre Sidy