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Non, le Congo belge n’était pas un modèle d’État providence

D 16 février 2023     H 06:30     A     C 0 messages


Le pays accéda à l’indépendance avec une dette extérieure publique qui ne cessera de s’alourdir, à laquelle s’ajoute une dette coloniale illégalement léguée.

La présente opinion constitue une réaction collective à la contribution externe de l’économiste Emizet François Kisangani, intitulée « Pourquoi le Congo était une colonie modèle » publiée par La Libre Belgique le 7 février 2023. Monsieur Kisangani considère que « le Congo belge était un État providence semblable au même système qui se développait en Belgique. » L’auteur affirme que « Le Congo belge possédait aussi la meilleure infrastructure sanitaire en Afrique subsaharienne. Bien que l’éducation secondaire et tertiaire ne fit pas partie de la politique sociale coloniale, plus de 90 % des enfants congolais en âge de scolarisation étaient inscrits gratuitement à l’école primaire ». Il affirme encore que « Dans les années 1950, les Congolais étaient approvisionnés en eau potable un peu partout et la malnutrition était inconnue ». Pourtant, il suffit de se pencher sur la production de savoir universitaire dans les champs économique et politique concernés pour réaliser le gouffre qui sépare les affirmations citées plus haut de la réalité du Congo belge.

Soulignons que la Belgique coloniale souhaitait par l’enseignement primaire produire le consentement et la soumission de la population et donner accès à des rudiments de formation bien utiles pour la poursuite de ses intérêts. Rappelons que les Congolais n’avaient pas droit à un enseignement universitaire sur leur territoire. Par ailleurs, jusqu’à l’indépendance, moins d’une quinzaine de Congolais ont pu faire des études universitaires en Belgique et ce seulement à partir des années 1950. Alors qu’on déclare l’indépendance le 30 juin 1960 à Léopoldville, quatre étudiants congolais sont diplômés d’une université belge.

Monsieur Kisangani affirme que « le développement économique du Congo belge fut possible grâce aux investissements massifs dans des biens publics tels que la stabilité politique, les infrastructures, la santé publique et l’éducation ». Il ne nous dit pas comment étaient financés ces investissements. Il omet également de spécifier que ces investissements avaient pour objectif de poursuivre l’exploitation des ressources naturelles du pays largement destinées aux intérêts coloniaux. C’est dans ce sens que, la Belgique – au nom du Congo belge – tout en remboursant des dettes alors contractées par Léopold II avant 1908, en contractait de nouvelles afin de poursuivre l’exploitation des ressources naturelles du pays. Ainsi la dette publique du Congo belge s’élevait en 1949 à 3,7 milliards de francs.

Au cours des années 1950, la Belgique accumule une dette auprès de la Banque mondiale pour financer des projets dans sa colonie (dans le cadre d’un plan décennal ‘’de développement’’) [1]. Ces prêts s’élèvent à près de 120 millions de dollars, dont 105,4 millions ont été dépensés en Belgique [2]. En effet, ces prêts ont presque totalement été dépensés par l’administration coloniale du Congo sous forme d’achat de produits exportés par la Belgique.

L’étude de la situation comptable congolaise de cette décennie avant l’indépendance indique que le Congo déboursa plus de 64 milliards de francs pour financer ce plan de développement. Cela provoqua un accroissement rapide de la dette publique du Congo qui passa en moins de 10 ans, de 3,7 milliards à 46 milliards. Cela s’accompagna également d’une succession de budgets déficitaires à partir de 1957, d’une inflation grave en 1959, de la fuite massive de capitaux vers la Belgique. Finalement, le pouvoir colonial belge, par ce plan décennal qui servit majoritairement ses intérêts, enlisa le Congo belge dans un surendettement qui le conduit, à la veille de l’indépendance, au bord de la faillite.

Le Congo accéda donc à l’indépendance avec une dette extérieure publique qui ne cessera de s’alourdir, à laquelle s’ajoute une dette coloniale illégalement léguée. Il s’agit bien d’une dette illégale du point de vue du droit international (car issue de la colonisation) et illégitime (car n’ayant pas bénéficié au peuple congolais). Au regard du traité de Versailles de 1919 et de la convention de Vienne de 1978, l’ancienne puissance coloniale (la Belgique) et la Banque mondiale ont agi en violation du droit international en léguant au Congo indépendant une dette qui allait constituer un énorme fardeau.

Ensuite, M. E. François Kisangani explique que « les kleptocrates postcoloniaux ont dilapidé les ressources naturelles du pays sans aucun investissement en faveur de la stabilité politique, des infrastructures, de la santé et de l’éducation. Les dirigeants congolais après l’indépendance ont failli dans le maintien de l’acquis colonial concernant ces biens publics. »

Affirmer cela revient à dire que les seules responsabilités se concentraient dans les mains des dirigeants congolais qui se sont ensuite succédé au pouvoir.

Faut-il rappeler que Patrice Lumumba, qui avait été élu Premier ministre en 1960, a été assassiné avec la participation directe de la Belgique le 17 janvier 1961 ? Après s’être débarrassées de Patrice Lumumba, les puissances occidentales, dont la Belgique, ont activement soutenu la dictature de Mobutu jusqu’à la fin de la guerre froide (Mobutu fuira le Zaïre en 1997). Depuis le coup d’État de Mobutu en 1965, le pays a été plongé dans la spirale de l’endettement en raison de projets pharaoniques qualifiés d’ « éléphants blancs » qui n’ont jamais bénéficié à la population congolaise et des détournements d’argent public que Mobutu a effectués pour lui et son clan. Des faits connus des créanciers multilatéraux, le FMI et la Banque mondiale et qui n’ont pourtant pas freiné l’octroi de prêts à cette époque.

Aujourd’hui, le peuple congolais continue de se saigner aux quatre veines pour rembourser une dette qui est en grande partie odieuse et dont les montants initiaux ont été plusieurs fois remboursés. De plus, depuis le début de la Seconde Guerre mondiale et jusqu’ à aujourd’hui, les richesses nationales ont été scandaleusement bradées par les gouvernements successifs.

La Belgique vient de perdre une occasion supplémentaire d’adresser des excuses et de proposer de véritables réparations en balayant ces questions économiques dans le cadre du travail mené par la commission spéciale Congo - Passé colonial, qui a achevé ses travaux en décembre 2022 sans parvenir à trouver de consensus sur la formulation des recommandations. Pour alimenter les travaux de cette commission, le CADTM avait adressé une note aux membres de cette commission afin de prendre en compte les aspects économiques et les relations historiques entre la Belgique et la République démocratique du Congo…

Pour conclure, il n’y aura pas en RDC de développement socialement juste et écologiquement soutenable tant que pèsera la chape de plomb de la dette issue de cette période coloniale. Un audit citoyen de la dette coloniale et des dettes qui ont suivi apparaît comme un outil qui permettra de connaître la destination des dettes réclamées au peuple congolais et à son État, les conditions entourant ces dettes, les détournements, etc... Un tel audit pourrait servir non seulement à légitimer l’annulation de la dette mais aussi à demander la rétrocession des biens mal acquis dans un fonds de développement contrôlé démocratiquement par les populations locales. Finalement, cet audit servirait de base pour les réparations des préjudices subis par la population dus à l’exploitation effrénée des riches matières premières, depuis la colonisation jusqu’à aujourd’hui, du fait de contrats léonins signés avec les entreprises occidentales, chinoises ou autres qui organisent le bradage des ressources naturelles de la RDC.

Signataires :

Luc Mukendi (enseignant à Lubumbashi, membre de la coordination du CADTM Afrique), Cynthia Mukosa (agent humanitaire, économiste, secrétaire générale au CADTM Lumumbashi), Yvonne Ngoyi (présidente UFDH/CADTM à Mbuji Mayi en RDC), Victor Nzuzi (paysan, NAD/CADTM dans le Bas Congo), Nordine Saïdi (militant Décolonial et membre de Bruxelles Panthères), Mouhad Reghif (membre de Bruxelles Panthère), Georgine Dibua (coordinatrice de BAKUSHINTA), Graziella Vella (Anthropologue – UMONS), Monique Mbeka (Cinéaste et Productrice), Guillermo Kozlowski (Philosophe), Le collectif mémoire coloniale et lutte contre les discriminations (CMCLD), Les Amis du collectif mémoire coloniale (ACM), Anaïs Carton, Renaud Vivien, Éric Toussaint (docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris 8, porte-parole du CADTM), Pauline Fonsny, Najla Mulhondi, Céline Beigbeder (metteure en scène du spectacle Tervuren), Nicolas Luçon, Julie Nathan