Permanence des conflits en RDC
9 juillet 2025 05:00 0 messages
Cet article a été rédigé avant les accords de paix signé entre le Rwanda et la RDC
Guerres et dictatures restent hélas les deux maîtres-mots de la République Démocratique du Congo (RDC). Les crises successives que connait le pays sont les fruits de son histoire coloniale violente, de la décolonisation conflictuelle, d’enjeux géostratégiques régionaux aux conséquences délétères et de concurrences féroces pour l’exploitation des richesses minérales mais aussi des terres arables. Quant aux élites, ou prétendues telles, leurs combats politiques sont impitoyables car l’accession au pouvoir c’est d’abord la possibilité d’accaparer les richesses de l’Etat. Comme l’illustrent les exemples du dictateur Mobutu avec un détournement au bas mot de quatre milliards de dollars, et plus récemment les révélations dit du « Congo hold-up » où des millions de documents et transactions financières montrent comment le clan familial de l’ancien président Joseph Kabila a fait main basse sur une grande partie des entreprises en lien avec le secteur public. Des comportements d’autant plus scandaleux quand près de 73% de la population vit avec moins de 2,15 dollars par jour.
Tenter de démêler l’écheveau des raisons de cette nouvelle guerre au Congo, c’est aussi mettre en lumière les méfaits soigneusement cachés du capitalisme dans les pays dominés.
Le Pays de Léopold
Le Congo lors de sa colonisation a connu une situation singulière, car le pays ne faisait pas partie de l’empire colonial de la Belgique aux côtés du Rwanda et du Burundi mais était une possession privée du roi Léopold II de 1885 à 1908. Cette situation a largement favorisé une violence contre les populations notamment lors de la récolte de ce que l’on appelait à l’époque l’or rouge, le caoutchouc. Il devint au fil de l’expansion économique de l’Europe et des Etats-Unis une matière essentielle notamment pour la fabrication des pneumatiques pour les véhicules, l’industrie naissante de l’aéronautique et la confection de courroies pour les différentes manufactures.
Une partie du pays est livrée à la voracité des entreprises privées. Ces dernières avaient carte blanche pour augmenter la production. Les pires moyens étaient utilisés avec les amputations de mains des ouvriers et ouvrières mais aussi de leurs enfants quand les objectifs n’étaient pas atteints. La surexploitation est telle qu’en quarante ans le pays perd la moitié de sa population. Si dans les autres pays colonisés un semblant d’accompagnement social et éducatif avait lieu, offrant une justification du colonialisme par « l’apport aux indigènes de la civilisation », dans l’Etat indépendant du Congo, l’appellation officielle, le roi des Belges ne s’embarrassait guère de ce vernis.
Le scandale international du traitement des populations fut tel que Leopold II dût consentir à céder son royaume à la Belgique qui le gérera pendant une cinquantaine d’années jusqu’à son indépendance proclamée le 30 juin 1960.
Indépendance chaotique
C’est une scène qui restera dans l’histoire, celle du discours de Patrice Lumumba répondant le 30 juin 1960 au roi Baudouin, qui de son ton condescendant déclara l’indépendance du Congo tout en glorifiant l’action civilisatrice de la colonisation belge. Lumumba déclara : « Nous avons connu les ironies, les insultes, les coups que nous devions subir matin, midi et soir parce que nous étions des nègres. Qui oubliera que c’est à un noir que l’on disait “tu”, non certes comme à un ami, mais parce que le plus honorable “vous” était réservé aux seuls blancs ? Nous avons connu que dans les villes il y avait de magnifiques maisons pour les blancs et des paillotes croulantes pour les noirs, qu’un noir n’était admis ni dans les cinémas, ni dans les restaurants, ni dans les magasins dits européens ; qu’un noir voyageait à même la coque des péniches, aux pieds du blanc dans sa cabine de luxe. »
Rapidement l’indépendance va être sabotée par les colons, proclamant l’indépendance des deux riches régions minières le Katanga et le Sud Kasaï. Les troupes de l’ONU présentes sur place empêchent la reprise militaire des territoires sécessionnistes. De plus Lumumba a des difficultés pour trouver les compétences nécessaires pour faire au moins tourner la machine administrative car le résultat de la mission civilisatrice de la Belgique est que seulement quelques dizaines de personnes sur une population de 15 millions sont bacheliers. Patrice Lumumba cherche de l’aide, il s’adresse aux USA en vain et par dépit, lorsqu’il s’apprête à se tourner vers l’URSS, la CIA avec la complicité des colons organise son assassinat et met à la place son attaché de défense Mobutu qui règnera sur le pays pendant plus de trente ans. Sa longévité au pouvoir tient essentiellement à sa capacité à faire de son pays un bastion de l’anticommunisme en Afrique, qualité particulièrement appréciée par l’occident en période de guerre froide.
Le tournant du génocide au Rwanda
En avril 1994 les extrémistes hutu vont organiser le génocide des Tutsi. Près d’un million de personnes pendant trois mois vont être méthodiquement assassinées devant la passivité de la communauté internationale. C’est l’arrivée du Front Patriotique Rwandais (FPR) dirigé par Paul Kagamé qui va mettre fin à ce crime. Les génocidaires sont en déroute et par le truchement de l’opération Turquoise de l’armée française, ces criminels sont exfiltrés avec une grande partie de la population hutu vers le pays voisin le Congo qui a adopté un nouveau nom le Zaïre.
Très rapidement les camps de déplacés vont être sous la coupe du noyau dur des génocidaires. Ils fondent une organisation les Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR). A partir de ces camps, ils mènent des incursions sur le territoire rwandais bénéficiant de fournitures d’armes au vu et su de l’armée française. En laissant s’organiser cette milice armée les autorités françaises ont créé une bombe à retardement contre les populations congolaises. Progressivement les FDLR vont abandonner toutes velléités de reconquête du pouvoir au Rwanda au profit d’une mise en coupe des habitants du sud et nord Kivu situé à l’est du pays où ils sont présents. C’est ainsi que depuis des décennies, ils terrorisent les populations et se rendent coupables de nombreuses exactions notamment les viols de masse.
« La grande guerre africaine »
Le pouvoir de Mobutu est à bout de souffle. Avec la chute du mur de Berlin le 9 novembre 1989 et la fin de fait de la guerre froide l’existence de ce maréchal d’opérette pour les métropoles impérialistes n’a plus d’intérêt. Une organisation se crée l’Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo (AFDL) largement soutenue par le Rwanda et l’Ouganda et conduite par Laurent Désiré Kabila. Che Guevara lors de son incursion au Congo en 1965 le considérait plus comme un contrebandier qu’un révolutionnaire. Face à une armée zaïroise déliquescente, l’AFDL s’empare facilement du pouvoir. Cet épisode est considéré comme la première guerre du Congo. Les premières frictions entre le nouveau maître de la désormais République Démocratique du Congo et ses parrains rwandais et ougandais débouchent rapidement sur une seconde guerre extrêmement meurtrière. Ces deux pays vont agir via une milice le Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD) composé essentiellement de Tutsi congolais. Laurent Désiré Kabila fera appel au soutien militaire du Zimbabwe, de l’Angola, du Tchad et de la Namibie. Par le nombre de pays impliqués et le nombre de morts, la « grande guerre africaine » est aussi dénommée « la première guerre mondiale africaine » en référence à celle d’Europe en 1914.
Les rivalités entre l’Ouganda et le Rwanda sur les questions d’exploitation des richesses minérales et forestières, mais aussi sur l’attitude vis-à-vis du FDLR provoquent une scission dans le RCD, l’un s’appellera RCD Wamba di Wamba du nom de son dirigeant soutenu par l’Ouganda, l’autre le RCD Goma du nom de la ville du Kivu fief des partisans du Rwanda. Ces derniers seront intégrés dans l’armée de la RDC suite aux accords de paix de Pretoria en 2002. La rivalité entre l’Ouganda et le Rwanda et les conséquences de l’intégration des miliciens dans l’armée, sont des constantes qui expliquent en partie la crise actuelle de la RDC.
Le M23 ou le phénix qui renait de ses cendres
Le M23 qui mène actuellement la guerre dans l’est de la RDC et qui remporte des notables succès en s’emparant des grandes villes régionales comme Goma, Kitshanga et Bukavu est une filiation directe du Congrès National pour la Défense du Peuple (CNDP) déjà soutenu par le Rwanda. Formé majoritairement de Tutsi congolais, ils conservèrent leurs liens hiérarchiques et refusèrent les affectations dans les autres régions du pays. Se mettant en dehors de l’armée nationale ils formèrent le CNDP conduit par Laurent Nkunda. Leur objectif affiché est la défense des Tutsi congolais et la lutte contre les FDLR dénonçant la complicité de l’armée avec cette milice.
Ils réussirent à s’emparer en 2006 de la ville de Saké à une trentaine de kilomètres de la capitale régionale Goma. Sous les pressions diplomatiques des grandes puissances, le Rwanda cessera d’apporter son soutien à Laurent Nkunda. Il sera démis de ses fonctions de leader, remplacé par Bosco Ntaganda un autre criminel de guerre, qui négociera l’entrée des miliciens du CNDP dans l’armée nationale dans le cadre de l’accord du 23 mars 2009.
En avril 2012 une nouvelle mutinerie éclate, encore dirigée par Bosco Ntaganda sous l’appellation du Mouvement du 23 mars (M23) reprenant la référence de l’accord de 2009. L’objet du litige est essentiellement corporatiste, les mutins reprochant aux autorités de Kinshasa de ne pas respecter l’accord. Cette milice réussira à prendre la ville de Goma. Craignant une nouvelle guerre régionale, la Mission de l’Organisation des Nations-Unies pour la Stabilisation en République Démocratique du Congo (MONUSCO) se dote d’une brigade d’intervention qui permit de défaire les miliciens. De nouveau les pressions internationales sur le Rwanda aboutissent à l’arrêt de son soutien à ce groupe armé. Un accord de paix fut signé en fin d’année 2013 et la plupart des miliciens furent désarmés et exfiltrés en Ouganda.
Huit ans plus tard le Rwanda non seulement réactive le M23, mais l’équipe en matériels militaire lourd telles que l’artillerie et une défense anti aérienne particulièrement efficace contre les drones. Le pays des mille collines lui fournit aussi des milliers de soldats. Même si au départ Kigali nie l’évidence de ce soutien, les différents rapports des experts de l’ONU et d’ONG internationales apportent les preuves irréfutables de fournitures d’armes et d’hommes à cette milice. En plus de ce matériel conséquent, cette organisation se dote d’une structure politique l’Alliance Fleuve Congo (AFC) dirigée par Corneille Nangaa. Il est l’ancien président de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI). En 2008, il proclama, lors du scrutin majoritaire à un tour des élections présidentielles Tshisekedi vainqueur, pourtant arrivé en seconde position, fruit d’un accord avec Joseph Kabila l’ancien président. L’AFC tente d’unifier les différentes oppositions armées et politiques et affiche comme objectif le renversement du gouvernement.
La question de la terre
On aura remarqué la récurrence du sujet tutsi dans les crises successives que connait la RDC depuis de nombreuses années, corollaires de la politique coloniale de la Belgique. En effet cette dernière modifia de manière bureaucratique selon les besoins de son administration, le périmètre des chefferies. Elles ont comme fonction outre la gestion quotidienne des habitants, les fonctions de justice de proximité et d’attribution des terres.
Pour palier le manque de main d’œuvre au Congo, les colons belges procéderont à une politique d’émigration des populations venues du Rwanda. A cette occasion ils créent de toutes pièces une chefferie confiée à un Tutsi en territoire Buhunde qui crée une forte opposition au sein des populations. Jusqu’à sa dissolution en 1957 cette chefferie octroiera des terres aux immigrés rwandais.
Juste après l’indépendance du Rwanda en 1962, le gouvernement de Grégoire Kayibanda mena une politique de discrimination et de violence contre la population tutsi. Beaucoup d’entre eux vont émigrer vers les pays limitrophes. Cette vague de départs en partie de population instruite bénéficie au Congo notamment dans les différentes administrations. Cela favorisera l’accès au foncier pour les Tutsi, depuis que Mobutu décréta l’étatisation des terres. Ainsi des vastes propriétés ont été acquises.
Ces possessions sont vivement contestées par d’autres communautés parfois de manière violente. Ainsi en 1963 éclate la guerre de Kanyarwanda. Elle oppose les communautés Hunde et Nande se considèrant comme les autochtones en opposition aux Hutu et Tutsi. Le problème se complexifie avec une superposition et parfois une contradiction entre le droit coutumier et la législation, rendant des jugements aléatoires selon la juridiction voire même selon les magistrats.
Pour les Tutsi congolais, la pérennisation de la propriété de leurs terres est une question centrale. Elle est prise en charge par les différentes milices qui se sont créées au fil des belligérances et le M23/AFC n’échappe pas à la règle.
Souvent la presse généraliste explique que le conflit est lié à l’exploitation minière. Si cette question est sans nul doute importante elle ne surdétermine pourtant pas la politique des émanation miliciennes tutsi. Preuve en est c’est seulement deux ans après son offensive que le M23/AFC fait main basse sur Rubaya la plus grande mine de coltan.
Les objectifs du Rwanda
Evidemment pour les autorités rwandaises la question se pose de manière différente. Déjà avant la guerre, le Rwanda profitait de sa proximité géographique avec la région est de la RDC pour accueillir les flux souvent illégaux de minerais, particulièrement le coltan essentiel à l’industrie technologique. Avec le conflit et le contrôle des territoires par le M23/AFC, cette rente s’est accentuée à tel point que l’Union Européenne a signé avec Kigali un protocole d’accord de commercialisation des produits de l’extraction minière sachant fort bien qu’ils proviennent du pillage des ressources de la RDC.
Le fait pour le Rwanda d’être un fournisseur important de ces 3T l’acronyme anglais pour l’étain (cassitérite), le tungstène (wolframite) et le tantale (coltan) lui donne une importance sur la scène internationale qu’il tente de renforcer. Ainsi il fournit des contingents armés aux missions de la paix des Nations-Unies et envoie directement ses troupes protéger les installations des multinationales gazières et pétrolières au Mozambique. Cette politique s’accompagne d’actions de soft power comme les courses cyclistes internationales renommées comme le tour du Rwanda ou des messages publicitaires favorisant le tourisme, floqués sur les maillots de l’équipe nationale française de football.
Au niveau régional existe une compétition avec l’Ouganda. Il n’est pas anodin que le M23 ait été relancé après huit ans de léthargie, au moment où le président de la RDC Felix Tshisekedi a signé un accord de construction d’infrastructures routières avec l’Ouganda sur deux axes Kasindi-Beni-Butembo et Bunagana-Goma, ce dernier tronçon serait contigu avec la frontière rwandaise. Kagamé avait demandé en vain à la présidence congolaise d’abandonner ce projet considéré comme une menace de marginalisation économique pour son pays.
Cette opposition entre Rwanda et Ouganda n’est pas nouvelle comme on l’a vu précédemment avec l’éclatement du RCD lors de la « grande guerre africaine ».
Officiellement le Rwanda considère que le conflit qui oppose le M23/AFC avec Kinshasa est une affaire interne à la RDC, même si parfois les autorités rwandaises expliquent leur soutien à cette milice afin de lutter contre le danger que représenterait les FDLR pour la sécurité du pays. Si ces dernières étaient effectivement une menace après la fin immédiate du génocide en 1994 ce n’est plus le cas depuis longtemps. Cette milice ne regroupe plus qu’un millier de combattants et l’essentiel de leurs activités sont tournées vers le racket et l’exploitation des populations congolaises. Par contre il est vrai qu’existe un sentiment plus ou moins diffus sur la soi-disant non « congolité » des communautés tutsi qui fait planer une menace sur ces populations. L’intervention du pays des milles collines aurait pour but la protection de ces communautés mais force est de constater qu’avec cette intervention, le Rwanda n’a fait qu’aggraver le ressentiment contre les Tutsi. Un ressentiment nourri par des déclarations démagogiques de politiciens présents dans l’entourage de Tshisekedi comme le député et ancien ministre Justin Bitakwera qui déclarait : « chaque Tutsi est un criminel né, ayant le même créateur que le diable » ou l’actuel ministre de la Justice Constant Mutamba appelant à une chasse aux rwandophones.
Même s’il cela est minoritaire, des voix s’élèvent au Rwanda pour contester les frontières actuelles et défendre l’idée que la région est de la RDC ferait partie du pays des mille collines en référence aux conquêtes au 19ème siècle du roi rwandais Rwabugiri qui se seraient étendues aux actuels territoires de Rutshuru, de Masisi et de Walikale. Argument largement réfuté par la plupart des historiens. Car ces conquêtes se résument à quelques prises de chefferies accolées au Rwanda comme celles de Jomba et de Bwisha. Ces allégations ont seulement pour fonction d’alimenter un discours nationaliste. En tout cas, le contrôle d’une partie des territoires de la région Kivu permet au Rwanda d’acquérir une profondeur stratégique. Cette guerre a au moins un avantage pour Paul Kagamé, celui de justifier sa dictature. Après trente ans de pouvoir les dernières élections de 2024 lui ont donné un score … de 99,18%.
L’inefficience du Gouvernement
Ce qui est remarquable est la facilité avec laquelle les troupes du M23/AFC ont progressé et ainsi pris le contrôle de parties importantes du territoire de la région des Kivu en particulier les deux capitales régionales Goma et Bukavu.
Cette situation reflète l’état catastrophique des Forces Armées de RDC (FARDC) minées par la corruption et l’incurie. Cette armée est comme une sorte de mille feuilles résultantes de l’intégration au fil du temps et des accords de paix de nombres de milices qui ont gardé, bien que de manière informelle, leur propre commandement hiérarchique. Quant aux officiers supérieurs, ils n’hésitent pas à détourner les fonds destinés à la solde des troupes, au ravitaillement en armes, munitions, énergies et nourritures.
La présidence de la RDC est bien consciente de cette situation et a tenté de contourner le problème de deux manières. En interne, les autorités congolaises ont mobilisé les milices qui pullulent dans la région en leur donnant une certaine légalité. Ils combattent sous le terme de Wazalendo, les patriotes en swahili. Cette politique donne un blanc-seing aux multiples seigneurs de guerre qui terrorisent les populations et se rendent coupables tout comme les miliciens du M23/AFC des pires exactions notamment contre les femmes. Cette politique a eu pour effet seulement de ralentir la progression de la milice soutenue par le Rwanda. D’autant que certains Wazalendo commencent à passer avec armes et bagages du côté du M23/AFC même si pour l’instant cela reste marginal.
En Externe, Tshisekedi a fait appel aux armées de différents pays espérant renouveler l’expérience de la seconde guerre du Congo. Ainsi successivement l’armés kenyane est intervenue en évitant de s’affronter avec la coalition M23/AFC et l’armée rwandaise. Puis ensuite ce fut au tour de l’Afrique du Sud sans être pour autant capable d’enrayer la progression de la rébellion en dépit d’un déploiement de 2900 hommes tout comme d’ailleurs les mercenaires de la société Agemira dirigée par un ancien gendarme français ou de la société roumaine Asociatia RALF.
Le président n’a plus d’autre choix que de négocier directement avec le M23/AFC, lui qui s’était juré de ne jamais traiter avec ce qu’il considérait comme les supplétifs du Rwanda. Il semble que la médiation du Qatar a été décisive marginalisant les efforts diplomatiques des instances africaines régionales de l’Afrique centrale et australe. Récemment l’Union Africaine a dépêché son émissaire le dictateur togolais Faure Gnassingbé censé décliner les orientations issues des pourparlers de Doha. Désormais la presse parle de progrès vers la paix.
Reste que le M23/AFC a l’intention de s’installer dans les territoires conquis. Il a mis en place une administration et a adopté des lois comme les travaux communautaires du samedi appelés « Salongo ». Il a aussi remplacé les chefs coutumiers, certains ont même été exécutés.
S’il y a un point commun entre la politique du M23/AFC et celle des autorités congolaises c’est la persécution contre les organisations citoyennes. Ainsi la Lucha, une ONG militante, a subi successivement la répression du gouvernement notamment lors de l’instauration de la loi martiale, puis celle de la rébellion.
Une nouvelle page politique
Une nouvelle situation politique s’ouvre. Le président congolais est affaibli, lui qui pendant la dernière campagne électorale des présidentielles avait fait de la défense de l’intégrité territoriale et de la souveraineté du pays l’axe majeur de son programme. Cette faiblesse se traduit notamment par le refus de l’opposition de répondre à son invitation de constituer un gouvernement d’union nationale. Ses velléités de modifier la constitution avec l’objectif inavoué de briguer un troisième mandat est actuellement largement compromis.
En parallèle Corneille Nangaa et son organisation l’AFC devient un acteur majeur. Elle a su fédérer une partie des milices comme bien sûr, les Twiraneho au Sud Kivu qui est un groupe d’auto-défense des Banyamulenge, des Tutsi qui sont en RDC bien avant la période coloniale, mais aussi la Coalition des patriotes résistants congolais (PARECO) présente dans le Nord Kivu, les Force de résistance patriotique de l’Ituri (FRPI) dont les anciens chefs ont été condamnés par la Cour Pénale Internationale pour crime contre l’humanité et bien d’autres de moindre importance. Elle a recruté des personnalités politiques à l’image de l’ancien porte-parole du mouvement de Libération du Congo de Jean-Pierre Bemba actuel vice premier ministre ou Adam Chalwe l’ex dirigeant du Parti du Peuple pour la Reconstruction et la Démocratie (PPRD) de l’ancien président Joseph Kabila. Ce dernier d’ailleurs, est désormais dans le viseur des autorités congolaises. Il est accusé d’être complice de la rébellion. Ainsi l’ensemble de ses avoirs a été saisi. Des membres de la direction du PPRD ont également été emprisonnés sans aucune forme de procès.
Félix Tshisekedi tente de tirer profit de la nouvelle administration Etats-Unienne en proposant un accord consistant en la protection de la RDC par les USA contre l’exploitation des minerais. La Maison Blanche par la voix de Massad Boulos, le conseiller Afrique de Donald Trump, s’est montrée intéressée par cette proposition et des discussions sont en cours. Dans le même temps on note une condamnation beaucoup plus ferme de Washington sur les menées militaires du Rwanda en RDC.
Une situation humanitaire catastrophique
Depuis des décennies avec les guerres successives, la violence ne cesse de s’abattre sur les populations. Les coupables sont autant les membres des Forces armées du Congo que des milices, qui en dépit de leur appellation pompeuse, pillent violent et tuent. Les derniers exemples illustrent le mépris des civils, que cela soit par les combattants de la coalition du M23/AFC et du Rwanda qui n’ont pas hésité à bombarder à l’artillerie lourde des camps de déplacés aux alentours de la ville de Saké le 3 mai 2024, ou les pillages perpétrés par les Wazalendo à Goma juste avant l’arrivée de la rébellion. Lors de la prise de Goma les nouvelles autorités ont donné 48 heures aux réfugiés pour partir et rejoindre leur village pourtant totalement détruit, sans vivres et sans aucune garantie de sécurité pendant leur périple. Lors des négociations entre Kinshasa et les rebelles, ces derniers ont quitté la ville de Walikale, les miliciens se sont adonnés aux vols et aux agressions contre les habitants des villages situés le long de leur retraite. Les jeunes hommes sont recrutés de force et le corps des femmes et des jeunes filles sont transformés en champs de bataille. Comme l’explique le docteur Mady Biaye spécialiste au Fonds des Nations Unies pour la population : « C’est une façon, par exemple, de dominer ou bien de détruire le tissu familial et la communauté afin de récupérer des terres »
Les Nations-Unis estiment qu’une femme est violée toutes les quatre minutes. En 2023 leur nombre s’élevait à 123 000 et est en augmentation en 2024 pour atteindre 130 000, et encore il ne s’agit que de cas déclarés. La réalité est bien supérieure.
La responsabilité partagée des potentats locaux et des dirigeants des pays riches est patente et illustre la face sombre du capitalisme avide de minerais pour ses industries high- tech.
Paul Martial
27/04/2025
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