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Petites avancées sur la réforme agraire dans l’est de la RDC

D 1er mars 2013     H 05:09     A IRIN     C 0 messages


KINSATI - Dans la province du Nord-Kivu, en République démocratique du Congo (RDC), Shukuru Rudahunga enlève les mauvaises herbes qui envahissent le lopin de terre sur lequel elle fait pousser du sorgho tout en gardant un oil sur le coteau abrupte qui le surplombe ; elle sait qu’elle prend de grands risques.

Plusieurs personnes sont mortes dans des glissements de terrain dans les environs de Kinsati, à 40 km de la ville de Goma.

« S’il a plu et que je vois la terre se mettre en mouvement, j’arrête de travailler et je m’éloigne du coteau », a-t-elle dit à IRIN.

L’érosion emporte les semences et les plantes, et dégrade la fertilité du sol. Pour se protéger contre les pertes de sols, les villageois savent qu’ils devraient laisser en jachère les coteaux les plus abruptes après quelques saisons de culture.

Mais « on ne le fait pas, car il n’y a pas suffisamment de terres », a dit Mme Shukuru.

La surexploitation s’est également traduite par une baisse des rendements. Le professeur Gabriel Hanyurwa se souvient que, dans les années 1980, les fermiers produisaient 20 sacs de haricot par hectare de terre contre seulement 6 à 8 sacs aujourd’hui.

La pénurie de terres résulte en partie de la croissance démographique et en partie de l’agrandissement des exploitations d’élevage bovin.

« Depuis que les grands éleveurs ont amené leur bétail ici, nous n’avons plus assez de champs », a dit M. Hanyurwa.

« Les éleveurs préfèrent installer leurs troupeaux sur les terres que nous voulons cultiver », a dit Therese Tusali, une autre habitante du village.

Dans un rapport de 2010 intitulé « Terre, Pouvoir et Identité : Les causes profondes des violents conflits dans l’est de la République démocratique du Congo », Chris Huggins a noté que les dernières décennies ont été marquées par une « aliénation massive des terres possédées sous le droit coutumier » favorable aux éleveurs dans les provinces du Kivu [ http://www.international-alert.org/fr/resources/publications/terre-pouvoir-et-identit%C3%A9 ].

Les habitants de Kinsati et d’autres régions n’ont pas eu voix au chapitre.

Facteurs exacerbant le conflit

Les différends liés à la terre sont le moteur principal du conflit dans l’est de la RDC, et ils entravent le développement de tout le pays. Selon certains chercheurs, le conflit agraire, qui est enraciné dans les problèmes de droits fonciers et de citoyenneté, est la principale cause des guerres dans la région du Kivu [ http://www.africacanada.org/wp-content/uploads/2010/06/Land_Citizenship_and_Conflict_in_the_Kivus_1.pdf ].

La densité de la population, la colonisation et les arrivées massives de migrants rwandais ont fait de l’accès à terre une question fondamentale dans le Nord-Kivu et dans le Sud-Kivu. À ces facteurs s’ajoutent un pouvoir judiciaire corrompu et un droit foncier imparfait.

Dans le livre « From Genocide to Continental War » publié en 2007, Gérard Prunier qualifie l’ampleur de la « course à la terre » sous la présidence de Mobutu Sese Seko d’« incroyable », citant en exemple la tentative d’un homme d’affaires de prendre le contrôle de 230 000 hectares en 1980, alors que la superficie moyenne des parcelles n’excédait pas un hectare.

L’accaparement de terres, et notamment de terres appartenant aux communautés déplacées, s’est poursuivi au cours des guerres de ces deux dernières décennies, et la perspective de la création d’une commission foncière chargée d’enquêter sur ces transferts est un « facteur qui a alimenté le conflit », a souligné M. Huggins [ http://www.academia.edu/835635/Land_Conflict_and_Livelihoods_in_the_Great_Lakes_Region_Testing_Policies_to_the_Limit ].

Initiatives de médiation

Dans le cadre de leurs opérations de réinstallation des communautés déplacées, les agences d’aide humanitaire sont intervenues dans le règlement des conflits fonciers. Le Programme des Nations Unies pour les établissements humains (ONU Habitat) gère le plus important de ces programmes. En 2012, ses trois centres de médiation implantés dans la région ont identifié 1 690 conflits fonciers et résolu 641 de ces conflits.

La conférence organisée en Belgique en septembre 2012 a passé en revue les interventions des bailleurs de fonds dans les conflits fonciers dans l’est de la RDC ; la plupart des fonds ont été consacrés aux programmes de médiation. Koen Vlassenroot, l’organisateur de la conférence, indique qu’il a été convenu que la « médiation n’a, semble-t-il, qu’un impact sur les conflits entre les agriculteurs ; dès que les acteurs de premier plan, comme les grands propriétaires fonciers ou les commandants de l’armée, sont impliqués, cela devient très, très difficile ».
Les participants à la conférence s’inquiétaient également du fait que les programmes de médiation souffraient « d’un grave manque de cohérence et de coordination », et de viabilité.

M. Vlassenroot a noté que deux autres initiatives peuvent permettre de résoudre les conflits fonciers : la participation à l’enregistrement des revendications foncières - qui a eu des « résultats limités » et engendre « toutes sortes de problèmes » - et la participation aux efforts entrepris par les organisations d’agriculteurs au niveau local pour engager un processus de réforme foncière.

Un rapport d’International Alert met en lumière les initiatives mises en place au niveau local par le Forum des amis de la Terre (FAT) et la Fédération des organisations de production agricole du Congo (FOPAC), dont le succès dans les activités de plaidoyer menées pour l’intégration des préoccupations clés des agriculteurs dans le nouveau code agricole offre « une démarche particulièrement intéressante en matière de consolidation de la paix ». Ces interventions ont été peu soutenues par les bailleurs de fonds [ http://www.international-alert.org/sites/default/files/publications/201210SortirImpasseRDC-FR.pdf ].

Le plaidoyer du FAT et de la FOPAC a permis l’inclusion dans le code agricole de dispositions prévoyant la médiation des conflits fonciers, l’identification et la réattribution des parcelles non utilisées et une meilleure représentation des « paysans » ou travailleurs agricoles dans le processus de décision local. Le gouvernement n’a toutefois pas encore approuvé les mesures de mise en ouvre pour la nouvelle loi.

Les paysans s’attaquent au droit foncier

Ces organisations recommandent une réforme du droit foncier, qui n’offre pas de définition des droits fonciers coutumiers. En 1975, les chefs ont perdu leur pouvoir d’attribution des terres, mais bon nombre d’entre eux continuent de l’exercer.

Le FAT et la FOPAC ont tenu des consultations auprès des organisations d’agriculteurs de plusieurs provinces et ont organisé un forum à Goma, dans la province du Nord-Kivu, en octobre 2012. À l’occasion de ce forum, plusieurs recommandations ont été formulées dans le but d’améliorer le droit foncier : elles proposaient notamment de retirer l’immunité qui mettaient les responsables du bureau d’enregistrement des biens fonciers commettant des « erreurs » à l’abri de poursuites judiciaires, de publier les détails relatifs aux transferts de terre injustes et de révéler la propriété des concessions foncières non utilisées.

Cependant, aucune de ces recommandations, qui sont sensibles sur le plan politique, ne figurait dans le bulletin de la FOPAC. Selon ce bulletin, les participants ont demandé aux chefs coutumiers de respecter les attributions de terres réalisées par leurs prédécesseurs ; ils ont réclamé une diminution des impôts sur les actes-titres et une reconnaissance de la légalité des documents de location établis par les chefs. Aucune de ces recommandations n’a pour l’instant été soumise à un vote.

Simplexe Malembe, coordonnateur du FAT, a dit à IRIN que si le gouvernement décidait de reconnaitre la légalité des attributions de terres réalisées par les chefs, il lui faudrait s’assurer que chaque chef soit accompagné par un représentant du comité consultatif de la communauté. « Ce principe est déjà inscrit dans la constitution », a-t-il dit, « et nous essayons de le faire appliquer dans le cadre du droit rural. Mais le gouvernement et le bureau d’enregistrement des actes n’y sont pas favorables, car cela leur fait perdre une bonne partie de leurs revenus ».

Les participants au forum se sont accordés sur le fait que les associations d’agriculteurs doivent renforcer leur représentation au niveau local et améliorer leur communication auprès des petits exploitants.
Le rapport d’International Alert recommande un « dialogue partant de la base » afin de trouver des solutions locales et de promouvoir la construction de la paix. M. Malembe partage cet avis : « Au sein du mouvement paysan, le dialogue doit partir de la base pour remonter jusqu’au sommet, mais aussi partir du sommet pour descendre jusqu’à la base ».

Jean-Baptiste Musabyimana, chargé de la communication au sein de la FOPAC, a dit à IRIN qu’il souhaiterait inclure davantage de tribunes téléphoniques dans ses émissions - un format « partant de la base » popularisé par la Radio Okapi des Nations Unies en RDC - afin que les populations rurales puissent donner leur avis sur les problèmes rencontrés au sein de leurs communautés ; aujourd’hui, la seule émission radiophonique de la FOPAC qui inclut une tribune téléphonique porte sur les prix agricoles.

L’action du gouvernement

La bonne nouvelle, selon M. Vlassenroot, est que le gouvernement semble être prêt à résoudre les problèmes fonciers dans tout le pays. Lors d’un atelier organisé à Kinshasa en juillet, le gouvernement et ONU Habitat ont élaboré une « feuille de route » afin de réformer le droit foncier et la gouvernance des terres.

Le mois dernier, le directeur-adjoint du cabinet du ministère des Affaires foncières, Albert Paka, a répondu aux questions des journalistes d’IRIN sur le processus de réforme. Il reconnait que le gouvernement doit accélérer les réformes en appliquant la première mesure de la feuille de route : nommer un comité directeur chargé de coordonner les travaux relatifs au processus.

Mais déterminer qui est le propriétaire légitime de terres et qui est autorisé à posséder des terres constituera un obstacle majeur. Le nouveau code agricole limite, par exemple, la part des investissements étrangers dans les terres agricoles en RDC à 49 pour cent ; M. Paka a confirmé que le gouvernement prévoyait de réviser cette clause. La révision de cette clause constituera probablement une condition préalable à de nouveaux investissements étrangers dans le secteur agricole en RDC.

M. Paka a laissé entendre que la RDC pourrait suivre l’exemple d’autres pays et racheter les terres coutumières, suggérant que ces terres pourraient ensuite être vendues à des investisseurs étrangers. De nouvelles études devront être effectuées avant de prendre une telle décision, a-t-il indiqué.

Il sera également important de s’entretenir avec les chefs et de comprendre les coutumes locales, a-t-il dit à IRIN. « Dans certaines régions du pays, les terres appartiennent aux chefs, tandis que dans d’autres régions du pays, les terres appartiennent à la communauté, et les chefs sont de simples arbitres des droits fonciers ».

Les recherches de M. Huggins suggèrent que les revendications foncières des chefs sont plus fortes dans les zones densément peuplées, où la pénurie de terres est un problème sérieux. Dans ces régions, l’achat de terres par le gouvernement et leur vente à des investisseurs étrangers pourraient engendrer une grave polémique.

« La reconnaissance des chefs coutumiers sera la pierre angulaire de la gouvernance des terres », a souligné M. Paka.

Interrogé sur l’éventualité de la mise en place de garde-fous contre les décisions injustes prises par des chefs traditionnels, M. Paka a indiqué que si les chefs devaient être reconnus comme les détenteurs des terres, ils feraient partie de l’administration et ils recevraient l’aide d’experts techniques, dont les capacités doivent être renforcées. Il a refusé de spéculer sur la façon dont l’administration des terres évoluerait si le gouvernement se démocratisait au niveau de la chefferie.

M. Paka a indiqué que le gouvernement devra intervenir pour aider la RDC à réaliser son potentiel agricole. La pénurie de terres reste inquiétante, mais une étude récente a montré que 73 pour cent des terres agricoles autour de Kinshasa sont inutilisées, a-t-il dit.

La Confédération nationale des producteurs agricoles du Congo a dit à IRIN que la plupart des terres autour de Kinshasa sont inutilisés, car elles ont été achetées par des spéculateurs en vue de la réalisation d’investissements dans les biocombustibles.

Source : http://www.irinnews.org