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Le FMI et la dette de la RD Congo

Entretien avec Renaud Vivien, Luc Mukendi, Gracia Tshibangu, Eric Lubangu et Christian Kabongo (CADTM)

D 24 septembre 2010     H 04:17     A Tony Busselen     C 0 messages


Nous avons demandé au CADTM, le Comité pour l’Annulation de la dette du Tiers-Monde, de nous partager leurs analyses sur l’allègement de la dette et sur le rôle du FMI. L’analyse a été élaborée par Renaud Vivien qui est membre du CADTM Belgique et Luc Mukendi, Gracia Tshibangu, Eric Lubangu et Christian Kabongo qui sont membres du CADTM Lubumbashi.

Quel est le montant exact des dettes annulées suite à la décision du FMI et de la Banque Mondiale du 1er juillet 2010 ?

Si l’on en croit les sources officielles comme le FMI, la RDC bénéficiera d’un allégement de 12,3 milliards de dollars, dont 11,1 milliards de dollars au titre de l’initiative renforcée en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE) et 1,2 milliard de dollars au titre de l’initiative d’allégement de la dette multilatérale (IADM). La RDC est le trentième pays à atteindre le point d’achèvement de l’initiative PPTE mise en place par les institutions financières internationales (IFI) en 1996 et renforcée en 1999.

Le montant de cet allègement de dette est le plus important jamais consenti à la RDC. Mais ne nous y trompons pas : l’objectif n’est pas de régler le problème de la dette extérieure publique congolaise mais seulement de la ramener à un niveau "soutenable", selon les critères du FMI. Ce qui signifie ramener la valeur de la dette à 150% des revenus d’exportation du pays.

L’objectif de "soutenabilité", qui s’inscrit dans le cadre de cette stratégie PPTE est, par ailleurs, très contestable en soi, puisqu’il implique de faire rembourser à un pays le maximum de ce qu’il peut rembourser, sans égard pour les lacunes dans le développement humain sur place.

Le 1er juillet dernier, la RDC n’a donc pas bénéficié d’une annulation de la dette mais simplement d’un allègement de dette, qui a été conditionné à l’application d’une série de réformes structurelles néolibérales. La RDC reste encore avec une dette extérieure publique de près de 3 milliards de dollars.

Par ailleurs, il faut également prendre en compte le niveau de la dette publique interne, qui s’élève à 1,61 milliard de dollars car son remboursement a également un impact sur les finances publiques de l’Etat congolais et donc sur la population.

L’Ouganda et le Rwanda ont vu leurs dettes annulées dans le passé mais ces pays n’ont pas dû attendre huit ans comme la RDC. Comment expliquez-vous cela ?

L’Ouganda et le Rwanda sont parvenus très rapidement au point d’achèvement PPTE car ils sont les alliés stratégiques des États-Unis, qui, rappelons-le, dominent le FMI et la Banque mondiale. Les États-Unis possèdent, en effet, un droit de veto de fait sur toutes les décisions importantes des IFI. En pratique, des critères géopolitiques entrent donc en ligne de compte pour les allégements de dettes.

Autres exemples significatifs : en novembre 2001, l’ex-Yougoslavie a bénéficié d’un traitement généreux de l’intégralité de sa dette de la part du Club de Paris, puisque celui-ci lui a accordé les conditions réservées aux pays les plus pauvres. Cette faveur a fait suite à la livraison par le nouveau pouvoir serbe de Slobodan Milosevic au Tribunal pénal international (TPI) de La Haye le 29 juin 2001. Après avoir passé une alliance avec les États-Unis à l’occasion de leur intervention en Afghanistan, après le 11 septembre 2001, le Pakistan a également obtenu des mesures inhabituelles du Club de Paris en décembre de la même année, qui a restructuré de façon avantageuse la quasi-totalité de la dette pakistanaise à son égard.

Enfin, le cas de la RDC illustre à quel point la dette constitue un instrument de domination politique, puisque le point d’achèvement PPTE a été repoussé trois fois au motif que la RDC ne satisfaisait pas aux conditions imposées par les bailleurs de fonds occidentaux (FMI, Banque mondiale et Club de Paris1). Parmi ces conditions, citons la révision du fameux contrat chinois en novembre 2009. Officiellement, c’est le risque d’augmentation de la dette congolaise, lié à la garantie d’État initialement prévue dans le contrat chinois, qui avait justifié l’ingérence du FMI dans les affaires internes congolaises. Mais en réalité, la RDC, à l’instar d’autres pays africains regorgeant de ressources naturelles, est le théâtre d’une compétition acharnée entre les pays occidentaux et la Chine, dont l’appétit ne cesse de grandir.

Il existe très certainement un lien entre cette décision d’alléger la dette de la RDC et le fait que les économies émergentes comme la Chine, le Brésil, l’Inde ou la Turquie tentent de se poser comme alternatives à ce qu’on appelle les partenaires traditionnels de l’Afrique (FMI, Banque Mondiale et Club de Paris). Avec ces allègements de la dette, ces partenaires traditionnels veulent relégitimer leur action en maintenant leur tutelle sur la RDC.

Est-ce que cet allègement de la dette congolaise signifie que les créditeurs ont fait un don à la RDC ?

Absolument pas. Un allègement de dette ne correspond pas à un flux financier. En revanche, les pays dits "créanciers" comptabilisent ces allègements de dette dans leur aide publique au développement (APD) pour la gonfler artificiellement dans le but d’atteindre l’objectif des 0,7% du PNB consacré à l’APD, sans débourser d’argent frais...

Quelles sont les conséquences pour le budget du gouvernement congolais ?

L’Etat congolais avait prévu de consacrer en 2010 environ 430 millions de dollars au paiement de sa dette publique extérieure. Avec cet allègement de la dette intervenu le 1er juillet dernier, la RDC n’aura pas à payer le service annuel de la dette. Toutefois, le gouvernement congolais devra continuer à appliquer les conditionnalités imposées par les bailleurs de fonds occidentaux. En effet, le budget 2010 de la RDC, s’élevant à 6,2 milliards de dollars (soit 77 fois moins que celui de la France pour une population de taille équivalente), est taillé sur mesure pour satisfaire les créanciers et les investisseurs étrangers au détriment des besoins fondamentaux de la population.

Le gouvernement congolais doit, en effet, mettre en oeuvre le Document Stratégique de Croissance et de Réduction de la pauvreté (DSCRP).
Conformément à ce programme triennal conclu avec le FMI en décembre 2010, pâle copie des plans d’ajustement structurels (PAS) imposés par le FMI et la Banque mondiale à l’ensemble des pays du Sud au lendemain de la crise de la dette de 1982, le gouvernement congolais a pour priorité l’amélioration du « climat des affaires ». Autrement dit, le gouvernement doit œuvrer pour le bien-être des transnationales en accélérant le bradage de ses ressources naturelles et en privatisant ses secteurs stratégiques. Par conséquent, l’atteinte du point d’achèvement par la RDC ne signifie pas une diminution de l’emprise du FMI et de la Banque mondiale sur la politique congolaise.

Il est d’ailleurs prévu que, d’ici la fin de cette année, le gouvernement doit achever la privatisation des entreprises publiques telles que la Gécamines ou encore la Société Nationale des chemins de fer (SNCC). Cette politique de privatisation a des conséquences importantes sur le plan économique puisqu’elle entraîne automatiquement moins de recettes pour l’Etat. Dans ce contexte, on peut se demander comment la RDC pourra rembourser ce qui lui reste comme dette...

Ces privatisation entraîneront également des dizaines de milliers d’emplois supprimés comme ce fut notamment le cas en 2003-2004 avec l’opération dite "Départs volontaires". Ce plan de licenciement illégal a frappé 10 655 travailleurs de la Gécamines, qui n’étaient plus payés depuis 36 mois ! La Banque Mondiale était alors intervenue en finançant ces licenciements, sur demande du gouvernement congolais, mais en prenant le soin d’imposer au préalable ses conditions illégales : la Banque a plafonné le montant des indemnités selon une forme « pour solde de tout compte » et un mode de calcul qui violent le droit du travail congolais. Alors que l’enveloppe sollicitée par la direction de la Gécamines était de 120 millions de dollars contre 240 millions réclamés par les travailleurs, le consultant recruté par le gouvernement congolais sur recommandation de la Banque Mondiale et chargé de calculer le montant de l’indemnisation, propose seulement un forfait « pour solde de tout compte » de 43 millions de dollars ! Depuis 2004, ces ex-travailleurs luttent pour le recouvrement de leurs droits. En dépit de documents officiels attestant de l’illégalité de ce plan de licenciement, ils n’ont toujours pas reçu leurs indemnités. La Banque mondiale, comme à son habitude fait reposer l’entière responsabilité sur le gouvernement congolais et la Gécamines...

Que pensez-vous du fait que le Canada a voté contre la décision d’alléger la dette congolaise du fait que le gouvernement congolais avait résilié le contrat KMT avec la société First Quantum ?

Cette opposition du Canada est une preuve supplémentaire que la dette constitue un puissant alibi pour s’ingérer dans les affaires internes des pays du Sud. Rappelons que suite à l’annonce par le gouvernement congolais de la résiliation du contrat KMT en août 2009, plusieurs représentants politiques du Canada, Hilary Clinton et même le président de la Banque mondiale, Robert Zoellick, ont fait le déplacement à Kinshasa pour "raisonner" Kabila. En effet, la Banque mondiale a des intérêts économiques dans ce contrat KMT car la SFI (Société financière internationale, composante du groupe Banque mondiale) en est un des actionnaires.

Pour ces représentants, la résiliation du contrat aura des effets néfastes sur le "climat des affaires" en RDC. Ce qui est important, c’est de constater la politique "deux poids, deux mesures" des Occidentaux. Car d’un côté, les IFI et le Club de Paris imposent la révision du contrat chinois (même s’il s’agit bien d’un contrat léonin au détriment de la partie congolaise) mais de l’autre coté côté, interdisent au gouvernement congolais de revenir sur le contrat KMT alors qu’il est entaché de nombreuses irrégularités. Aujourd’hui, le litige sur KMT est porté devant la Cour d’arbitrage de Paris, privant ainsi la RDC de sa souveraineté permanente sur ses ressources naturelles.

Pourquoi faut-il continuer à demander l’annulation de la dette sans conditions ?

Il existe de nombreux arguments (moraux, économiques, juridiques, écologiques et historiques) pour justifier cette revendication. Comme on l’a vu, la dette constitue notamment un instrument de domination politique au service des intérêts des transnationales. A l’instar de nombreux pays du Sud, il ne fait aucun doute que la dette congolaise n’a pas servi à la population. Elle constitue même l’archétype de la dette odieuse : une dette sans bénéfice pour la population, contractée par une dictature (celle de Mobutu) avec la complicité des créanciers. Cette dette est nulle en droit international et doit donc être annulée totalement et sans conditions. Soulignons que le gouvernement congolais est fondé à répudier la totalité de sa dette. Une dette décision constitue un acte souverain légitimé par le droit international.

Propos recueillis par Tony Busselen