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Génocide des Tutsi : les juges français enterrent l’affaire Bisesero

D 10 décembre 2018     H 08:05     A     C 0 messages


Paris, le 3 décembre 2018. Les juges d’instruction du pôle « crimes contre l’humanité », crimes et délits de guerre du TGI de Paris ont rendu le 22 novembre deux ordonnances refusant les demandes d’investigations complémentaires formulées par les parties civiles dans le dossier Bisesero-Murambi. Ces demandes [1] visaient à mieux cerner le rôle joué par l’armée française au Rwanda en 1994 pendant l’opération Turquoise. Elles visaient notamment à déterminer quelles sont les autorités, militaires ou civiles, qui ont décidé de ne pas faire intervenir les troupes d’élite françaises pour faire cesser le génocide en cours à Bisesero, en connaissance de la situation. Les plaignants rwandais, la FIDH, la LDH et Survie ont fait appel le 26 novembre de ces refus.

A Bisesero, l’armée française est soupçonnée d’avoir laissé sciemment des centaines de Tutsi se faire massacrer pendant trois jours sans intervenir. En effet, l’instruction n’a toujours pas permis d’établir pourquoi, pendant ces trois jours, aucun ordre d’intervention armée ou de porter secours n’a été donné, pas plus qu’elle n’a déterminé qui doit porter la responsabilité de ce choix de fermer les yeux et de faciliter ainsi la commission du crime de génocide [2].

Les plaignants rwandais, la FIDH, la LDH et Survie ont interjeté appel le 26 novembre de la décision des juges. En principe la loi prévoit qu’une audience contradictoire devrait se tenir devant la chambre de l’instruction de Paris pour apprécier ou non le bien fondé des ordonnances de rejet d’actes rendues par ces juges.

Toutefois, la Cour d’appel de Paris pourrait refuser de statuer sur la légalité de ces ordonnances par un subterfuge procédural. L’article 186-1, alinéa 3, du code de procédure pénale permet en effet au président de la chambre d’instruction de la Cour d’appel de Paris de rendre tout seul une ordonnance non susceptible de recours où il expliquerait sommairement pourquoi il refuse d’organiser une audience pour examiner la légalité des décisions refusant de poursuivre l’instruction [3].

Estimant l’article 186-1, alinéa 3, du code de procédure pénale contraire à la Constitution, les parties civiles ont déposé une Question prioritaire de constitutionnalité pour faire déclarer anti-constitutionnelle cette disposition de la loi et contraindre les juges de la Cour d’appel à organiser une audience pour examiner leurs recours.

Faute de succès dans leurs démarches, les parties civiles seraient conduites, impuissantes, à observer le spectacle judiciaire d’une procédure conduisant à un non-lieu, c’est à dire à une impunité décidée par une justice soucieuse de ménager l’armée et les politiques qui, il y a 24 ans, n’ont pas pris les mesures qui leur incombaient afin de faire cesser des massacres constitutifs d’un génocide. Ce serait là une nouvelle illustration de ce que malheureusement la raison d’État n’a pas disparu.

Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme
Ligue des Droits de l’Homme
Survie

Notes :

1. Les actes demandés par les parties civiles concernaient notamment les points suivants :

Demandes de confrontations entre officiers de terrain qui ont des versions contradictoires ;

Demandes d’auditions de tous les militaires présents à Gishyita du 27 au 30 juin qui n’ont jamais été entendu ;

Demandes d’auditions de journalistes témoins et présents à Gishyita du 27 au 30 juin ;

Demandes d’auditions de l’état major des armées qui a été informé le 27 juin 1994 ;

Demandes d’auditions de responsables politiques (F. Léotard, H. Védrine, etc.) ;

Demande de recherche de documents militaires.

2. Voir le dossier de synthèse publié par Survie le 30 octobre 2018, « Dossier judiciaire Bisesero : mobilisation des parties civiles pour éviter un déni de justice »

3. C’est ce qui c’était passé pour une des demandes d’acte des parties civiles en 2017, voir « Opération Turquoise / massacre de Bisesero : la justice refuse d’auditionner les plus hauts responsables militaires français », Communiqué de la LDH, la FIDH et Survie, 16 novembre 2017