RDC- Joseph Kabila et les géants du secteur minier : comment les meilleurs amis sont devenus adversaires
16 décembre 2018 05:17 , 0 messages
Le nouveau code minier du Congo va-t-il profiter aux générations futures ? Les analystes sont sceptiques.
Pratiquement depuis le début de l’année, la République démocratique du Congo (RDC) assiste à un face-à-face tendu qui oppose deux des plus puissantes forces du pays. Il y a d’un côté le président Joseph Kabila, le dirigeant politique du pays au pouvoir depuis 2001 et, de l’autre côté, un groupe de compagnies minières internationales multimilliardaires.
C’est un nouveau code minier qui est à l’origine du différend. Les détails de cette législation font l’objet d’un débat depuis quelques années, mais une version finale été adoptée par le Parlement en janvier. Plusieurs multinationales ont vivement protesté contre certains éléments du nouveau code et n’ont pas tardé à annoncer leur opposition au texte.
Elles étaient particulièrement hostiles à trois dispositions : une augmentation des redevances de 2 % à 3,5 %, la suppression d’une « clause de stabilité » du précédent code, qui garantissait une période de grâce de dix ans suite à tout amendement, et la désignation de certains minerais comme le cobalt dans la catégorie des produits « stratégiques », donc soumis à des redevances plus élevées pouvant aller jusqu’à 10 %.
Les dirigeants de cinq des plus grandes compagnies minières – Glencore, China Molybdenum, Randgold, Zijin Mining et Ivanhoe – ont publiquement fait pression sur le président Kabila pour qu’il n’adopte pas le code sans procéder à de profondes modifications. Ils ont même menacé d’intenter une action en justice.
Les compagnies minières ont peut-être été encouragées à agir ainsi en raison de la fragilité du président à ce moment-là. En effet, la légitimité de Joseph Kabila était fortement contestée parce qu’il n’avait pas organisé d’élections à la fin de son mandat constitutionnel en décembre 2016. Depuis deux ans, le dirigeant est confronté à de nombreuses difficultés, notamment des manifestations de grande ampleur contre son pouvoir, la critique internationale et une hausse des affrontements locaux. Au moment de signer le nouveau code, toutefois, Joseph Kabila n’a pas hésité. Il a adopté le texte en juin sans apporter aucun des changements réclamés par les compagnies minières.
Nouveaux amis et avantages mutuels
C’était inattendu. Quasiment depuis que Joseph Kabila gouvernait le pays, il entretenait une relation très étroite avec les compagnies minières. Peu après son arrivée au pouvoir en 2001, le président avait assoupli de nombreuses réglementations et promulgué un code minier rédigé par la Banque mondiale. Suite à l’incertitude générée par la présidence de Mobutu Sese Seko (1965-1997) et à la gabegie du régime du président Laurent-Desiré Kabila (1997-2001), ce nouveau code attirait les investisseurs étrangers en leur offrant des accords qui allaient bien au-delà de leurs espérances.
La nouvelle législation était assortie de faibles taxes, d’une myriade de déductions fiscales et d’un ensemble d’exonérations fiscales. En outre, avec le code minier de 2002, le gouvernement se retrouvait pieds et poings liés à deux niveaux. En premier lieu, le code interdisait tout amendement à la législation pendant une période de dix ans. En second lieu, il comportait une disposition signifiant que toute modification apportée au régime budgétaire à l’issue de cette période de dix ans n’entrerait en vigueur qu’après une autre décennie. En d’autres termes, le code minier garantissait aux compagnies de bénéficier d’avantages budgétaires pendant au moins vingt ans.
Ce système était économiquement profitable aux compagnies minières, et politiquement profitable à Joseph Kabila. À ce moment-là, il prenait part à des négociations pour la paix avec des adversaires politiques. Ces négociations étaient menées de main de maître par la communauté internationale et M. Kabila a compris qu’il était essentiel de gagner la faveur des pouvoirs occidentaux pour réaliser ses ambitions.
Le fait de faire passer un code minier aussi favorable aux entreprises lui a donné une longueur d’avance sur ses opposants, qui l’ont ensuite rejoint pour former un gouvernement de transition.
Alors que sa présidence débutante s’installait, les relations entre le gouvernement et les compagnies minières continuaient d’être chaleureuses et mutuellement avantageuses. Pendant ces premières années, comme l’a constaté la Commission Lutundula en 2005, plusieurs fonctionnaires au carnet d’adresses bien rempli, y compris des membres de la famille du président Kabila, ont pris part à des contrats secrets avec des compagnies minières étrangères.
En 2007, le gouvernement de Joseph Kabila – qui avait remporté, l’année précédente, les premières élections ouvertes de RDC depuis quatre décennies – a annoncé que 63 contrats d’exploitation minière seraient réexaminés. Cette déclaration a fait naître un espoir de rééquilibrage des accords démesurément favorables aux compagnies minières.
Mais au lieu de cela, le processus a finalement donné au gouvernement – par l’intermédiaire de l’exploitant public Gecamines – encore plus de liberté pour négocier des transactions opaques avec des compagnies souvent peu scrupuleuses.
Selon les termes de l’Africa Progress Group, le secteur minier de RDC se caractérise par « une culture du secret, des accords informels et des allégations de corruption. » Les membres du Groupe ont observé que, entre 2010 et 2012, le pays avait perdu au moins 1,36 milliards de dollars de recettes « en raison du prix trop bas des actifs miniers vendus à des entreprises implantées à l’étranger. »
Un nouveau code minier qui met l’amitié à rude épreuve
En 2012, il était impossible d’ignorer que le code minier devait être mis à jour. Il avait réussi à attirer des investisseurs et à profiter à des personnes initiées du régime, mais il avait également favorisé les inégalités et la pauvreté d’une manière intenable. Même le Fonds monétaire international reconnaissait que le code minier de 2002 avait été trop généreux.
Le processus de révision du code a alors été lancé. Le code précédent avait été élaboré par la seule Banque mondiale. Cette fois, des représentants du gouvernement, du secteur privé et de la société civile ont participé aux négociations au titre de partenaires égaux. Les décisions ont été prises par consensus.
Ce processus ne s’est pas déroulé sans difficulté. Lorsque les prix du métal se sont effondrés en 2012, les compagnies minières ont affirmé que toute révision du code menacerait leur activité. Le gouvernement semblait d’accord sur ce point. Mais grâce à la pression de la société civile et de certains députés, les négociations se sont poursuivies et, en 2015, un projet de code minier a été déposé au Parlement. Une fois encore, cependant, les multinationales ont déploré la mauvaise situation du marché et convaincu le gouvernement de retirer unilatéralement le projet de loi.
Un débat public a alors pris place pendant une année. Au final, le projet de loi a de nouveau été déposé pour examen. En dépit des fortes pressions exercées personnellement sur Joseph Kabila par les compagnies minières et malgré leur résistance tenace, le texte a été approuvé à la fois par l’Assemblée nationale et le Sénat début 2018.
Le gouvernement de Joseph Kabila s’est alors interposé. Tandis qu’une commission paritaire se réunissait pour atténuer les divergences entre les versions du projet de loi adopté par les deux chambres du Parlement, le gouvernement est intervenu dans la procédure pour faire passer à la dernière minute plusieurs amendements d’une portée considérable.
La nature de cette intervention a pris tout le monde de court. Au lieu d’assouplir le code pour leurs amis de l’industrie minière, les représentants du président Kabila ont fait exactement le contraire, en ajoutant les mesures aujourd’hui les plus controversées du code : la suppression de la période de dix ans avant l’entrée en vigueur de toute modification, ainsi que la redéfinition et la hausse des redevances sur les produits stratégiques.
À la recherche d’un avantage politique
Plusieurs phénomènes peuvent expliquer le changement d’attitude radical de Joseph Kabila.
D’un côté, il a pu être contrarié par le manque de loyauté qu’il aurait ressenti de la part des compagnies minières. Depuis le début de sa présidence, l’approche de M. Kabila à l’égard de ce secteur était largement favorable aux multinationales. Il a également pris personnellement part à des accords miniers, souvent par l’intermédiaire de son ami proche Dan Gertler, qui a facilité les accords passés avec la société Glencore.
Or, au moment où les États-Unis imposaient des sanctions au milliardaire israélien, Glencore n’a pas tardé à prendre ses distances vis-à-vis de Dan Gertler, après quoi une avalanche d’actions en justice ont été intentées contre la multinationale suisse, et les autorités congolaises ont commencé à découvrir des irrégularités qui existaient depuis près d’une décennie.
D’un autre côté, le changement vient peut-être aussi des calculs politiques et économiques plus profonds de Joseph Kabila. Comme le président est prié de quitter le pouvoir à l’issue des élections longuement reportées et enfin fixées au 23 décembre, il a moins de raisons d’entretenir de bonnes relations avec les compagnies minières à l’avenir, et plus de raisons d’obtenir à court terme l’avantage politique et économique qu’il peut encore espérer.
Cela explique peut-être pourquoi Albert Yuma, le président de Gecamines et l’un des principaux gestionnaires des intérêts commerciaux de Joseph Kabila, a supervisé le nouveau code minier au Parlement, et non le ministre des Mines Martin Kabwelulu, qui a été complètement écarté du processus.
Pour le moment, la stratégie intransigeante de Joseph Kabila semble fonctionner. Les compagnies qui avaient menacé de porter plainte ou de se retirer de la chambre des mines ont récemment décidé de renouer le dialogue avec le gouvernement.
Entre-temps, en avertissant Glencore qu’il pourrait engager des poursuites auprès des tribunaux notoirement influençables du pays, Joseph Kabila a réussi à obtenir de considérables paiements de la part de la multinationale. Cette dernière a récemment accepté de verser 43 millions de dollars qu’elle était censée devoir à Gertler, tout en effaçant une dette de 5,6 milliards de dollars au profit de Gecamines et en offrant de payer un montant largement injustifié de 150 millions de dollars au titre de « règlement d’anciens différends ».
Fin 2011, au début du processus de révision du très généreux code minier congolais, les militants pensaient que des nouvelles lois allaient transformer l’industrie minière. Ils espéraient qu’une nouvelle législation garantirait au gouvernement de meilleurs revenus, que les bénéfices seraient répartis sur l’ensemble de la société congolaise et que le secteur minier serait gouverné par des règles démocratiques et par la transparence.
Ils sont sûrement déçus. Le nouveau code minier a certainement permis au gouvernement d’obtenir de meilleurs bénéfices, mais l’évolution récente de la situation laisse penser que ces gains resteront entre les mains d’un petit groupe de personnes et qu’une poignée d’individus puissants vont continuer à passer des accords en secret.
Cet article a été traduit de l’anglais.
Cet article a initialement été publié par la plate-forme African Arguments.
Source : Equal Times
Auteur.e
Claude Kabemba
est le directeur exécutif de Southern Africa Resource Watch (SARW), au sein de l’organisation de défense des droits humainsOpen Society Initiative for Southern Africa (OSISA).
Auteur.e
Pascal Kambale
est le conseiller principal du bureau régional africain de l’organisation Open Society Foundations.
Dans la même rubrique
6 octobre – In DR Congo’s Beni region, departing peacekeepers leave a trail of abuse and anger
28 août – ‘People started to point the finger’ : How the M23 conflict endangers DR Congo’s Tutsi communities
6 août – République démocratique du Congo : Le Kivu en proie aux seigneurs de guerre
14 juillet – Assassinat de Lumumba : un nouvel angle sur la plus longue conspiration meurtrière du 20e siècle
17 juin – RDC : La transition ne se fera pas sur le sang des Congolais·es