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Erythrée : Un peuple assiégé

D 22 janvier 2014     H 05:40     A Adane Ghebremeskel     C 0 messages


L’Erythrée n’a pas de pétrole ou de minerais stratégiques, encore les vestiges d’une population de colons. Pourtant il reste un des pays les plus répressifs au monde, dont la brutalité est mise en relief par les réfugiés qui perdent la vie dans les eaux de la côte sud de l’Europe.

L’Union africaine a déclaré le 3 novembre journée de deuil continental, afin que tous les Etats membres commémorent les centaines de réfugiés africains qui on péri au large de l’île italienne de Lampedusa, le 3 octobre dernier. L’action de l’Union africaine doit être saluée. Elle se trouve en accord avec la tradition africaine et la coutume qui respectent les morts et leur esprit. Il reste à voir si elle franchira un pas supplémentaire, au-delà du souvenir des morts, afin d’éviter la perte de milliers de vies d’Africains, en abordant les causes à l’origine de ces tragédies.

Depuis la tragédie du 3 octobre, il a déjà été rapporté qu’un autre bateau avait chaviré, qui transportait plus de 200 personnes dont la majorité provenait de l’Erythrée. Selon les rapports, il y a au moins 50 morts, dont de nombreux enfants dont les corps ont été vus flottant sur la Méditerranée Le gouvernement de Malte, répondant à la crise croissante et aux morts, décrivait la Méditerranée comme étant en passe de devenir un immense cimetière. Selon un rapport officiel du ministère de l’Intérieur italien, l’âge moyen de tous les morts et des survivants est de 25 ans. La grande majorité était des Erythréens.

La question que de nombreux observateurs ne posent pas est de savoir pourquoi les Erythréens, en particulier les jeunes, quittent leur pays en masse ? Qu’est-ce qui les pousse à s’enfuir ainsi et à emprunter des routes si dangereuses et pleines de risques en quête de sécurité ?

La grande trahison de l’aspiration du peuple

Après une longue guerre de libération de 33 ans, l’Erythrée est devenue indépendante de l’Ethiopie en mai 1991 en sa qualité d’Etat de facto, formalisé pas un référendum populaire en mai 1993, lorsque la grande majorité de la population érythréenne a voté en faveur de la sécession d’avec l’Ethiopie. Ceux qui se trouvaient en Erythrée ou qui parlaient avec un Erythréen n’importe où dans le monde, ne pouvaient s’empêcher d’être affecté par l’enthousiasme, la confiance ou l’optimisme pour le futur qui émanaient de ces Erythréens. Leur optimisme n’était pas sans fondement, pas plus que le succès militaire sur l’armée de la puissante Ethiopie. Le New York Times a publié, le 30 avril 1996, un article intitulé "Eritrea : African Success Story being written". Il disait : "Cinq ans après avoir gagné la guerre qui a conduit à l’indépendance, les anciens rebelles ont reconstruit leur économie détruite avec la même ténacité et les mêmes sacrifices qui les ont si bien servis dans la plus longue guerre civile de l’histoire africaine récente."

La lutte de libération érythréenne avait deux objectifs principaux. L’un était l’obtention de l’indépendance nationale et l’autre était la transformation sociale. Ces deux objectifs étaient grandement intégrés et constituaient le pilier de la stratégie du Front populaire de libération de l’Erythrée (Fple). En fait, l’un des slogans du Fple était la libération de la terre et de la population, bout par petit bout, avec une dépendance des seules ressources du pays. En s’appuyant sur cette stratégie, le Fple a non seulement construit une force militaire formidable, hautement disciplinée qui a résisté aux assauts successifs de l’armée éthiopienne et l’a finalement défaite, mais a aussi créé un réseau d’organisations de masse et de structures administratives basées sur la participation et la mobilisation de la population érythréenne. C’était en effet le soutien total du peuple érythréen qui a soutenu pendant si longtemps la révolution érythréenne, isolée au niveau international. La participation des femmes dans tous les aspects de la révolution était remarquable et il était attendu que ceci forme la base de la création d’une société plus égalitaire sur les questions de genres.

Reflétant cette nature, le Fple, lors de son deuxième congrès en 1987, en a tiré sa vision pour une Erythrée indépendante. Dans son programme, le Fple avait une vision de l’Erythrée indépendante, comme un Etat démocratique construit sur les expériences et les gains de la lutte pour l’indépendance, qui mettrait l’accent sur la participation active de la population dans un système politique pluraliste, le Fple envisageait de poursuivre son chemin selon le principe d’autosuffisance et de la mobilisation des ressources domestiques pour la reconstruction socioéconomique et le développement d’une distribution équitable de la richesse nationale. Cette vision a été réitérée lors du 3ème Congrès qui s’est tenu après l’indépendance en 1994

Toutefois les tendances immédiatement après l’indépendance étaient mixtes sinon contradictoires. D’une part il y a eu d’authentiques efforts pour établir des institutions démocratiques dans l’Etat naissant sous forme de Cours de justice qui fonctionnent, une Assemblée nationale, des ministères qui ont été, jusqu’à un certain point attentifs à la demande de la population. Le processus d’élaboration de la constitution, qui a duré presque deux ans, a été très inclusif. Le résultat, une constituante qui a généralement reflété les aspirations populaires les plus valorisées durant la lutte de libération et exprimées par différentes sections, y compris les Erythréens de l’étranger. La constituante a été adoptée par l’assemblée constitutionnelle en mai 1996. Dans l’intervalle, le programme de reconstruction commençait à donner des résultats positifs en matière d’économie et le niveau de vie de la majorité de la population.

Dans l’intervalle et lors du 3ème congrès, le Fple a été renommé le Front Populaire érythréen pour la justice et la démocratie (Fpejd) et a continué à être très secret avec un leadership de plus en plus autoritaire. Les prisonniers politiques incarcérés au cours de la lutte pour la libération n’ont pas comparu devant une Cour de justice une fois la paix venue, mais de nombreux autres ont été victimes d’arrestations arbitraires, sans procès, dans la période qui a immédiatement suivi l’indépendance. Les accusations contre ceux qui remettaient en question le Fple/Fpejd étaient généralisées. Les dirigeants sont restés silencieux sur le sort de leurs opposants ou ont de nouveau eu recours aux justifications propagandistes pour leurs violations des droits humains. L’arrestation arbitraire et la disparition des musulmans supposés radicaux, les tueries en plein jour d’anciens combattants mutilés qui manifestaient au premier jour de la libération et l’arrestation et la disparition de combattants pour la libération qui manifestaient contre les décisions unilatérales du président, qui contraignaient les combattants à continuer de servir sans solde, sont autant d’éteignoirs de l’optimisme des premières années après l’indépendance.

Ces questions n’ont été soulevées ni dans le cercle restreint du pouvoir ni en public, bien moins discutées. Ce qui était connu à ce moment provenait des interviews prolongées que le président donnait aux médias contrôlés par l’Etat, lors desquels il expliquait et justifiait ses actions avec l’habituelle rhétorique nationale et dogmatique. En l’absence de critiques et d’opposition, la concentration du pouvoir dans les mains du président, au détriment du leadership collectif qui aurait été pratiqué au sein du Fple, des vétérans éminents de la libération, des fonctionnaires supérieurs et même des ministres ont été limogés ou "gelés ", c’est-à-dire maintenus dans leur poste mais privés de tout pouvoir. L’Assemblée nationale était présidée par le président qui avait le pouvoir de veto afin d’imposer ou de bloquer une décision.

Malgré cela, tout l’espoir a été reporté sur la nouvelle constitution dont il était attendu qu’elle amène des méthodes institutionnalisées pour gérer les affaires publiques, une division du pouvoir, un équilibre et impose l’autorité de la loi et le respect des droits humains. Avant que le projet de constitution ne soit accepté par le président, la guerre avec l’Ethiopie a éclaté en 1998, pour une dispute concernant la ville de Badme. Selon plusieurs rapports, en particulier le rapport de Eritrean-Ethiopia Claim Commission, l’Erythrée est accusée d’avoir commencé le conflit. Outre le désastre humanitaire et le coût en vies humaines (plus de 150 000 jeunes gens tués de part et d’autres), l’un des principaux résultats de la guerre a été une scission dans le cercle restreint de la direction du parti et la fermeture des médias privés naissants qui avaient commencé à offrir un espace alternatif pour le débat public sur des questions nationales.

Par conséquent, la scission s’est aggravée et les membres en désaccord - des ministres et des généraux- ont été arrêtés le 18 septembre 2001, tenus dans des endroits secrets. La rumeur dit que certains sont morts. Les journalistes des médias privés ont subi le même sort. Comme avec le projet de constitution, la guerre avec l’Ethiopie est devenue le prétexte pour l’empêcher de s’affirmer. Lorsque des journalistes, travaillant pour des médias étrangers, ont demandé au président quand le projet de constitution serait mis en œuvre et quand des élections auront lieu en Erythrée, il a répondu que "la constitution est juste un bout de papier. Nous ne sommes pas intéressés par des élections menées pour qu’il soit dit qu’il y a eu des élections. Nous n’aurons pas de telles élections même dans trois générations".

La perpétuation de la militarisation d’une population fatiguée de la guerre

La guerre avec l’Ethiopie, malgré ses conséquences désastreuse, n’est pas la première de la jeune nation. L’Erythrée a été en guerre contre le Yémen pour l’archipel des Hanish dans la Mer Rouge, elle a eu des escarmouches avec le Soudan et aussi avec Djibouti. Le gouvernement érythréen a envoyé des commandos combattre aux côtés de feu le président Laurent Kabila. L’Erythrée a pratiquement été en guerre avec tous ses voisins au cours de la décennie écoulée. Certains observateurs expliquent cette façon de résoudre les problèmes comme étant la logique du canon. Selon ces observateurs, après avoir fonctionné pendant des décennies dans une autarcie presque totale, sans influence extérieure et ayant réussi à mener une guerre populaire de libération qui a été gagnée, le leadership érythréen croit profondément à la logique du canon qui est sa première réaction lorsqu’il est confronté à un problème politique que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur du pays.

C’est peut-être cette même logique qui a conduit à l’institutionnalisation des programmes de services militaires dans une société déjà militarisée à l’excès et fatiguée par 30 ans de guerre. Depuis son introduction en 1995, le service militaire a continué à produire entre 15 000 et 25 000 nouvelles recrues chaque année. Ces statistiques s’ajoutent à ceux de l’armée nationale, qui datent du temps du Fple, des milices et autres unités spécialisées. Il s’en suit qu’au pro rata de sa population, la société érythréenne est la plus militarisée au monde.

Bien qu’initialement, une jeune personne était requise de servir dans le programme pour seulement deux ans, par la suite la durée est devenue indéfinie. Par exemple une jeune personne de 18 ans, qui a été recrutée pour un premier tour en 1995, peut se trouver encore sous les drapeaux au jour d’aujourd’hui. Les étudiants, qui ont protesté contre ces pratiques, ont été collectivement arrêtés et envoyés dans la dépression des Danakil où la température atteint 50°C. Nombreux sont ceux qui sont morts de déshydratation et d’insolation. Ceux qui ont survécu ont fui le pays où sont tombé dans une grande misère, profondément traumatisés. Depuis lors, l’université d’Asmara, la seule du pays, est restée fermée.

En lieu et place, le gouvernement a établi des collèges obscures et sub-standard sous commandement militaire. Non seulement le programme n’est pas reconnu au plan international, mais en plus toute la gestion et le système administratif est aux mains de généraux dont la plupart n’ont pas de scolarisation tertiaire ou n’ont même pas fini le lycée. De plus, les diplômés de ces collèges, aussi brillants et assidus soient-ils, n’ont aucune occasion de pratiquer leur profession en-dehors de l’armée. S’ils le font c’est dans le cadre du service militaire avec une allocation mensuelle de 45 dollars. Ceux qui en bénéficient sont considérés chanceux.

La plupart des jeunes gens, en particulier ceux des zones rurales, ne font juste rien dans les tranchées et les casernes, des années voire des décennies durant. Quelques-uns sont appelés à travailler pour le parti et les projets privés des militaires de haut rang dans des conditions voisines de l’esclavage. Human Rights Watch a aussi rapporté que les jeunes en service militaire seraient contraints de travailler dans les mines d’or dans des conditions d’esclavage, là où sont impliquées des compagnies sud africaines et surtout canadiennes.

Dans leurs tentatives d’échapper au service militaire illimité, un futur sombre, la servitude et les graves violations des droits humains, la jeunesse érythréenne continue d’être la proie de la tragédie comme celle récente près de l’île de Lampedusa. Il est dit, qu’entre 2011 et 2013, plus de 4000 jeunes Erythréens sont morts dans les déserts soudanais et celui du Sinaï, aux mains de ceux qui s’adonnent aux trafics d’êtres humains et d’organes. Un nombre encore plus élevé est devenu victime de preneurs d’otage qui torturent, violent et maltraitent pour obtenir des dizaines et des milliers de dollars de leur famille et parentèle.

L’Israeli Association of Doctors for Human Rights a documenté les atrocités subies par les Erythréens de façon très précise. Au plus fort de la guerre en Libye, un bateau transportant plus de 500 réfugiés érythréens a quitté la côte libyenne, n’est pas apparu sur la côte européenne, n’est pas retourné en Libye, a simplement disparu. Il s’est juste évanoui et les allégations veulent qu’il a été pris pour cible par des avions de combats de l’Otan, qu’il a coulé et que les gens se sont noyés. Aucune agence de presse n’a rapporté l’incident hormis un groupe des droits humains érythréen.

L’exode de la jeunesse érythréenne est un poids croissant pour les pays voisins, particulièrement le Soudan et l’Ethiopie qui hébergent des dizaines de milliers de réfugiés érythréens. Par ailleurs, les familles sont privées de leur gagne-pain et se retrouvent dans une grande précarité qui les rend totalement dépendante de l’assistance du gouvernement pour survivre. Le régime autoritaire a ainsi obtenu le contrôle total de la population. Autrefois très soudée et autonome, la structure sociale érythréenne basée sur l’unité familiale se désintègre en raison des actions du régime. Les jeunes gens sont soit au service militaire ou dans des camps de réfugiés à l’extérieur du pays, les villages sont laissés sans adultes ni force de travail productive.

CONTROLE TOTALITAIRE PAR DES METHODES CRIMINELLES

Ce sont là les conséquences de l’exercice de construction sociale que le leadership du Fpejd, le président en particulier, a décidé de mettre sur pied. A savoir une société uniforme vouée entièrement à l’identité nationale définie par le seul président. Comme le montre les expériences faites ailleurs, les constructions sociales basées sur une idéologie et qui ne sont pas ancrées dans la réalité socioéconomique et culturelle de la société sont vouées à avoir de profonds effets négatifs qui affectent des générations. De fait, en dépit de la couverture idéologique et l’édulcorant nationaliste, le véritable objectif de cette reconstruction s’avère être le contrôle total et la préservation du pouvoir aux mains de la classe dirigeante. C’est le cas en Erythrée. La différence réside dans le fait que ceci se passe au 21ème siècle, dans un contexte globalisé, sans qu’aucune leçon des expérimentations du 20ème siècle dans d’autres pays ait été apprise.

Par ses tentacules et structures, le régime a réussi à exercer un contrôle total sur la société. Même ceux à l’extérieur du pays ne sont pas épargnés. Ceci par les ambassades qui n’ont rien d’important à faire autrement que d’extorquer 2% du revenu mensuel, d’espionner les Erythréens et de se mêler de leur quotidien, de leur vie privée et sociale, y compris avec le contrôle des églises et des clubs sociaux des Erythréens. Quiconque s’élève contre de telles actions est dénoncé. Nombreux sont ceux qui ont été arrêtés lorsqu’ils rendaient visite à leur famille. D’autres voient leur famille en Erythrée subir d’énormes pressions de la part des services de sécurité du régime afin qu’ils se rendent. En effet, le régime a aussi envoyé ses agents sous des déguisements de requérants d’asile dans des pays où résident de nombreux Erythréens. Ces agents travaillent à plein temps pour le régime et sont des instruments principaux du contrôle, en causant des dissensions parmi les Erythréens et les communautés érythréennes de la diaspora. Ceci ne devrait surprendre personne de la part d’un régime qui détient le plus grand nombre de prisonniers politiques du monde ; plus de 10 000 selon les organisations des droits de l’homme.

Par exemple, l’ambassade érythréenne en Afrique du Sud n’est pas connue pour ses activités diplomatiques. Son attention principale est centrée sur la communauté de réfugiés érythréens en Afrique du Sud. L’ambassade s’est impliquée dans le projet d’Erythréens qui voulaient établir une église copte érythréenne et sème la zizanie parmi les membres. Six ans plus tard l’église n’a pu être établie.

Des professionnels érythréens ont créé une association en Afrique du Sud, dont l’objectif était de soutenir les communautés, en particulier les jeunes, dans le domaine de la santé, de l’éducation et l’entreprenariat. Pourtant cette initiative n’a pas pu aboutir parce que l’ambassadeur lui-même s’est entretenu avec chacun des initiants, les a intimidés, leur interdisant la réalisation de leur projet à moins qu’il ne soit sous le contrôle de l’ambassade. Récemment, alors que les Erythréens étaient en grand deuil suite à la récente tragédie en Italie et voulaient organiser un service religieux à la mémoire des défunts, l’ambassade a organisé une "journée des jeunes" dans l’intention de saboter le service religieux qui échappait à son contrôle. Ceci se passe en Afrique du Sud où les gens ont souffert et combattu pendant des siècles pour garantir la liberté de tous ceux qui vivent dans ses frontières. Pourtant les tentacules d’un régime autoritaire exploitent la liberté garantie par la constitution sud africaine pour intimider et empêcher la liberté des réfugiés érythréens qui sont venus dans ce pays en quête de sécurité.

Cette pratique fait partie du programme de prestige tel qu’incarné à travers la personnalité du président. Stimulé par la victoire de l’Erythrée sur l’Ethiopie lors des luttes pour l’indépendance, le régime s’efforce sans relâche de se positionner comme médiateur de pouvoir sur la scène régionale. Son implication en Rdc n’est que la première tentative de cet effort. Le régime s’est impliqué au Soudan, particulièrement en abritant et en soutenant différents groupes armés combattants le gouvernement central de Khartoum. Il a également formé et armé un nombre de groupes armés éthiopiens.

La question est : où est-ce que le gouvernement d’un pays pauvre trouve-t-il les ressources pour financer des actions aussi aventureuses ? Dans une de ces éditions qui posaient le débat sur les sanctions des Nations Unies à l’égard de l’Erythrée, le respectable journal en ligne "Current analysis" déclare que « l’Etat" érythréen n’est pas un Etat conventionnel. Il abhorre les transactions légales et adore le commerce illégal. Il dépend largement du commerce informel. Là où de nombreux autres Etats font leur possible pour l’éviter, l’"Etat"érythréen s’y épanouit. La façon de faire d’Asmara est donc totalement différente. Avant les sanctions, les dirigeants avaient au moins le choix de suivre la voie légale ; maintenant ils vont confortablement rejoindre entièrement le monde illégal et clandestin ».

Il s’avère que le régime s’est engagé dans une quantité d’affaires douteuses au travers de tentacules d’emprises commerciales en Ethiopie, au Soudan, au Sud Soudan, jusqu’au Kenya et en Ouganda. Ces entreprises commerciales, souvent enregistrées sous des noms individuels, sont surtout des opérations clandestines. Comme cela fût rapporté par le Monitoring Group des Nations Unies, établi pour superviser la cconformité du régime, de hauts gradés militaires connus, ayant des liens directs avec le président, sont les cerveaux de la traite humaine à grande échelle, des trafics transfrontaliers illicites et des contrebandes d’armes. En effet, nombre d’Erythréens ont témoigné du fait qu’eux-mêmes ou des membres de leur famille ont payé des rançons à Asmara pour la libération de proches pris en otage au Soudan ou dans le désert du Sinaï. Dans un pays où chaque mouvement des citoyens est surveillé, il est impensable que de si importantes et fréquentes transactions aient pu lieu sans que le régime ne soit au courant, ou sans son consentement.

RESPONSABILITE AFRICAINE

Ce sont là autant de symptômes de la faillite du système, un système qui refuse de s’adapter à une nouvelle réalité, un système qui a donné un chèque en blanc à une personnalité mégalomane, un système qui ne recule devant rien pour se maintenir au pouvoir. Il ne peut se maintenir qu’en continuant ce qu’il a le mieux réussi.

Reconnaissant la nature du régime, l’Union africaine s’est mobilisée pour obtenir la Résolution des Nations Unies 1907 (2009). Laquelle considère le régime une menace pour la sécurité et la stabilité de la région. D’abord par son soutien aux cours de justice islamique et ensuite à ses prédécesseurs Al Shabaab en Somalie. Le conflit avec le Djibouti voisin a contribué à l’isolement du régime et a conduit à la suspension de l’Erythrée de l’organisation régionale Inter-Governmental Authority for Development (Igad)

L’isolement régional et international du régime a trouvé une résonance à l’intérieur du pays. En raison de sa brutalité et de son oppression, le régime est hautement impopulaire et ne se maintient que par la terreur et une paranoïa croissante. L’exode massif des jeunes érythréens et les comptes-rendus du Rapporteur spécial des Nations Unies pour l’Erythrée de violations massives des droits humains sont une indication de la situations politique de plus en plus précaire de ce pays.

LE POINT DE RUPTURE

En janvier, une unité de la brigade mécanisée s’est mutinée contre le régime. Après avoir contrôlé la station nationale de télévision, elle a été facilement maîtrisée. Le sort des mutins est tout à fait évident, mais leur action était une indication claire de ce qui est inévitable, c’est-à-dire un coup d’Etat militaire. Comme les expériences en Afrique l’ont démontrées tant de fois, la prise de pouvoir par les militaires ne garantit pas nécessairement l’avènement de la démocratie, même s’il peut déloger un régime aussi brutal que celui d’Erythrée. Il est également possible qu’il faille du temps pour voir la fin de ce régime, qui luttera bec et ongle pour entraîner le pays dans une guerre civile dévastatrice avec des conséquences imprévisibles pour la stabilité et la sécurité régionales. L’Afrique ne peut se permettre une autres Somalie.

Il est par conséquent crucial que l’Union africaine mobilise ses mesures préventives, plus tôt que tard. Ceci pourtant doit se faire selon les termes des différents groupes à l’intérieur et à l’extérieur du pays. Ce faisant, les intérêts et préoccupations des pays voisins, en particulier ceux de l’Ethiopie, doivent être pris en considération mais ne devraient pas supplanter ceux des Erythréens.

Ceci dit, l’Union africaine devrait convoquer de toute urgence une conférence de réconciliation entre Erythréens dans un endroit neutre afin d’établir un plan politique de transition en vue d’une sortie pacifique du régime et l’établissement d’un système démocratique et inclusif en Erythrée. Le rôle de l’Afrique du sud est crucial pour la promotion de cette idée dans les structures de l’Union africaine et aussi pour convaincre l’Ethiopie et le Soudan de soutenir un tel processus.

L’Organisation pour l’union africaine ne s’était pas manifestée au cours des trente années durant lesquelles les Erythréens souffraient gravement sous la férule du régime de Mengistu Haile Mariam, à moins de 1000 km de distance de son quartier général à Addis Ababa. Il est dit que l’Union africaine ne sera pas aussi indifférente que son prédécesseur en cas de violations massives des droits humains et de conflits violents sur le continent. Une fois de plus, la population d’Erythrée tourne son regard vers l’Afrique et l’Union africaine afin qu’elle maintienne ses principes et valeurs et manifeste sa solidarité et son soutien au peuple érythréen dans son effort visant à mettre un terme à ses souffrances et établisse une démocratie constitutionnelle dans le pays.

Dr Adane Ghebremeskel* est le conseiller régional de programmes dans le Peace and Security Council des Ong de la Sadc. Les opinions exprimées ci-dessus n’engagent que lui

Texte traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger

Source :
http://www.pambazuka.org