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La milice de l’ADF-Nalu en RDC

D 6 février 2014     H 05:24     A IRIN     C 0 messages


KINSHASA Le 16 janvier, les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) ont lancé une opération dans la région de Beni, dans l’est du Kivu, dans le but de neutraliser la milice islamiste de l’Alliance des forces démocratiques-Armée nationale de libération de l’Ouganda (ADF-NALU), qui occupe de plus en plus le devant de la scène et qui est soupçonnée d’entretenir des liens avec des mouvements terroristes mondiaux. L’offensive des FARDC, baptisée « Sokola » (« nettoyer » en lingala), fait suite à la déroute de la milice du M23 en novembre, après une opération conjointe des Nations Unies et des FARDC. [ http://www.irinnews.org/fr/report/95733/rdc-comprendre-le-groupe-arm%C3%A9-m23 ]

« L’ADF n’est pas aussi forte que le M23. [ses membres] ne bénéficient pas d’un soutien de l’étranger comme le M23. Nous allons les battre. Ils doivent tenir compte de la directive du président Kabila leur imposant de déposer les armes et de participer au [programme de] DDR [Désarmement, démobilisation et réinsertion]. Sinon, ils en subiront les conséquences », a dit à IRIN Lambert Mende, porte-parole du gouvernement de la République démocratique du Congo (RDC).

Dans le présent compte-rendu, IRIN présente l’ADF-Nalu, aborde les menaces que pose cette milice et souligne les solutions envisagées par les analystes pour la combattre.

Qui sont les ADF-Nalu ?

L’ADF-Nalu compte entre 800 et 1 400 combattants, femmes et enfants non compris. Basée au nord-ouest des montagnes Rwenzori, à la frontière avec l’Ouganda, la milice est une « organisation dirigée d’une main de fer », fonctionnant grâce à l’exploitation forestière et aurifère illégale, à un « réseau de taxis et de mototaxis opérant dans les villes de Butembo, Beni et Oicha » et à « des virements de Londres, du Kenya et de l’Ouganda, l’argent étant encaissé par des intermédiaires congolais à Beni et Butembo », selon le rapport d’un groupe d’experts des Nations Unies. Butembo, Beni et Oicha se trouvent dans la province du Nord-Kivu. [ http://www.un.org/ga/search/view_doc.asp?symbol=S/2013/433&referer=http://www.irinnews.org/report/99538/briefing-adf-nalu-militia-in-drc&Lang=F ]

Le groupe est arrivé de l’Ouganda en 1995. Les tentatives de neutralisation des ADF-Nalu en 2005 et en 2010 ont été infructueuses. « Ce groupe armé congolo-ougandais fait preuve d’une extraordinaire résilience qui tient à sa position géostratégique, son insertion dans l’économie transfrontalière et la corruption des forces de sécurité », a expliqué International Crisis Group (ICG) dans un rapport de 2012. [ http://www.crisisgroup.org/fr/regions/afrique/afrique-centrale/rd-congo/b093-eastern-congo-the-adf-nalus-lost-rebellion.aspx ]

Selon le rapport des experts des Nations Unies, les ADF-Nalu disposent de plusieurs camps d’entraînement dans l’est de la RDC et d’équipements tels que des mortiers, des mitrailleuses et des grenades à tube. La milice a accru ses effectifs grâce à des campagnes d’enrôlement et des enlèvements. Entre juillet 2010 et novembre 2013, la société civile de Beni a recensé 660 enlèvements par les ADF-Nalu, dont 382 en 2013. D’après la société civile, la milice aurait récemment tiré sur des hélicoptères de la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en RDC (MONUSCO) en reconnaissance. [ http://www.irinnews.org/report/98400/drc-based-ugandan-rebel-group-recruiting-training ]

Quelle menace les ADF-Nalu posent-ils ?

Outre sa puissance militaire croissante, l’ADF-Nalu est considérée comme une force potentiellement déstabilisatrice dans la région des Grands Lacs en raison de ses liens présumés avec des islamistes radicaux. Le gouvernement ougandais a longtemps soutenu que le groupe était lié à Al-Qaida et au mouvement islamiste somalien Al-Shabab. [ http://www.irinnews.org/fr/report/98992/craintes-de-repr%C3%A9sailles-%C3%A0-la-suite-d-attaques-islamistes-dans-l-est-de-la-rdc ]

Dans un article [ http://www.aljazeera.com/indepth/features/2013/12/uganda-heart-darkness-2013121781321510330.html ]d’opinion publié par Al Jazeera, la journaliste Caroline Hellyer a noté que bien que « la majorité des musulmans au Congo et en Ouganda ne soient pas politisés [...] les dirigeants de l’ADF-Nalu installés au Royaume-Uni, au Congo, au Kenya et au Soudan adhèrent à une idéologie islamiste Tabligh particulièrement radicale qui a conduit à des différends avec d’autres Tablighs à Kampala ». La milice dispose en effet de cellules en dehors de l’Ouganda et de la RDC et des tentatives de pourparlers en vue d’une amnistie et d’un désarmement ont abouti à une impasse en raison de l’impossibilité de réunir leurs différents dirigeants, a-t-elle ajouté dans son blog, Digitaldjeli. [ http://www.aljazeera.com/indepth/features/2013/12/uganda-heart-darkness-2013121781321510330.html ] [ http://digitaldjeli.com/congo/ ]

Les membres de la milice viennent de pays tels que l’Ouganda, la Tanzanie et la Somalie, a dit un officier de haut rang de la MONUSCO, en rappelant les problèmes d’insécurité en Somalie et l’attentat terroriste de 2013 au Kenya. « Nous ne pouvons pas nous permettre de les laisser se développer au risque de déstabiliser la région », a-t-il averti. [ http://www.irinnews.org/report/98814/kenyans-donate-blood-for-westgate-victims ]

Le chef des ADF-Nalu, Jamil Mukulu, chrétien converti à l’Islam, a été frappé de sanctions des Nations Unies depuis 2011.

L’ADF-Nalu est un groupe hybride, non seulement en raison des origines diverses de ses membres, mais également parce que la milice est le produit d’une vingtaine d’années de vie transfrontalière, opérant en tant que guérilla et brouillant souvent les frontières entre le criminel, le rebelle, le citoyen, le soldat et l’État, précise le blog Digitaldjeli.

D’ailleurs, la milice elle-même se déplace. En décembre 2013, un grand nombre de mouvements de l’est vers l’ouest ont été signalés. Des femmes et des enfants dépendants des ADF-Nalu se sont déplacés, accompagnés de gardes, et se sont cachés parmi la population locale, a dit Teddy Kataliko, représentant de la société civile à Beni. Des déplacements de la milice vers Ituri, la capitale de la province Orientale, ont également été observés.

Les ADF-Nalu pourraient également mener des attaques asymétriques et tenir des embuscades à des cibles non protégées, car les miliciens possèdent de bonnes sources de renseignement parmi la population, « et ils savent où et quand trouver telle ou telle personne », a dit l’officier de la MONUSCO.

En juillet 2013, les ADF-NALU ont entamé une campagne de pillages dans la région de Kamango, une localité du Nord-Kivu proche de la frontière ougandaise. Selon M. Kataliko, la milice aurait cambriolé l’hôpital général, les centres de santé et les pharmacies pour s’approvisionner en vue de futures attaques. En outre, selon les Nations Unies, alors que des centaines de rebelles appartenant à divers groupes sévissant dans l’est de la RDC se sont rendus après la défaite du M23, presque aucun membre de l’ADF-Nalu n’a déposé les armes.

Les ADF-Nalu ont-ils assassiné le colonel Mamadou Ndala ?

Le 2 janvier, le colonel Mamadou Ndala, officier populaire et respecté qui a dirigé avec succès l’offensive des FARDC contre la rébellion du M23, puis a pris la charge des opérations contre les ADF-NALU, a été tué dans une embuscade sur la route entre Boikene et Mavivi, dans la province du Nord-Kivu.

« La mort de Mamadou [Ndala] met en péril la chasse aux groupes armés et, partant, la paix dans l’est de la RDC », a dit Fidel Bafilemba, chercheur pour le projet Enough.

Le porte-parole du gouvernement de la RDC, Lambert Mende, a d’abord accusé les ADF-Nalu d’avoir commis cet assassinat, qui a été mené à l’aide d’une grenade à tube. Il a ensuite annoncé que plusieurs officiers de l’armée avaient été arrêtés en lien avec l’assassinat, dont le commandant de l’armée à Beni, le lieutenant Titu Bizuru.

L’analyste militaire Laurent Touchard a dit dans une analyse détaillée de l’embuscade publiée par Jeune Afrique que les preuves n’étaient pas concluantes. [ http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAWEB20140122193746/ ]

« De fait, si la piste d’un règlement de compte interne au FARDC est à privilégier, il convient de ne pas totalement écarter celle des ADF-Nalu, ou celle d’ex-dissidents du M23. L’un n’empêche d’ailleurs pas l’autre : le cas de figure de rebelles quelconques instrumentalisés (et aidés) par des responsables des FARDC est-il totalement absurde ? »

« C’est là que réside la seule certitude sur cette affaire : ceux qui ont tué Mamadou Ndala ont bénéficié de complicités au sein des forces de sécurité », a-t-il ajouté.

M. Mamadou a été promu général à titre posthume.

Comment lutter contre les ADF-Nalu ?

Selon ICG, « avant d’envisager toute nouvelle intervention militaire contre [l’]ADF-Nalu, il convient de faire la part du mythe et de la réalité et de réduire sa base socioéconomique tout en proposant une offre de démobilisation et de réinsertion à ses combattants ».

Le journaliste Darren Olivier est du même avis et remarque dans l’article de Mme Hellyer sur Al Jazeera que les liens étroits entre le groupe et la population, ses relations avec l’étranger, le soutien des seigneurs de la guerre et ses alliances avec d’autres milices de la région font qu’une stratégie anti-insurrectionnelle claire est essentielle : « la question est de savoir comment avoir la population de notre côté ».

Les ADF-Nalu collaborent avec divers groupes armés locaux et sont particulièrement bien intégrés au sein de la population musulmane.

Il faut reconnaître le rôle de l’islam dans le maintien de la paix en RDC, a ajouté Mme Hellyer dans son blog. « En effet, ce n’est que depuis l’assassinat du colonel Mamadou que de nombreuses personnes se sont rendu compte que le héros national du Congo était musulman. Voilà notamment ce qui faisait de lui l’homme idéal pour lutter contre les ADF-Nalu et pourquoi sa mort porte un grand coup à la population de Beni en général et à sa large communauté musulmane en particulier. »

Selon les analystes, la présence continue de l’État dans les bastions du groupe est nécessaire, car les ADF-NALU sont accusés d’attirer les jeunes avec des cadeaux tels que de nouveaux vélos et de l’argent, dans une région où les habitants se sentent négligés par Kinshasa. « De trop nombreux militaires, notamment des FARDC, vont venir, combattre, déclarer victoire et rentrer chez eux. Les rebelles reviennent alors [...] et l’ensemble des villageois est puni », a remarqué M. Olivier.

Selon Josaphat Musamba Bussy, chercheur basé à Bukavu, toute stratégie militaire doit associer des commandos spécialisés aériens et terrestres. Mais, les FARDC devraient d’abord identifier les réseaux congolais des ADF-Nalu, les infiltrer et les arrêter avec l’aide des services de renseignement locaux et ougandais.

Quels progrès ont été réalisés jusqu’à présent ?

Les FARDC soutiennent avoir délogé les ADF-Nalu de plusieurs endroits. Selon un officier de la MONUSCO, l’armée a réussi à prendre le contrôle du camp de Mwalika, où se trouvait un important camp d’entraînement de la milice. La MONUSCO soutient l’armée logistiquement et en lui apportant des renseignements.

« L’opération contre les ADF-Nalu se passe très bien. Ils sont en train de fuir leur quartier général [à Mamundioma] près de Beni. Ils se dirigent vers la province Orientale [dans le nord-est]. Nous sommes organisés, nous avançons et nous sommes prêts à les arrêter », a dit M. Mende, le porte-parole du gouvernement de la RDC.

On craint cependant des victimes collatérales. Un major des FARDC a dit à propos du sort des personnes qui collaboreraient avec les ADF-Nalu que « ceux qui sont avec eux sont considérés comme des ennemis ».

« Nous apportons et échangeons des renseignements avec nos homologues congolais pour neutraliser les ADF-Nalu, » a dit à IRIN le général Edward Katumba Wamala, chef des forces armées ougandaises. « Nous avons déployé des troupes à nos frontières pour nous assurer que les ADF-Nalu qui s’échapperaient n’entrent pas sur notre territoire. Notre personnel capturera les rebelles en fuite. »

Le gouvernement ougandais dit être prêt à dialoguer. « Nos portes ont toujours été ouvertes. Nous n’avons jamais rencontré les ADF-Nalu. S’ils veulent parler avec nous, nous sommes toujours là », a dit à IRIN Crispus Kiyonga, le ministre de la Défense ougandais. En juillet 2013, M. Kiyonga a dit au Parlement ougandais que le gouvernement acceptait « en principe » d’engager des pourparlers avec l’ADF-Nalu si le groupe le souhaitait. [ http://mobile.monitor.co.ug/News/Government-ready-for-peace-talks-with-ADF-NALU-rebels/-/691252/1920254/-/format/xhtml/-/13eq6sr/-/index.html ]

Source : http://www.irinnews.org