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Guinée équatoriale - Africa n°1 : Raimundo Ela Nsang, secrétaire exécutif de la CORED, à l’émission « Le Grand Débat »

D 24 février 2014     H 05:03     A Raimundo Ela Nsang     C 0 messages


Invité à l’émission « Le Grand débat » sur Africa n°1, le mercredi 22 janvier, l’opposant équato-guinéen, Raimundo Ela Nsang, secrétaire exécutif de la Coalition d’opposition pour la Restauration d’un État démocratique (CORED), a répondu aux questions du présentateur Francis Laloupo et du polémiste Jean-Claude Tchicaya, consultant sur les questions sociales et éducatives.

Pour ceux qui ont manqué l’émission et qui ne pourront l’écouter sur le site web d’Africa n°1, nous vous proposons une transcription (non littérale) de l’interview :

- Francis Laloupo : Au pouvoir depuis 1979, Teodoro Obiang Nguema est davantage connu pour l’affaire dite « des biens mal acquis » que pour sa gestion de la Guinée équatoriale. Derrière les opérations de communication et les images d’un pays qu’on dit en plein essor, quelle est la réalité politique de la Guinée équatoriale ? Face à l’absence d’alternance démocratique, les mouvements d’opposition en exil ont décidé de se réunir au sein d’une coalition, mais que réclame exactement cette opposition et quels sont ses moyens d’action ? Réponse avec notre invité : Raimundo Ela Nsang, Secrétaire général de la CORED (Coalition d’opposition pour la Restauration d’un État démocratique).

 Raimundo Ela Nsang : Bonsoir. Merci de m’avoir invité sur Africa n°1.

- Francis Laloupo : Parlez-nous de votre mouvement, la CORED…

 Raimundo Ela Nsang : Actuellement, nous rassemblons 12 partis en exil et nous espérons que d’autres partis vont se joindre à nous. Notre objectif est de lancer un mouvement qui puisse offrir un espoir au peuple. Car, en Guinée équatoriale, le seul parti d’opposition légalisé sert surtout à donner le change à un régime qui prétend être démocratique, mais qui n’est en fait qu’une dictature déguisée en démocratie, ce qu’on appelle parfois : une démocrature.

 Francis Laloupo : Pour mieux vous connaître, vous êtes vous-même le fils d’un militant politique qui fut un des leaders de l’indépendance de la Guinée équatoriale. Est-ce que son parcours politique a été moteur de votre propre engagement ?

 Raimundo Ela Nsang : Oui effectivement. Mon parcours politique personnel s’inscrit dans le sillage de mon père et de tous ceux qui ont travaillé pour l’indépendance de notre pays. Contrairement à Teodoro Obiang qui ne s’est jamais engagé dans le processus d’indépendance, car c‘est quelqu’un qui a été parachuté par son oncle (élu président en 1969), suite à une tentative de coup d’Etat survenue 6 mois après l’indépendance. Et d’ailleurs, mon père a fait partie de ceux qui s’étaient opposés à la promotion de Teodoro Obiang en tant que responsable des forces armées.

- La Guinée équatoriale est un petit pays méconnu. Aujourd’hui, en France, on parle beaucoup de l’affaire des « Biens mal acquis ». Pour votre part, regrettez-vous qu’on ne parle de votre pays qu’à travers cette affaire judiciaire ?

 Oui, bien sûr, je le déplore. Les médias s’intéressent surtout aux faits insolites autour des « biens mal acquis » et du fils du président parce que c’est amusant pour leurs lecteurs, mais l’opposition (jusqu’alors très localisée en Espagne) ne bénéficie pas de l’attention des médias pour parler du régime d’Obiang.

Je voudrais que nous analysions, au-delà des « biens mal acquis », les conséquences d’une mauvaise gouvernance pour notre pays. De même, nous réclamons depuis longtemps à être entendus par la Communauté internationale, car nous croyons qu’il ne peut pas y avoir de changement politique en Guinée équatoriale sans une forte pression de la Communauté internationale.

 Dans cette affaire des « biens mal acquis », on se souvient des saisies spectaculaires effectuées à Paris et du mandat d’arrêt lancé par la justice française. On sait par ailleurs que Teodorin, le fils du président qui a amassé toute cette fortune, avait déjà été arrêté en 2001 aux États-Unis pour détention de stupéfiants, et qu’il est aujourd’hui ministre…

 Non, il est 2e vice-président. C’est son jeune frère qui est ministre du pétrole… Mais, le 28 janvier prochain, le jour où aura lieu la Conférence de presse de la CORED à Paris, Teodorin doit se présenter devant un juge fédéral américain en Californie, et s’il ne se présente pas, il risque d’avoir contre lui un nouveau mandat d’arrêt international, cette fois dicté par les États-Unis.

- Concernant la succession du président, plusieurs fils pourraient y prétendre et notamment celui qui est ministre du pétrole (Gabriel Mbega Obiang Lima)…

 Oui, c’est pourquoi la CORED veut permettre une transition démocratique pour éviter une succession qui serait une catastrophe pour le pays… Aujourd’hui, le peuple équato-guinéen est relativement passif, il subit, il n’y a pas de guerre civile, et cela peut donner l’impression que la population soutient le régime. Mais, je voudrais démentir cette fausse impression en faisant remarquer que si le régime équato-guinéen se montre si féroce, c’est qu’il sait qu’il y a en face de lui un peuple qui aspire au changement. Le degré de répression est proportionnel au désir du peuple de se libérer.

- Parlons de cette Guinée équatoriale, pays d’à peine 740.000 habitants qui dispose de ressources pétrolières très importantes. C’est le 3e producteur pétrolier en Afrique subsaharienne, avec un taux de croissance de 13% en 2013. Un taux de croissance qui dépend du prix des hydrocarbures et qui n’a rien à voir avec le niveau de vie des Équato-guinéens. Un PNB qui s’élève à 11 milliards de dollars dont 90% proviennent des industries pétrolières et gazières. Comment donc est géré aujourd’hui cette manne pétrolière en Guinée équatoriale et quelle est la situation économique du pays ? Doit-on croire le gouvernement équato-guinéen qui parle d’un « boum économique », de l’essor des infrastructures et de l’élévation du niveau de vie ?

 Oui, le pays est en croissance économique si l’on tient compte de la production des hydrocarbures, mais l’on analyse comment cette manne pétrolière est gérée, on va se rendre compte que la situation de la population ne s’améliore pas. Le pays connaît par exemple une situation de malnutrition chronique…

- Vous êtes en train de nous dire que le 3e producteur pétrolier d’Afrique subsaharienne ne parvient pas aujourd’hui à nourrir 740.000 habitants ?

 Voilà. C’est une réalité. Il n’y parvient pas. La Guinée équatoriale est classée au 136e rang mondial pour son indice de développement humain, loin derrière le Gabon (109e) qui a pourtant un PIB par habitant deux fois moins important. De même, l’espérance de vie en Guinée équatoriale est de 51 ans tandis qu’au Gabon, elle est de 63 ans. Ce sont des données qui montrent qu’il n’y a pas eu d’améliorations en Guinée équatoriale et qu’il y a un écart abyssal entre les richesses que nous exploitons et la pauvreté de la population.

- Mais alors, où va l’argent ?

 Il y a des biens mal acquis, mais pas seulement. Comme vous le savez, la Guinée équatoriale détient 50% des réserves de la CEMAC. Ce sont des données objectives publiées par les organisations internationales. Par ailleurs, le gouvernement met en place des projets faramineux. Aujourd’hui, il est en train de construire une ville au fond de la forêt (Oyala), une ville de 200.000 habitants (alors que nous sommes 740.000 !), avec des palais présidentiels, etc. Le gouvernement mise sur la construction d’infrastructures pour justifier une politique d’investissements, comme les nombreux hôtels généralement vides, sans parler de la cité de Sipopo où ont été construites 52 villas luxueuses pour héberger les Chefs d’État lors du Sommet de l’Union africaine en 2011. Il y a donc des investissements lourds qui n’ont rien à voir avec les besoins de la population.

Aujourd’hui, le gouvernement est fondé sur une logique clientéliste. En ouvrant le pays aux investisseurs étrangers, Obiang dispose désormais de l’argent lui permettant d’entretenir de nombreux courtisans, mais il refuse de faire progresser son peuple, car un peuple ignorant et pauvre ne pourra pas se battre contre lui. En 1997, lors d’une Conférence économique, Obiang avait promis que l’argent du pétrole servirait à améliorer la situation sociale, mais il s’est rendu compte qu’en faisant cela, il se mettrait en danger, car un peuple instruit ne pourrait jamais accepter le non-respect de ses droits…

- Quels sont aujourd’hui les principaux partenaires économique de la Guinée équatoriale ?

Aujourd’hui, le partenaire qui prend de l’importance, c’est la Chine. Même si ce sont encore les entreprises américaines qui ont la maîtrise du secteur pétrolier. Avec l’affaire des « biens mal acquis », la Guinée équatoriale se détourne peu à peu de ses anciens partenaires, les États-Unis et la France, pour trouver de nouveaux alliés (moins sourcilleux sur le respect des droits de l’homme). La Chine remporte là-bas des contrats faramineux, comme celui de 700 millions de dollars pour l’électrification qui n’arrive jamais…

- Jean-Claude Tchicaya : Merci, Monsieur, pour votre éclairage sur la Guinée équatoriale. Vous avez souligné que ce pays comptait moins de 800.000 habitants. C’est un pays qui est assez méconnu, sauf par les frasques présidentielles, le népotisme ou les « biens mal acquis », et on se demande comment un pays aussi bien doté en ressources naturelles peut se trouver aujourd’hui dans une situation aussi ubuesque et aussi dramatique, avec des inégalités sociales et économiques spectaculaires, et une population dont les besoins élémentaires ne sont pas satisfaits…

Ma question est donc la suivante : Existe-il en Guinée des partis d’opposition qui participent à la vie politique du pays ? Quels sont vos liens avec eux ? Et quels sont vos espoirs à l’extérieur de cette Guinée équatoriale de parvenir à cette transition démocratique ?

 Raimundo Ela Nsang : J’ai déjà un peu répondu à cette question tout-à-l’heure. Alors, pour comprendre, il faut savoir qu’au cours des années 1980 et 1990, avant la découverte du pétrole dans les eaux équato-guinéennes, Obiang avait subi des pressions occidentales pour démocratiser le pays. Mais, par malheur, c’est au même moment où se mettait en place le processus du multipartisme que les entreprises américaines ont découvert les premiers gisements pétroliers. A partir de ce moment, Obiang a disposé de ressources financières suffisantes pour ne plus devoir se soumettre aux exigences occidentales. Le seul parti d’opposition légalisé qu’il tolère encore aujourd’hui n’est là que pour donner l’illusion que le pays est bien une démocratie…

- Quelles sont les trois principales revendications de la CORED ?

 D’abord, obtenir un véritable développement humain de la Guinée équatoriale. Ensuite, permettre au peuple de choisir librement ceux qui doivent le diriger et un meilleur partage des richesses. Enfin, il faut restaurer l’image de notre pays tant en Afrique que dans le reste du monde.

Plusieurs auditeurs africains interviennent alors et réagissent aux échanges précédents. L’invité répond en bloc à toutes ces interve

 Raimundo Ela Nsang : Si Obiang faisait les choses correctement, comme l’a dit la première auditrice, nous n’aurions pas les indices de développement dont j’ai parlé tout-à-l’heure,
et si l’opposition pouvait s’exercer à l’intérieur du pays, nous ne serions pas là aujourd’hui. Nous sommes en exil parce qu’on ne peut pas s’opposer à l’intérieur du pays. Nous n’avons pas accès aux médias et aucun média d’opposition n’est autorisé. il est interdit de manifester ou de faire des meetings politiques. La seule manifestation qui a eu lieu dans le pays, nous l’avions organisée le 17 septembre 1992, entre étudiants, pour exiger la libération d’un de nos professeurs. Obiang dépense énormément d’argent pour sa communication à l’étranger.

Je m’adresse donc à mes amis africains : Soyons sérieux. La Guinée équatoriale, c’est un pays qui est extrèmement riche. Aujourd’hui, on dit que la Guinée équatoriale n’est pas développée, ce n’est pas faux. A l’auditeur qui est allé travailler en Guinée équatoriale, je voudrais dire qu’Obiang fait venir dans le pays des cadres étrangers, des médecins, par exemple, qu’il paie dix fois plus que les médecins équato-guinéens… A tous les auditeurs qui se sont exprimés, je dis qu’on verra un jour les dégats qu’a fait Obiang en 45 ans de pouvoir dans l’une et l’autre dictature. Il a commis des exactions, il faut se renseigner, l’histoire de la Guinée équatoriale est méconnu …

Concernant notre projet politique et le dialogue avec le régime, nous travaillons réellement projet et nous invitons Obiang à débattre avec nous pour parler des problèmes de la Guinée équatoriale, mais il n’acceptera pas de dialoguer avec l’opposition, car jamais il ne l’a fait.

- Francis Laloupo : C’est le moment d’évoquer ici l’enlèvement récent d’un opposant (Cipriano Mba Nguema) à Lagos (Nigeria), le 14 décembre dernier. Selon vous, il a été arrêté à Lagos et transféré dans une prison de votre pays. Vous parlez donc d’une violence d’État…

 Oui, il existe une violence d’État. Et si on en vient à kidnapper des opposants à l’étranger, cela signifie qu’on craint l’opposition. Je suis en contact avec la femme de Cipriano Mba Nguema qui vit en Belgique avec ses 5 enfants lesquels bénéficient de l’asile politique de la part du gouvernement belge. Son mari est allé au Nigeria avec un visa délivré par les autorités nigérianes. Renseigné par des agents sur place, Obiang a décidé son enlèvement avec la complicité de bandes organisées nigérianes. Mais alors qu’ils étaient en mer en direction de Malabo, les gardes-côtes nigérians les ont interceptés et ont ramené le bateau au Nigeria. Obiang a alors usé de toute son influence pour que ce soit l’État nigérian, lui-même, qui lui livre Cipriano Mba Nguema. C’est dans l’avion présidentiel qu’il a été transféré à Malabo. C’est une violation des droits d’asile, ce sont des faits extrêmement graves.

A l’auditeur qui nous conseillait de rentrer au pays pour faire de l’opposition, je demande ce qui se passera pour nous alors qu’on nous kidnappe déjà quand nous sommes à l’étranger. C’est un régime fragile qui se maintient par une violence répressive, une violence à la mesure de sa fragilité. D’ailleurs, la fermeture des frontières, en violation des accords communautaires de la CEMAC, s’inscrit dans la même logique.

- Mais alors pourquoi la Guinée équatoriale reste-t-elle dans la CEMAC puisqu’elle refuse d’en appliquer les règles communes (comme l’adoption du passeport biométrique et la libre circulation des personnes) ?

 La Guinée équatoriale détient aujourd’hui 50% des fonds de la CEMAC, cela lui confère une importance diplomatique et économique. Elle n’a pas intérêt à la quitter. Obiang fonctionne en fonction de la permanence de son régime. S’il y a un fait qui peut mettre en danger son pouvoir, il ne le respecter jamais. Comme il ne respecte pas beaucoup d’accords qu’il a pourtant signés…

(Source : Africa n°1 – Transcription : Assofrage)

Source : http://www.france-guineeequatoriale.org