Vous êtes ici : Accueil » Afrique de l’Est » Kenya » Affrontements entre clans au Kenya

Affrontements entre clans au Kenya

D 22 septembre 2014     H 05:08     A IRIN     C 0 messages


NAIROBI - Frustré par la résurgence du conflit intercommunautaire, le haut responsable chargé de l’aide humanitaire au Kenya a demandé au président Uhuru Kenyatta de mettre sa menace à exécution en déployant l’armée dans les zones ravagées par des conflits récurrents dans le nord-est du pays.

« Le chef de l’État est parfaitement conscient de la situation », a dit à IRIN Abbas Gullet, le secrétaire général de la Société de la Croix-Rouge kenyane (SCRK), au lendemain de nouveaux affrontements entre les communautés Garre et Degodia du comté de Mandera.

« Il a rencontré les leaders de ces deux communautés [le 25 juin] et leur a donné un ultimatum disant que s’ils ne mettaient pas de l’ordre dans leurs affaires, il serait contraint d’envoyer [des troupes]. Il est maintenant temps d’agir », a dit M. Gullet.

Il a ajouté : « Ce sont des milices ; ce sont des hommes armés, entraînés et qui, pour certains, portent un uniforme et ils agissent à leur guise ».

La rencontre du mois de juin a permis un certain apaisement après plusieurs mois de combats intermittents qui ont fait des dizaines de victimes et plus de 13 000 déplacés dans le pays. [ https://www.kenyaredcross.org/PDF/Situational%20Report%20-%20Rhamu%20Mandera%20August%2025.pdf ]

Le calme a été rompu le 22 août lorsqu’un groupe armé a attaqué Rhamu, une ville de 40 000 habitants située à 76 km à l’ouest de la ville de Mandera.

Au 28 août 2014, un total de 18 000 familles avaient été déplacées. Elles sont aujourd’hui réparties dans sept sites de déplacement de Rhamu, dans le sous-comté de Mandera-Nord. Environ 77 personnes ont perdu la vie et plus de 95 ont été blessées depuis janvier suite aux affrontements entre les deux principaux clans de Mandera, selon la SCRK. Plusieurs maisons ont également été incendiées.

« Bon nombre de personnes vivent dans les camps établis par la police et dans les hôpitaux tandis que d’autres ont fui vers les villages voisins. La situation sécuritaire ne s’est pas améliorée et les gens vivent toujours dans la crainte d’éventuelles attaques. Ils ont besoin d’une assistance humanitaire », a dit à IRIN Abdi Omar, membre de la Rural Agency for Community Development and Assistance (agence rurale pour le développement communautaire et l’assistance).

« La situation empire dans le Mandera-Nord en raison du conflit et de la sécheresse [y compris] de nouvelles attaques, » a indiqué la SCRK. « Le [gouvernement du] comté a fourni 340 tonnes d’aliments variés qui seront distribuées aux familles déplacées dans les sept sites ».

Le 31 août, des personnes non identifiées ont attaqué un poste de police du comté de Mandera et détruit un bâtiment avant d’être repoussées par les forces de sécurité.

Outre Mandera, le conflit intercommunautaire a touché d’autres comtés du Nord, notamment Wajir, Garissa et Marsabit, où 95 personnes ont trouvé la mort dans des affrontements qui se sont déroulés entre janvier et juin 2014.

Entre janvier et juin 2014, au moins 125 personnes ont été tuées dans le comté, des dizaines d’autres ont été blessées et 215 479 personnes ont été contraintes de quitter leur domicile, dont beaucoup dans le Nord-Est, selon la SCRK et le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA). [ http://reliefweb.int/sites/reliefweb.int/files/resources/KEN_Jan-Jun2014_Conflict_Tracking_08Jul2014_0.pdf ]

L’assainissement, les abris et les services de soins de santé ont été gravement affectés dans bon nombre de zones touchées par le conflit, selon la SCRK.

D’après des travailleurs humanitaires, cela a entraîné une augmentation du nombre de cas de diarrhée, de paludisme et de pneumonie.

Traditionnellement, les communautés et les clans du nord-est du Kenya ont toujours lutté pour les ressources telles que les pâturages et l’eau destinés au bétail. Les conflits les plus récents seraient liés aux différends relatifs à la distribution des emplois et des ressources aux 47 comtés créés dans le cadre d’une nouvelle dévolution du pouvoir politique prévue par la Constitution de 2010 et entamée après les élections de 2013. À l’issue des scrutins, les nouveaux sièges de gouverneurs, sénateurs et députés des assemblées des comtés ont été attribués.

Mubarak Haji, un représentant politique local de Marsabit, a décrit l’état d’esprit qui régnait lors des dernières élections : « Tous les Kenyans étaient contents que la distribution des ressources ne soit plus enfin déterminée par l’importance numérique ou le poids démographique. Nous aussi, nous étions contents ; nous avons fait la fête [après l’établissement des gouvernements des comtés] pendant des semaines et nous pensions continuer. Mais les festivités ont été de courte durée, elles ont été abrégées et remplacées par des fusillades et des deuils ».

La faute à la dévolution ?

D’après Abdi Mohamed, un analyste de la paix et de la sécurité dans la région de la Corne de l’Afrique basé à Nairobi, « si la dévolution avait pour objectif d’atténuer le sentiment de marginalisation, elle a créé des minorités au sein des minorités, car les clans nouent des pactes politiques et ceux qui n’en font pas partie ont le sentiment d’être exclus », a dit à IRIN M. Mohamed.

Il revient désormais aux gouvernements des comtés de gérer les services tels que la fourniture de soins de santé, d’un enseignement préprimaire et l’entretien des routes locales - qui relevaient autrefois de la responsabilité du gouvernement national kenyan. En retour, les gouvernements des comtés reçoivent une part du revenu national.

Les gouvernements des comtés doivent également mobiliser des revenus émanant d’autres sources dans leur comté, notamment les impôts fonciers et les impôts sur les spectacles.

Mais depuis leur entrée de fonction, ils ont consacré moins de 14 pour cent de leurs budgets - zéro pour cent dans le cas du comté de Mandera - aux projets de développement, d’après le bureau du contrôleur du budget. [ https://www.kenyaredcross.org/PDF/Situational%20Report%20-%20Rhamu%20Mandera%20August%2025.pdf ]

Selon les analystes comme M. Mohamed, le clan Degodia s’est senti exclu après que le clan Garre, majoritaire à Mandera, a conclu des alliances politiques avec d’autres communautés moins importantes, ce qui lui a permis de s’emparer de la majorité des postes politiques locaux.

« C’est le problème qui se pose à Mandera, où les Degodia se sentent exclus politiquement et [ont] le sentiment de ne pas avoir leur place », a-t-il dit.

Une ingérence étrangère ?

La police et certains leaders politiques ont reproché aux représentants politiques et aux milices de pays voisins comme l’Éthiopie et la Somalie de s’ingérer dans le conflit actuel.

« La manière dont le conflit émerge montre qu’il s’agit simplement de retombées sur le Kenya. Le conflit a commencé en Éthiopie où les mêmes communautés sont présentes. Il s’agit de retombées sur notre pays et nous nous en occupons. Nous n’avons pas encore établi un lien politique », a dit Grace Kaindi, directrice de police adjointe, aux médias locaux le 27 août. [ http://www.nation.co.ke/counties/Mandera-skirmishes-from-Ethiopia/-/1107872/2432138/-/gaoamdz/-/index.html ]

Le 22 août, David Kimaiyo, l’inspecteur général de la police, a dit : « Ici, le problème, ce sont les leaders [hommes politiques] et nous allons prendre des mesures drastiques. Certains d’entre eux devront se présenter devant la justice dès que des preuves auront été présentées contre eux ».

Ali Roba, le gouverneur du comté de Mandera, a dit à IRIN que l’un des clans impliqués dans les combats avait cherché à obtenir le soutien de membres d’Al Shabab.

« Je dispose d’informations selon lesquelles les Degodia ont demandé de l’aide à des membres d’Al Shabab et ils [les Al Shabab] faisaient partie des hommes armés qui ont lancé des attaques ici », a dit M. Roba.

Fatia Mahabub, représentante des femmes du comté de Mandera, a dit à IRIN : « Peu importe que des combattants étrangers soient impliqués, car il s’agit seulement d’une lutte pour la domination politique ».

« L’installation à Rhamu des Garre déplacés de Wajir il y a quelques mois de cela a irrité les Degodia qui ont le sentiment que cela pourrait faire pencher l’équilibre politique davantage en 2017, car c’est l’appartenance clanique qui détermine le vote ici », a dit M. Mohamed.

Les prochaines élections gouvernementales, sénatoriales, législatives et présidentielles auront lieu en 2017 au Kenya.

« C’est une question politique et les personnes responsables doivent rendre des comptes », a dit M. Gullet de la SCRK.