Les accords de la honte : le Pacte européen sur la migration et l’asile, l’accord Rwanda-Grande Bretagne
11 mai 2024 12:23 0 messages
Le Pacte européen sur la migration et l’asile
Les politiques migratoires actuelles qui contraignent les personnes migrantes à la clandestinité et à la précarisation doivent cesser et nous savons pertinemment qu’un renforcement des frontières ne permettrait en aucun cas d’arrêter des gens qui fuient la guerre, la misère, les violences politiques et économiques. Mais les pays « riches », en particulier ceux d’Europe du Nord, devenus perméables aux thèses racistes du « grand remplacement », veulent faire peser la « misère du monde » sur les pays les plus « pauvres » de la planète. Approuvé par le Parlement européen le 10 avril 2024, à moins de deux mois des élections européennes, le Pacte européen sur la migration et l’asile devrait être adopté prochainement par les ministres de l’Intérieur réunis au sein du Conseil de l’Union européenne (UE). Un des objectifs affichés du Pacte serait de remédier aux failles du système actuel en réformant le règlement « Dublin III », qui a fait reposer la responsabilité de l’accueil des demandeurs d’asile sur les pays de première entrée dans l’UE, et a échoué à organiser une véritable solidarité européenne. La question du rôle de Frontex, l’Agence européenne de garde-côtes et garde-frontières, y est étroitement liée.
Les dix textes soumis au vote, qui composent le pacte « asile et migration » et ont été mis en chantier pour certains depuis huit ans à Bruxelles, ont tous été adoptés. La complexité pour aboutir à un accord n’est pas due à la réalité des migrations mais à l’instrumentalisation du dossier par beaucoup d’États.
Le Pacte sur la migration et l’asile prévoit la mise en place d’un « filtrage » durant lequel les personnes devront effectuer des contrôles de sécurité, d’identification et de santé et d’un vaste système de privation de liberté aux frontières, où les personnes (y compris des enfants) pourront être placées en centre de rétention plusieurs mois durant l’examen de leur situation. La base de données Eurodac sera revue à cet effet avec toujours plus d’informations biométriques : enregistrement des empreintes digitales, de la photographie du visage et des documents d’identité. Nous dénonçons à ce propos le legs colonial dans lequel s’inscrit ce type de fichier et les biais racistes qu’il pourrait renforcer.
Le Pacte sur la migration et l’asile vise des procédures accélérées et ne répondant pas aux normes aussi pour évaluer les demandes d’asile plutôt que des évaluations complètes et équitables.
Il vise à accélérer les procédures de retour, via la création de centres fermés proches des frontières. Mais question solidarité il faudra repasser car le Pacte sur la migration et l’asile permettra également à un Etat membre de financer le contrôle des frontières extérieures pour que sa participation à l’effort de solidarité soit considérée comme acquise. Cette solidarité, « obligatoire » dans les textes, est donc « flexible » : elle peut aussi prendre la forme d’une compensation financière versée aux pays de première entrée, ou matérielle (livraisons de bateaux, etc.).
Beaucoup plus de demandeurs d’asile finiront par des procédures frontalières et, grâce à la « fiction juridique de non-entrée » ne seront pas considérées comme sur le territoire de l’UE, ce qui conduirait à des garanties plus faibles et accroîtrait le risque de violations des droits de l’homme et de refoulement aux frontières. Même les enfants non accompagnés peuvent être soumis à des procédures frontalières et placés en détention de facto lorsque les autorités de l’État les considèrent comme un « danger pour la sécurité nationale ou l’ordre public ».
Grâce à l’élargissement du principe du « pays tiers sûr », les demandeurs d’asile seront déclarés irrecevables et de plus en plus expulsés vers des pays tiers sur la base d’un lien largement défini avec ces pays, ce qui augmentera le risque de refoulement.
Le pire est en effet la sous-traitance accrue de la gestion des frontières à des pays tiers. C’est ainsi que la Commission européenne vient de signer avec l’Égypte un nouvel accord qui comporte un important volet sur le contrôle de la migration, dans la continuité des accords conclus avec des pays tiers ces dernières années. L’accord prévoit un « engagement total pour contrôler l’immigration clandestine » de l’Égypte à travers le renforcement des frontières, la lutte contre le trafic d’êtres humains et l’aide au retour. En échange, l’UE s’engage à fournir 7,4 milliards d’euros d’aide financière et à favoriser l’ouverture de voies d’immigration légales. Ces objectifs figuraient également dans les accords conclus avec la Turquie (2016), la Mauritanie (2024), et dans le mémorandum d’entente avec la Tunisie (2023). Un accord similaire avec le Liban serait en passe d’être conclu, et un autre serait en cours de négociation avec le Maroc – des négociations évoquées par des fonctionnaires européens, mais dont la teneur est encore inconnue.
L’Union européenne continue donc de financer un contrôle accru des frontières dans les pays d’origine et de transit. Le financement d’une force européenne de recherche et de sauvetage en mer n’est en revanche toujours pas à l’ordre du jour des débats européens. De même, la question des voies légales de migration pour les personnes en besoin de protection (réinstallation, asile, visas ou couloirs humanitaires, réunification familiale), qui constituent un levier majeur pour offrir un accès sûr au territoire européen, est majoritairement passée sous silence.
En l’absence de voies sûres et régulières, les personnes cherchant la sécurité ou les moyens de subsistance sont contraintes d’emprunter des itinéraires de plus en plus dangereux, ce qui fait que 2023 est l’année la plus meurtrière jamais enregistrée depuis 2015. Rien qu’en Méditerranée, plus de 2500 personnes ont été tuées ou disparues l’année dernière. Le pacte ne s’attaque pas à ce problème et continue au contraire de renforcer la forteresse Europe. Avec l’augmentation de l’utilisation des technologies de surveillance à tous les stades des procédures de migration et d’asile le pacte représente un pas de plus vers la surveillance de masse des migrants et des personnes racialisées ; il crée un système dans lequel le droit de demander l’asile dans l’UE est gravement menacé et engendrera une prolifération de violations des droits de l’homme à l’encontre des citoyens à travers l’Europe en raison de leur statut migratoire.
L’accord de la honte Rwanda-Grande Bretagne
Après deux années d’atermoiements, de recours en justice, de condamnations d’à peu près toutes les organisations de défense des droits humains du monde, la Grande-Bretagne a adopté une loi indigne : des demandeurs d’asile entrés illégalement sur le territoire pourront être déportés au Rwanda.
Après avoir fui la guerre et la misère, traversé des déserts, connu les geôles libyennes, avoir vu certains de leurs compagnons de fortune mourir en mer Méditerranée ou dans la Manche, après avoir endetté leurs familles restées au pays et subi la traque sans relâche des polices européennes, des hommes, des femmes et des enfants devront tout recommencer de zéro dans un pays inconnu.
Certes, la dernière mouture du texte adopté par les deux chambres parlementaires britanniques le 22 avril, tard dans la nuit, apporte quelques garde-fous : un recours pourra être effectué devant la justice avant leur déportation (la décision devra être rendue en vingt-trois jours) et le candidat à l’exil ne pourra pas être renvoyé dans son pays d’origine. Il recevra aussi 3 000 livres (environ 3 500 euros) – bien moins que la somme totale que la plupart d’entre eux ont dépensée pour rejoindre les côtes anglaises.
À Kigali, où ils seront logés dans le Hope Hostel, les autorités rwandaises étudieront leur dossier. Deux choix s’offriront à eux : rester au Rwanda dans le cadre d’un programme spécifique d’intégration, ou tenter d’obtenir un asile dans un autre pays. Dans le premier cas, le Rwanda recevra 3 000 livres par mois pendant cinq ans pour loger, former ou financer des études et pourvoir aux besoins élémentaires du nouvel arrivant.
Voudront-ils/elles rester ? Rien n’est moins sûr : cette proposition est déjà faite depuis quelques années à des demandeurs d’asile évacués de Libye et accueillis au Rwanda dans le cadre d’un partenariat d’urgence entre le Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations unies, le Rwanda et l’Union africaine. Sur les 2 000 réfugiés passés par ce mécanisme, aucun n’a souhaité s’installer au pays des Milles Collines. Mais il est vrai que, dans ce modèle entièrement financé par l’Union européenne à hauteur de 25 millions d’euros pour la période 2022-2026, aucune enveloppe n’est prévue pour soutenir une installation.
Au Rwanda, on assure vouloir avant tout « aider ». Même si l’argent versé par Londres (environ 627 millions d’euros pour les 300 premiers réfugiés accueillis) bénéficiera, directement ou indirectement, à l’économie. Surtout, Kigali pourrait s’assurer un soutien indéfectible outre-manche en cas de critique sur sa gouvernance, sur les droits humains ou quant à son implication dans la guerre dans l’Est de la RDC.
Rappelons que le Rwanda est déjà surpeuplé. La croissance démographique de ce pays est impressionnante : d’un peu plus de 5 millions au sortir du génocide des Tutsis il y a trente ans, le nombre d’habitants est passé à 14 millions aujourd’hui. Avant le génocide, alors qu’un peu plus de 7 millions de Rwandais vivaient sur les collines, le régime génocidaire arguait déjà de la surpopulation (à certains endroits, la densité atteignait 400 habitants au kilomètre carré) et du manque de terres pour refuser le retour des exilés. Aujourd’hui, le pouvoir assure qu’il s’agissait d’une fausse excuse.
Seul espoir : que la Cour européenne des droits de l’homme bloque les avions et que les élections législatives, prévues au dernier semestre 2024, portent au pouvoir les travaillistes, qui ont promis de mettre un terme à cet accord en cas de victoire.
La Commission Afrique du Parti de Gauche condamne avec la plus grande vigueur ces deux accords de la honte. Personne ne quitte sa famille et ne risque sa vie dans des traversées périlleuses par plaisir mais parce que contraint par un sous-développement chronique ou par des guerres ; dans les deux cas il s’agit de résultantes des impérialismes en rivalité les uns avec les autres. D’une part il est du devoir des pays européens de gérer humainement les migrations, d’autre part la chasse aux immigrés n’a pas pour but de supprimer l’immigration mais de précariser un maximum de travailleurs, la capital cherchant à constituer une armée de réserve surexploitée pour lutter contre la baisse tendancielle du taux de profit. Notre mot d’ordre est l’égalité des droits et des salaires pour tous les travailleuses/travailleurs, seul moyen de lutter contre la surexploitation/précarisation tout en ayant conscience qu’une véritable régulation des migrations ne pourra se faire que dans le cadre d’une société écosocialiste.
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