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RDC : Bukavu 2010, capitale de la solidarité féministe internationale

D 31 janvier 2011     H 04:41     A Christine Vanden Daelen     C 0 messages


Du 13 au 17 octobre 2010, venues des quatre coins de notre planète, des milliers de femmes partageant les mêmes valeurs d’égalité, de liberté, de solidarité, de justice et de paix |1| convergèrent vers Bukavu, à l’est de la République démocratique du Congo, pour participer à la clôture de la 3ème Action Internationale de la Marche Mondiale de Femmes (MMF).

C’est lors de sa VIIème Rencontre internationale (Vigo - octobre 2008) que la MMF décida d’une voix forte et unanime d’achever les innombrables mobilisations qui jalonnèrent sa 3ème Action internationale à Bukavu, ville où les actes de violence les plus extrêmes sont perpétrés envers les femmes afin de les détruire physiquement et psychologiquement et, à travers elles, d’anéantir toute capacité de lien social et de vie, ville où les corps des femmes servent de butins de guerre et sont devenus de véritables champs de bataille, ville où le viol est tellement systématisé qu’il en est devenu banal. En se fixant comme objectif d’aller dans l’un des endroits les plus dangereux pour la vie même des femmes et des filles, les militantes de la MMF firent non seulement un véritable « pied de nez aux agresseurs » mais donnèrent également au monde entier une preuve du courage et de la solidarité des femmes. Se retrouver dans un lieu de conflit armé démontre également la ténacité de la lutte de la Marche mondiale contre la militarisation croissante de nos sociétés, militarisation soutenue par le patriarcat dans ses liens avec le capitalisme et le racisme. En se rassemblant pour son ultime mobilisation à Bukavu, la MMF espère contribuer à renforcer l’autonomie socio-économique et politique des femmes congolaises, faire pression pour que les textes de l’ONU condamnant les violences faites aux femmes soient enfin appliqués afin que cesse l’impunité dont jouissent les responsables d’agressions sexuelles, lutter pour que les ressources naturelles du pays bénéficient au peuple congolais et que le pays s’achemine vers une paix durable qui commence par la démilitarisation de l’est de la RDC et le désengagement progressif et concerté de la MONUSCO (Mission de l’ONU pour la Stabilisation de la RDC).

Une des grandes réussites de cette action fut incontestablement la mobilisation de pas moins de 3 000 femmes qui durant trois jours participèrent aux débats et autres activités réalisées à l’Athénée d’Ibanda, transformée en une véritable tribune féministe pour l’occasion |2|. Les différents panels portant sur les quatre champs d’action de la Marche |3| permirent aux participantes d’exprimer et de partager leurs expériences d’oppression et de violences mais aussi d’échanger sur des propositions d’alternatives susceptibles de contribuer à leur émancipation totale et réelle. Lors des débats intenses qui rythmèrent ces journées, les femmes se sont réapproprié la parole et avec elle, la liberté de dénoncer, de nommer les auteurs des violences ainsi que les intérêts en jeu. Même la tombée de la nuit ne parvenait pas à atténuer l’enthousiasme de toutes ces femmes heureuses de pouvoir partager leurs vécus, leurs ressentis, leurs analyses et leurs espoirs.

La visite, le 16 octobre, d’une délégation de la Marche mondiale à Mwenga, village où, en 1993, 13 femmes furent enterrées vivantes après avoir été humiliées et torturées fut un événement fort et symbolique de la détermination des activistes de la Marche de lutter contre les silences et l’impunité qui caractérisent encore, toujours et partout de trop nombreux crimes commis contre les femmes (et contre l’humanité). Cette manifestation de solidarité féminine fut un réel appui psychosocial pour les survivantes de ces atrocités et vecteur d’espoir de justice |4| pour les femmes rurales de cette région où règne l’insécurité. Une maison polyvalente pour les femmes de Mwenga est désormais en cours de construction.

Une incroyable Marche pour la Paix rassemblant 20 000 femmes (…et quelques hommes !) dansant, chantant et scandant des slogans tels que « Les richesses du Congo, aux Congolaises ! », « Dégage, dégage, les femmes sont en colère ! », « La MONUSCO ne nous protège pas, Nous les femmes on le fera ! », « Nos vagins sont fatigués ! » ou encore l’universel « Sol, sol, sol, solidarité avec les femmes du monde entier ! » clôtura cette 3ème Action Internationale de la MMF à Bukavu. Notons que pas moins de 250 journalistes nationaux ou internationaux de la presse écrite, radiophonique et télévisée médiatisèrent cet événement lui assurant ainsi un impact certain autant auprès de l’opinion publique que des décideurs et permettant à la Marche mondiale de garder en mémoire cette mobilisation exceptionnelle.

Quelques couacs organisationnels et dérives politiques ternissent cependant le bilan que la MMF peut faire de ses activités à Bukavu. En effet, le manque de cabines et de casques de traduction empêcha que les débats se déroulent dans les cinq langues prévues (français, espagnol, anglais, portugais, swahili), le coût des inscriptions était prohibitif (10 dollars par personne, ce qui est tout à fait inaccessible pour les femmes congolaises dont le salaire est de 40 dollars par mois) et surtout la Marche mondiale n’a pu trouver la parade à la récupération politique de son propre événement, orchestrée par l’appareil kabiliste à la veille des élections présidentielles de 2011 et symbolisée par l’omniprésence de plusieurs officiel-le-s : Mme Olive Kabila, la Ministre du Genre, des représentants des gouvernement provinciaux, etc. Ces faiblesses ont été identifiées et critiquées en réunion d’évaluation de la Marche tenue le lundi 18 octobre, journée de lancement du Séminaire du CADTM Afrique sur la dette. A la lecture du document réalisé par le Secrétariat international de la MMF |5|, on ne peut qu’escompter que ce mouvement unique de solidarité féministe international parviendra à tirer enseignements de ses faiblesses pour continuer à rassembler, au-delà de leurs différences, les femmes du monde entier dans leur lutte commune contre le patriarcat, le capitalisme et le racisme. Au regard des énergies déployées, des défis relevés et des résultats atteints par la Marche mondiale des femmes durant sa 3ème Action Internationale, soyons bien convaincu-e-s que tant que toutes les femmes ne seront pas libres, les militantes de la MMF ne cesseront d’être en marche !

Christine Vanden Daelen

Notes

|1| Voir la Charte mondiale des femmes pour l’humanité, http://www.marchemondialedesfemmes....

|2| La délégation internationale de la MMF rassembla 144 femmes venant de 40 pays des cinq régions du monde. Avec la délégation provenant des mouvements alliés dont le CADTM faisait partie, elle regroupait plus de 220 femmes de 41 pays.

|3| Paix et démilitarisation, l’autonomie économique des femmes, les violences envers les femmes, biens communs et services publics.

|4| En se rendant à Mwenga, la MMF a contribué à diffuser la demande de la saisine d’un tribunal spécial international pour juger les responsables de ces crimes perpétrés avant 2002 et donc, en raison d’accords de paix ratifiés, non passibles de jugement.

|5| http://www.mmf2010.info:8080/our-ac...

Source : http://www.cadtm.org