Vous êtes ici : Accueil » Afrique centrale » Gabon » Le code de la communication gabonais, nouveau carcan législatif pour la presse

Le code de la communication gabonais, nouveau carcan législatif pour la presse

D 28 décembre 2016     H 05:46     A Reporters sans frontières     C 0 messages


Reporters sans frontières (RSF) s’inquiète de l’entrée en vigueur du nouveau code de la communication gabonais. Selon l’organisation, la mise en application de ce code expose les médias à de nouvelles pressions, sans offrir de garanties juridiques nécessaires au libre exercice de la profession.
Il y a quelques jours, le ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement gabonais, Alain-Claude Bilie Bi Nzé, a présenté le nouveau code de la communication qui, selon lui, va permettre aux acteurs d’exercer leur métier avec plus de liberté et de responsabilités. Ce code controversé, qui entrera en vigueur le 2 janvier 2017, était pourtant déjà techniquement applicable, puisque promulgué par décret pendant l’intercession parlementaire en août 2016.

Cette annonce tombe comme une piqûre de rappel, un mois après la spectaculaire rafle par les services de sécurité de la rédaction du journal d’opposition Echos du Nord, le 3 novembre 2016. Le journal avait publié une information controversée sur le chef des services de renseignements, Célestin Embinga. La rédactrice en chef a rapporté avoir été torturée pendant son interrogatoire, afin qu’elle dévoile ses sources. Le chef des renseignements, Célestin Embinga, a depuis été remercié.

Difficile de ne pas voir dans la publication d’un texte déjà existant un message adressé aux directeurs de publications ouvertement critiques du pouvoir, notamment ceux exilés pour continuer à travailler à l’abri des pressions, comme c’est le cas de Désiré Ename d’Echos du Nord. L’art.16 du code interdit clairement les fonctions de directeur de publication, ou producteur d’information à toute personne résidant hors du Gabon.

Les failles du texte ne se limitent pas à cette mesure et sont nombreuses

“Le code de la communication gabonais limite les libertés des médias et journalistes sans pour autant offrir un cadre juridique clair et protecteur à la profession, déclare Cléa Kahn-Sriber, responsable du bureau Afrique de Reporters sans frontières. Les formulations vagues, les définitions imprécises des infractions, les contraintes imposées aux médias, ne font que renforcer la menace contre la libre expression et favoriser l’auto-censure. RSF avait fait une série de recommandations au gouvernement gabonais en 2013 sur un premier texte du code de la communication, visant à un meilleur respect des normes nationales et internationales. Malheureusement force est de constater qu’elles n’ont pas été prises en compte ici. S’il faut reconnaître certaines avancées, notamment l’article 15 interdisant la propriété de médias à des membres du gouvernement ou du secteur public, ou la dépénalisation des délits de presse, de nombreuses entraves à la liberté de l’information demeurent dans le texte. RSF appelle le gouvernement gabonais à revoir cette législation afin d’en faire un texte véritablement protecteur des droits et devoirs des journalistes et des citoyens.”

Un nouveau code de la communication qui couvre un domaine bien trop vaste

Ce nouveau code concerne non seulement la presse mais aussi toute production de communication audiovisuelle, écrite, numérique et cinématographique, qui sont sommées de “contribuer au rayonnement de l’image du pays et à la cohésion nationale” (article 3).

Les imprécisions se multiplient à travers le texte qui fait régulièrement référence à des concepts vagues. Ainsi la censure est “interdite, en dehors des cas prévus par la loi” (article 11) sans qu’aucun texte juridique de référence ne soit jamais cité, les “abus à la liberté d’expression” seront sanctionnés (art 181) mais ne sont pas définis, les ouvrages “portant atteinte à l’unité nationale” (article 95) sont interdits, et obligation est faite aux journalistes et éditeurs de “promouvoir (cette) unité nationale”, dont les paramètres ne sont eux non plus pas définis.

Impossible également de savoir à quelles sanctions les médias et les journalistes s’exposent et pour quels faits. Les articles 192, 194 et 195 listent les peines d’amendes attribuables à chaque “infraction en matière de (...) création d’une entreprise de communication (...), commise en matière de communication (...) ou en matière d’édition, d’affichage, d’imprimerie…” allant de 500 000 (760 euros) à 10 000 000 de francs (plus de 15 000 euros). En revanche les “faits spécifiques constitutifs des infractions visées (...) ainsi que les sanctions” seront laissées à l’appréciation discrétionnaire de l’exécutif. En effet, la loi prévoit qu’elles seront déterminées par “décret en conseil des ministre” (article 199).

A cette incertitude juridique, s’ajoute un contrôle accru du travail du journaliste par les autorités qui tentent de baliser la profession.

Les journalistes gabonais ne sont plus autorisés à utiliser un pseudonyme afin de conserver leur anonymat. Les journalistes sont également contraints de “sauvegarder l’ordre public et de promouvoir l‘unité nationale” (article 87). Ce dernier point va à l’encontre de la liberté du journaliste d’exercer son sens critique et, de jouer son rôle de 4e pouvoir. A cela s’ajoute une restriction de l’accès à la profession de journaliste puisqu’il faut justifier d’un diplôme “agréé par l’Etat” sans plus de précision, et/ou de cinq années d’expérience professionnelle dans un média “reconnu par l’Etat”, là encore sans plus de précision sur les critères de cette reconnaissance.

Les articles concernant la presse numérique utilisent également des termes vagues qui font peser une insécurité juridique sur les blogueurs, les citoyens-journalistes et l’information en ligne plus largement.

Les médias ne sont pas épargnés

Même les organisations de médias privés se retrouvent “sous le contrôle du ministre chargé de la Communication” (art. 75), alors qu’elles sont des entreprises de droit privé. La nature de ce contrôle (administratif, légal, financier, éditorial..) n’est pas précisé.

Le poids de l’auto-censure est solidairement réparti du journaliste au diffuseur en passant par l’imprimeur, ou l’éditeur puisque tous sont “solidairement responsables” des délits en matière de communication (article 180). Qui, dans ces circonstances, prendra le risque d’imprimer un journal d’opinion critique des politiques gouvernementales, s’il peut se retrouver condamné ?